Des larmes dans la Ravna Gora

Juin 1989 : Comme l’ensemble des États communistes d’Europe orientale, la Yougoslavie connaît un vent de libéralisation politique spectaculaire. L’apogée est la nomination d’Ante Markovic au poste de premier ministre fédéral par le président Raif Dizdarević, également président de la Bosnie-Herzégovine, la fédération ayant opté pour une président tournante annuelle de chacune des républiques alternativement à la mort de Tito.

Markovic, comme nombre de dirigeants yougoslaves et ce dès la mort de Tito, ont compris que seul une libéralisation économique allant bien au-delà du modèle hongrois pourrait sauver l’économie du pays.

Cependant, on se contenta au début de suivre le modèle hongrois, car les Soviétiques veillaient (nous sommes en 1980), avec des résultats déjà favorables.

Puis, Gorbatchev arriva au pouvoir, suivi de la libéralisation de la vie politique à l’est. Les élites yougoslaves surent exploiter cette brèche.

Ainsi, comme en URSS, Markovic organise également une vie politique réellement démocratique et annonce des élections libres pour mars 1990. Il quitte d’ailleurs personnellement la Ligue des communistes de Yougoslavie au profit de l’Union des forces de la réforme, qui veut maintenir la fédération sur un modèle démocratique.

Dans cette optique, la République fédérative socialiste de Yougoslavie devient simplement la République fédérale de Yougoslavie suite à la modification de la constitution effectué en octobre 1989.

Comme en URSS, la libéralisation de la parole et des idées entraîne une montée des nationalismes, principalement en Croatie et en Slovénie, républiques fédérées les plus riches qui accusent Belgrade de piller leurs richesses au profit des républiques plus pauvres.

Dans ce contexte explosif, un homme rentre dans son pays, un pays qu’il n’a jamais connu d’ailleurs…

Cet homme, c’est Vojislav Mihailović, petit fils du général Draza Mihailovic, chef des Tchéniks et dont la famille s’était réfugié en France durant la phase finale de la guerre civile yougoslave.
Désireux de faire revivre le rêve de son grand-père, il fonde le « Mouvement pour la liberté en Yougoslavie », parti conservateur, favorable à la monarchie mais également tourné vers l’ouest, favorable à une libéralisation de l’économie mais surtout, au dessus des nationalités donc proche sur ces deux derniers principes de Markovic.

Descendant direct du héros des Serbes, Mihailovic veut dépasser cette image en se posant en champion yougoslave, rappelant que son grand-père se battit pour tous les Yougoslaves.

Menant une campagne dynamique, à l’aise à la télévision, effectuant la tournée des républiques (de violentes manifestations se déroulent à l’extérieur de la salle où il effectue son meeting à Zagreb), il devient rapidement populaire.

Conscient que mener campagne séparément menace le camp unitaire face aux forces nationalistes, Mihailovic et Markovic s’entendent pour conduire une liste unifiée, le « bloc pour la Yougoslavie ».

Aux élections de mars 1990, si le bloc l’emporte en Serbie, au Monténégro mais aussi en Macédoine et en Bosnie (premier parti du pays mais minoritaire), ce sont les nationalistes qui gagnent en Slovénie et en Croatie !

Sans compter le succès des partis nationalistes chez les Croates de Bosnie…

Le chef des nationalistes de l’Union démocratique croate, Franjo Tudman, est élu président de la Croatie et entame immédiatement un bras de fer avec le pouvoir central de Mihailovic, élu premier ministre fédéral (Markovic étant vice premier ministre) sur la question des pouvoirs de chacune des républiques, en fait la sienne.

Tandis qu’il propose une confédération vidée de toute substance, Tudman demande également une révision des frontières de la Croatie qui inclurait les régions croates de Bosnie et fait adopter une constitution à la république croate lui autorisant à proclamer son indépendance.

Secrètement, il organise des forces d’autodéfense dans toute la république croate et signe un traité avec la Slovénie pour que l’indépendance soit proclamée conjointement le 1er janvier 1991, date bientôt reportée au 1er juin du fait de la guerre du golfe.

Nous verrons bientôt pourquoi...

Le 1er juin 1991, Tudman et les Slovènes de Milan Kučan (le second a au moins organisé un référendum d’indépendance) franchissent le Rubicon et déclarent officiellement faire sécession d’avec la Yougoslavie.
Immédiatement, des groupes extrémistes serbes, en parfaite intelligence avec Zagreb, commettent des exactions contre les Croates des régions à dominante serbe. Dans l’immense majorité des cas, les forces fédérales écrasent ces milices, mais le mal est fait.

Tudman justifie a posteriori l’indépendance par les « massacres » commis par les Serbes contre les Croates, et le fait savoir aux médias occidentaux tandis que les forces armées croates (dénommées « garde nationale croate ») lancent l’assaut contre les casernes de l’armée fédérale, affaiblie par la désertion des éléments croates et slovènes de ses effectifs.

L’Allemagne, la Grande Bretagne et les États-Unis reconnaissent la double indépendance dans la foulée.

Mihailovic, de son côté, n’en prépare pas moins la reconquête via l’opération « Ouragan ».

Les territoires à dominante serbe, sur lequel Belgrade n’a jamais perdu autorité, sont rapidement repris en main lors d’Ouragan.

Mais près de Plitvice, des miliciens croates, cette fois, attaquent une colonne fédérale. Un savant montage des images prises par un journaliste britannique montreront les Yougoslaves tirer sur des civils désarmés...

Déjà échaudée par la guerre contre Saddam Hussein, les opinions occidentales sont prêtes à accepter une nouvelle « guerre juste » à condition bien sûr qu’elle soit brève comme celle qui amena les GI’s à Bagdad en mars.

Et là, ce sont les Croates qui mourront au sol, l’OTAN se contentant de bombarder l’armée fédérale depuis les airs, comme on le présente à mots à peine couverts à la télévision...

Après les « couveuses » de Koweït City, les médias de l’ouest arborent en effet le carnage de Plitvice en plus de ceux de Knin, où les milices extrémistes serbes ont tués une dizaine de Croates (filmés sous tous les angles) sans mentionner ou si peu la destruction rapide de ces groupuscules extrémistes par la police et l’armée de Mihailovic.

Notons la mesure de L’Union, qui elle, du fait de sa multipolarité politique, essaie d’enquêter, aidée aussi qu’elle est par l’opposition du président Mitterrand (UPF : Union pour la France, Gaulliste), ami personnel du premier ministre yougoslave de surcroît, à toute idée d’intervention dans la guerre initiant un French-Bashing à Washington.

Dès lors, sur ABC et les différents tonight shows américains on se gaussent en racontant les pires heures de juin 1940 et on vide des bouteilles de vins dans le caniveau...

C’est bien vite oublier la participation de la France à l’assaut contre l’Irak et son accord donné au renversement du Régime baasiste...

Les médias américains, CNN, friands de carnage de nuit sur fond vert depuis janvier 1991, et la ZDF, sur demande du gouvernement Kohl réinstallé à Berlin, allument la fureur populaire à l’ouest.

L’URSS en lambeaux ne peut rien faire, l’Allemagne réunifiée s’apprête à rentrer dans la danse internationale.

« Nous allons ignorer l’Italie et l’Espagne d’abord, punir la France ensuite ! » clame le secrétaire d’État aux affaire étrangères du cabinet Bush, Donald Rumsfeld.

En effet, l’Italie, qui craint pour l’Istrie et Zara, et l’Espagne, pour le séparatisme basque, s’opposent aux côtés de Mitterrand à l’intervention.

La communauté européenne se déchire entre pro et anti intervention.

Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, annonce lors d’un discours historique et mémorable le veto de la France à toute résolution onusienne visant à bombarder Belgrade avant toute conclusion d’une enquête indépendante.

Le lendemain, l’OTAN, menée par les forces aériennes américaine, allemande et britannique, bombardent les colonnes yougoslaves se dirigeant vers Zagreb…

C’est l’opération « Liberté immuable »...

C’est un désastre, l’armée fédérale se retire vers les zones serbes.

Belgrade n’est pas épargnée ainsi que la Serbie. On y comptera des centaines de victimes des bombardements dit « frappes chirurgicales ».

Après 2 semaines de frappes, l’Otan impose un cessez-le-feu au gouvernement Mihailovic. Celui-ci, qui a un temps été tenté de démissionner, décide au final de rester, soutenu par le parlement fédéral et la rue, et surtout ne voulant pas abandonner se frères et sœurs yougoslaves au pire moment.

Le cessez-le-feu impose le retrait de l’armée fédérale de l’ensemble de la Croatie et non pas sur les bases où elle s’est repliée.

Les Serbes qui ne fuient pas vers le cœur de la Yougoslavie proclament la République serbe de Croatie et Mihailovic les arment en demandant à l’armée fédérale « d’abandonner » ses équipements sur place.

Plusieurs semaines de combats dévastateurs suivront mais les Serbes tiennent bon, contraignant à un accord imposant une fédéralisation de la Croatie, habilement négocié par de Villepin à Bonn, au grand désespoir de Tudman.

La république fédérale de Croatie sera donc divisée entre la république croate à proprement parler et la république serbe de Croatie en parallèle.

Tandis que la presse yougoslave hurle à la « seconde trahison de l’ouest » et compare les attaques de l’OTAN à l’opération « châtiment » lancé par Hitler en 1941, un célèbre poète serbe écrira « Des larmes dans la Ravna Gora » liant l’abandon de Draza Mihailovic par Londres et Washington en 1946 à celui de son petit fils en 1991 par les mêmes puissances.

Ces évènements rendront glaciale les relations entre Belgrade et la Communauté européenne pour une dizaine d’années.

Signe évocateur, si la Croatie intégrera la Communauté le 1er janvier 2007, la Yougoslavie obtiendra d’y adhérer le lendemain 2 janvier, pour ne pas l’intégrer en même temps que sa sœur ennemie…

Mais la République fédérale de Yougoslavie survécut, limitée certes à la Bosnie-Herzégovine, à la Serbie, au Monténégro, à la Macédoine et depuis 1993, au Kossovo.

Intéressant, mais triste guerre comme bien souvent dans cette région.

Merci Thomas

Encore du bon boulot de ta part

Merci Rayan

J'ai un gros doute sur la participation militaire allemande à un conflit alors qu'elle commence à peine à digérer une réunification ''surprise''. Envoi de matériel à la Croatie comme IRL au plus pour moi.

Collectionneur,

C'est comme en 1999, on se contente de bombarder. L'armée de l'ouest devrait suffire.

C'est vrai qu'au final, qu'est ce qui pousse l’Allemagne à intervenir militairement?
OTL, l’Allemagne à certes prit par à la campagne aérienne, mais c'est vigoureusement opposée à une intervention au sol et ce alors que la Réunification allemande avait déjà eu lieu depuis 10 ans.

Oui mais là c'est l'indépendance de la Croatie face à une Yougoslavie sans Milosevic. C'est une sorte de guerre du Kosovo mais pour la Croatie. Mihailovic n'est pas un Grand-Serbe, il ne compte pas tuer la fédération.

Pour le couple franco-allemand, ça reste à voir en effet cher colonel.

Avec 2 septennats consécutifs, Mitterrand peut autant juguler la crise iranienne au début du premier mandat que la guerre du golfe et la guerre en Yougoslavie à la fin du second mandat.

Uchronie intéressante, plossible..; et triste... bref, les Balkans dans toute sa dérisoire splendeur.