Un cours d'histoire ancienne
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Un cours d'histoire ancienne
Voici donc une petite uchronie pas très sérieuse, présentée sous la forme d'une petite nouvelle que je me suis amusé à écrire il y a quelque temps... Dites-moi ce que vous en pensez !
Ammonios- Messages : 17
Date d'inscription : 02/11/2024
Re: Un cours d'histoire ancienne
Un cours d’histoire ancienne
Les étudiants étaient si absorbés par leur débat enflammé sur l’actualité politique qu’ils ne s’étaient même pas aperçus de l’arrivée du professeur. Celui-ci patienta quelque temps en attendant que le calme revienne dans la salle. Lorsque ce fut le cas, il prit la parole :
« Bonjour à tous, désolé d’interrompre une discussion aussi intéressante… Mais c’est l’heure de ce cours d’histoire ancienne, et donc, même si je comprends bien que vous souhaitiez débattre des événements actuels, il nous faut un peu parler d’histoire ancienne. Je vous avais dit la semaine dernière que nous allions faire un peu d’épigraphie aujourd’hui. Malheureusement, je viens juste de me rendre compte que j’ai oublié d’apporter les photos des inscriptions grecques que je voulais étudier avec vous. »
À ces mots, on put observer dans les rangs des étudiants un certain nombre de manifestations de regret quelque peu exagérées.
« Je me suis donc dit, reprit le professeur, que nous pouvions peut-être nous intéresser, pour une fois, à l’histoire d’un peuple qui est toujours resté en marge des principales civilisations du monde antique et qui, pour cette raison, est aujourd’hui un peu oublié, sauf de quelques spécialistes. Qu’est-ce que vous en dites ? »
Les étudiants acquiescèrent. De toute façon, ils n’avaient pas d’autre choix que d’écouter pendant deux heures le maître de conférence - ou de faire semblant.
« Bien, alors allons-y. J’imagine que le nom de Rémora ne dit pas grand-chose à la plupart d’entre vous.
— Ce n’était pas une cité en Italie du nord ? hasarda une jeune femme au premier rang.
— Pas mal, lâcha le professeur d’un air approbateur. Mis à part qu’elle se trouvait plutôt en Italie centrale, dans la région du Latium - la région où on parlait une langue du groupe italique qui s’appelait le latin. Il nous reste encore quelques textes en latin, et ce sont des sources essentielles pour reconstituer l’histoire de Rémora.
— Est-ce qu’on connaît la signification du nom de la cité ? demanda un étudiant curieux.
— Ce nom est visiblement lié aux légendes qu’on racontait sur la fondation de Rémora. Le dieu Mars - l’une des divinités locales - avait eu deux enfants, des jumeaux, avec une mortelle. Ces deux garçons s’appelaient Rémus et Romulus. On disait que juste après leur naissance, ils avaient été exposés dans la nature et miraculeusement nourris par une louve avant d’être recueillis par un berger. Une fois parvenus à l’âge adulte et après quelques exploits (je vous passe les détails), ils ont décidé de fonder une cité. Pour résumer, il y a eu à ce moment-là une dispute entre les deux frères et cela a dégénéré à tel point que Rémus a tué Romulus. C’est donc lui qui est devenu le premier roi de la nouvelle cité, et c’est de lui qu’elle tire son nom. Bien sûr, il ne s’agit là que de mythes : Rémus aurait vécu au huitième siècle avant la Quatrième Révélation de l’Éternel, mais toute l’histoire de Rémora pendant les quatre cent années suivantes nous est quasiment inconnue : il ne subsiste que quelques récits où la part de légendaire doit être assez importante. Ce n’est vraiment qu’à partir de 400 environ que l’on commence à y voir un peu plus clair. On sait qu’à cette époque il y a eu une invasion celtique dans la région. Les envahisseurs se sont emparés de Rémora et pendant plus de vingt ans, la cité a eu des dirigeants celtes. Ceux-ci ont fini par être chassés par une révolte des indigènes dirigés, paraît-il, par le vieux Camillus, resté dans les mémoires comme le héros qui a établi (ou peut-être rétabli si, comme certains le pensent, elle existait déjà avant la conquête celtique) la République rémoraine. Au milieu du quatrième siècle, celle-ci s’est étendue au détriment de ses voisins et n’a pas tardé à se heurter aux Samnites.
— Les Samnites… Ce n’est pas ce peuple italique que les Nubiens ont affronté à peu près à la même époque ? demanda un étudiant depuis le fond de la salle. L’expédition la plus lointaine vers l’ouest de l’Empire koushite ?
— Exactement… Même si, en fait, relativement peu de Koushites ont dû participer à l’expédition. Le gros des troupes a été fourni par les cités grecques du Péloponnèse, tributaires des Nubiens. Elles avaient été appelées à l’aide par les Grecs du sud de l’Italie, qui avaient subi des attaques des Samnites. Toujours est-il que l’arrivée des Koushites et de leurs vassaux grecs a sans doute permis à la République rémoraine de vaincre les Samnites, qui n’ont pas pu lutter sur plusieurs fronts. Les Rémorains ne se sont d’ailleurs pas montrés ingrats : on a retrouvé à Napata un bas-relief où sont représentés les ambassadeurs rémorains qui viennent apporter des présents au pharaon nubien pour le remercier de son intervention opportune. On ne saura jamais comment auraient pu évoluer les relations entre Rémora et les Nubiens, puisque l’Empire koushite, comme vous le savez, s’est effondré à la fin du quatrième siècle. Toujours est-il que la défaite des Samnites avait permis à la République rémoraine de devenir l’un des États les plus importants d’Italie. Mais elle n’était pas au bout de ses peines. Au nord, les Celtes se montraient toujours menaçants de temps en temps. Au sud, les peuples italiques et les cités de Grande Grèce étaient divisés, mais Syracuse, la plus puissante de ces dernières, avait commencé à les rassembler dans une grande alliance. Syracuse et Rémora se sont affrontées lors de plusieurs guerres indécises dans la première moitié du troisième siècle. Ces conflits ont en fin de compte plutôt profité à Rémora, car Syracuse s’y est sans doute épuisée, ce qui ne l’a rendue que plus vulnérable face au véritable danger qui la menaçait : l’expansion carthaginoise.
— Ah, s’exclama une étudiante, mais je me souviens maintenant où j’avais entendu le nom de Rémora ! C’était pendant le cours d’histoire carthaginoise en première année. Les Rémorains étaient des ennemis des Carthaginois, c’est ça ?
— Oui, mais ils ne le sont pas devenus immédiatement. Lorsque Syracuse est tombée en 254 et que les Carthaginois ont pris le contrôle de l’ensemble de la Sicile, les Rémorains se sont d’abord réjouis du malheur de leurs ennemis. Ce n’est que quelques décennies plus tard, quand Carthage avait déjà conclu de nombreux traités avec les peuples du sud de l’Italie, qu’ils ont compris que les Carthaginois allaient peut-être se révéler bien plus dangereux que les Syracusains ne l’avaient jamais été. À la fin du troisième siècle, Carthage était déjà très puissante : elle contrôlait presque tout le littoral africain, des colonnes d’Hercule à la Grande Syrte, mais aussi une bonne moitié de l’Espagne, les Baléares, la Sicile, la Sardaigne, la Corse… Et, en plus de ses alliés italiens, elle avait d’excellentes relations avec beaucoup de cités grecques, notamment avec Corinthe, qui était alors en pleine résurgence et dominait la mer Égée. De plus en plus inquiète face aux ambitions carthaginoises, Rémora a voulu développer son propre réseau d’alliés, ce qui l’a conduit à tenter une réconciliation avec les cités celtiques du nord de l’Italie. Toutefois, dès que la guerre a éclaté en 216, Milan, la plus puissante d’entre elles, n’a pas hésité à lâcher Rémora et à se rallier à Carthage, et elle a vite été suivie par le reste des Celtes. Rémora s’est donc retrouvée presque seule face à une grande coalition pro-carthaginoise. Celle-ci a rapidement connu d’impressionnants succès, et après une terrible défaite près de Capoue en 212, la République rémoraine était sur le point de capituler… »
La date fit réagir plusieurs jeunes gens.
« C’est au moment de la grande révolte égyptienne !
— Tout à fait, et c’est en fait ce qui a sauvé Rémora. Celle-ci n’était qu’un ennemi secondaire aux yeux des Carthaginois, qui, quand la révolte a éclaté, ont bien compris que c’était une occasion à ne pas manquer et ont redéployé une grande partie de leurs forces en Libye. Rémora a ainsi pu connaître un certain répit. La République était toujours assaillie par les alliés italiens de Carthage, mais elle a réussi à les repousser. Elle avait néanmoins bien conscience que la lutte était loin d’être terminée, et elle a cherché à s’impliquer dans le conflit en Méditerranée orientale en proposant son assistance aux ennemis des Carthaginois. La médiation du roi de Macédoine a permis la conclusion d’un pacte d’assistance entre la République rémoraine et le Troisième Empire babylonien. On sait que des contingents rémorains ont combattu au Proche-Orient aux côtés de leurs alliés. Les archives babyloniennes mentionnent leur présence en Judée, où ils ont participé à la lutte contre les rebelles pro-carthaginois, mais aussi sur le front principal, en Égypte. Vous connaissez tous le monument triomphal élevé à Thèbes par Maharbal Barca. Si vous regardez bien en bas à droite, vous pouvez voir, au milieu des prisonniers babyloniens, quelques captifs macédoniens et rémorains qui défilent sous les yeux du général vainqueur. Les annales de Carthage nous apprennent que le préteur Lucius Cornelius Asiaticus, qui passait pour le meilleur stratège rémorain et à qui avait été confié le commandement de l'armée envoyée en Anatolie, a été défait en 207 près de Sardes par un corps expéditionnaire corintho-carthaginois. Fait prisonnier et risquant d’être envoyé à Carthage pour y être exécuté de manière particulièrement horrible, il préféra se suicider en s’empoisonnant. La nouvelle provoqua une véritable consternation à Rémora, où le sort du préteur fut interprété par beaucoup comme un présage annonçant le destin de la République elle-même. Et, de fait, leur participation à la première guerre punico-babylonienne n’avait rien rapporté aux Rémorains… hormis la haine des Carthaginois. Ceux-ci, sitôt la paix conclue et leur nouveau statut de protecteurs des royaumes d’Égypte et de Judée reconnu par Babylone en… En quelle année, déjà ?
— 201 ! s’empressèrent de répondre plusieurs étudiants.
— Sitôt la paix avec Babylone conclue, donc, Carthage put se tourner à nouveau vers l’Italie. Privée de tous ses alliés et encerclée de toutes parts, Rémora n’avait plus qu’à se préparer pour un baroud d’honneur. Les forces que Carthage avait mobilisées contre eux étaient immenses : au sud, Apuliens, Lucaniens, Samnites, Campaniens, Bruttiens, Grecs de Sicile et d’Italie se joignaient en masse aux troupes venues d’Afrique. Au nord se rassemblaient les armées des Celtes, placées sous commandement milanais et renforcées par leurs alliés venus de Marseille. Malgré un rapport de force aussi défavorable, les Rémorains ne songèrent jamais sérieusement à l’éventualité d’une capitulation. Dans ses Histoires, Hannon de Carthagène, notre source la plus précise sur les événements de cette période en Italie, nous apprend qu’un homme, le sénateur Marcus Porcius, eut une influence considérable sur le moral de ses concitoyens : « combattons avec le courage qui a toujours animé nos aïeux, répétait-il lors de chaque séance du sénat, car jamais les dieux immortels ne permettront que Rémora soit détruite ! », et la cité toute entière semble avoir fait sien son jusqu’au-boutisme. Il faut reconnaître que les Rémorains opposèrent à une si formidable coalition une résistance qui force l’admiration. La guerre dura pas moins de vingt-trois ans. Si l’on n’en parle guère dans les cours d’histoire ancienne, c’est uniquement parce qu’à partir de 196, elle est complètement éclipsée par la deuxième guerre punico-babylonienne. Mais pendant qu’avaient lieu les sièges de Péluse et de Damas, le sac de Jérusalem, les exploits de Callimaque de Corinthe, la bataille de Ninive et tous les autres événements que vous connaissez par cœur, les combats continuaient en Italie et Rémora résistait toujours. Chaque armée que les Carthaginois et leurs alliés parvenaient à détruire était aussitôt remplacée. À la fin de la guerre, comme une grande partie des citoyens avait péri, les Rémorains n’hésitaient même plus à enrôler des esclaves. Refusant toujours de se soumettre, ils finirent néanmoins par plier sous le nombre et c’est en 178 qu’à l’issue d’une terrible bataille de rues qui dura plusieurs jours, le général carthaginois Hasdrubal put faire son entrée dans Rémora. Une troupe d’irréductibles qui, regroupés autour du sénateur Marcus Porcius, s’étaient réfugiés dans le grand temple de Jupiter, sur la colline de l’Aventin, préférèrent mettre le feu à l’édifice et périr dans l’incendie plutôt que de se rendre. La population fut réduite en esclavage, et la ville fut entièrement rasée. Une petite colonie carthaginoise fut fondée sur son emplacement un peu moins d’un siècle plus tard, mais les collines de Rémora n’ont plus été le théâtre d’aucun événement notable depuis cette époque. Sans doute en avaient-elles déjà vu bien assez. Quant à la langue latine… Elle a subsisté pendant encore trois ou quatre siècles dans les campagnes, mais, comme la plupart de ses voisines, elle n’a pas pu résister à la concurrence du phénico-punique et a fini par être supplantée. Aujourd’hui, les habitants de ce qui était le Latium ne parlent plus que l’une ou l’autre des langues italo-sémitiques. »
« Bonjour à tous, désolé d’interrompre une discussion aussi intéressante… Mais c’est l’heure de ce cours d’histoire ancienne, et donc, même si je comprends bien que vous souhaitiez débattre des événements actuels, il nous faut un peu parler d’histoire ancienne. Je vous avais dit la semaine dernière que nous allions faire un peu d’épigraphie aujourd’hui. Malheureusement, je viens juste de me rendre compte que j’ai oublié d’apporter les photos des inscriptions grecques que je voulais étudier avec vous. »
À ces mots, on put observer dans les rangs des étudiants un certain nombre de manifestations de regret quelque peu exagérées.
« Je me suis donc dit, reprit le professeur, que nous pouvions peut-être nous intéresser, pour une fois, à l’histoire d’un peuple qui est toujours resté en marge des principales civilisations du monde antique et qui, pour cette raison, est aujourd’hui un peu oublié, sauf de quelques spécialistes. Qu’est-ce que vous en dites ? »
Les étudiants acquiescèrent. De toute façon, ils n’avaient pas d’autre choix que d’écouter pendant deux heures le maître de conférence - ou de faire semblant.
« Bien, alors allons-y. J’imagine que le nom de Rémora ne dit pas grand-chose à la plupart d’entre vous.
— Ce n’était pas une cité en Italie du nord ? hasarda une jeune femme au premier rang.
— Pas mal, lâcha le professeur d’un air approbateur. Mis à part qu’elle se trouvait plutôt en Italie centrale, dans la région du Latium - la région où on parlait une langue du groupe italique qui s’appelait le latin. Il nous reste encore quelques textes en latin, et ce sont des sources essentielles pour reconstituer l’histoire de Rémora.
— Est-ce qu’on connaît la signification du nom de la cité ? demanda un étudiant curieux.
— Ce nom est visiblement lié aux légendes qu’on racontait sur la fondation de Rémora. Le dieu Mars - l’une des divinités locales - avait eu deux enfants, des jumeaux, avec une mortelle. Ces deux garçons s’appelaient Rémus et Romulus. On disait que juste après leur naissance, ils avaient été exposés dans la nature et miraculeusement nourris par une louve avant d’être recueillis par un berger. Une fois parvenus à l’âge adulte et après quelques exploits (je vous passe les détails), ils ont décidé de fonder une cité. Pour résumer, il y a eu à ce moment-là une dispute entre les deux frères et cela a dégénéré à tel point que Rémus a tué Romulus. C’est donc lui qui est devenu le premier roi de la nouvelle cité, et c’est de lui qu’elle tire son nom. Bien sûr, il ne s’agit là que de mythes : Rémus aurait vécu au huitième siècle avant la Quatrième Révélation de l’Éternel, mais toute l’histoire de Rémora pendant les quatre cent années suivantes nous est quasiment inconnue : il ne subsiste que quelques récits où la part de légendaire doit être assez importante. Ce n’est vraiment qu’à partir de 400 environ que l’on commence à y voir un peu plus clair. On sait qu’à cette époque il y a eu une invasion celtique dans la région. Les envahisseurs se sont emparés de Rémora et pendant plus de vingt ans, la cité a eu des dirigeants celtes. Ceux-ci ont fini par être chassés par une révolte des indigènes dirigés, paraît-il, par le vieux Camillus, resté dans les mémoires comme le héros qui a établi (ou peut-être rétabli si, comme certains le pensent, elle existait déjà avant la conquête celtique) la République rémoraine. Au milieu du quatrième siècle, celle-ci s’est étendue au détriment de ses voisins et n’a pas tardé à se heurter aux Samnites.
— Les Samnites… Ce n’est pas ce peuple italique que les Nubiens ont affronté à peu près à la même époque ? demanda un étudiant depuis le fond de la salle. L’expédition la plus lointaine vers l’ouest de l’Empire koushite ?
— Exactement… Même si, en fait, relativement peu de Koushites ont dû participer à l’expédition. Le gros des troupes a été fourni par les cités grecques du Péloponnèse, tributaires des Nubiens. Elles avaient été appelées à l’aide par les Grecs du sud de l’Italie, qui avaient subi des attaques des Samnites. Toujours est-il que l’arrivée des Koushites et de leurs vassaux grecs a sans doute permis à la République rémoraine de vaincre les Samnites, qui n’ont pas pu lutter sur plusieurs fronts. Les Rémorains ne se sont d’ailleurs pas montrés ingrats : on a retrouvé à Napata un bas-relief où sont représentés les ambassadeurs rémorains qui viennent apporter des présents au pharaon nubien pour le remercier de son intervention opportune. On ne saura jamais comment auraient pu évoluer les relations entre Rémora et les Nubiens, puisque l’Empire koushite, comme vous le savez, s’est effondré à la fin du quatrième siècle. Toujours est-il que la défaite des Samnites avait permis à la République rémoraine de devenir l’un des États les plus importants d’Italie. Mais elle n’était pas au bout de ses peines. Au nord, les Celtes se montraient toujours menaçants de temps en temps. Au sud, les peuples italiques et les cités de Grande Grèce étaient divisés, mais Syracuse, la plus puissante de ces dernières, avait commencé à les rassembler dans une grande alliance. Syracuse et Rémora se sont affrontées lors de plusieurs guerres indécises dans la première moitié du troisième siècle. Ces conflits ont en fin de compte plutôt profité à Rémora, car Syracuse s’y est sans doute épuisée, ce qui ne l’a rendue que plus vulnérable face au véritable danger qui la menaçait : l’expansion carthaginoise.
— Ah, s’exclama une étudiante, mais je me souviens maintenant où j’avais entendu le nom de Rémora ! C’était pendant le cours d’histoire carthaginoise en première année. Les Rémorains étaient des ennemis des Carthaginois, c’est ça ?
— Oui, mais ils ne le sont pas devenus immédiatement. Lorsque Syracuse est tombée en 254 et que les Carthaginois ont pris le contrôle de l’ensemble de la Sicile, les Rémorains se sont d’abord réjouis du malheur de leurs ennemis. Ce n’est que quelques décennies plus tard, quand Carthage avait déjà conclu de nombreux traités avec les peuples du sud de l’Italie, qu’ils ont compris que les Carthaginois allaient peut-être se révéler bien plus dangereux que les Syracusains ne l’avaient jamais été. À la fin du troisième siècle, Carthage était déjà très puissante : elle contrôlait presque tout le littoral africain, des colonnes d’Hercule à la Grande Syrte, mais aussi une bonne moitié de l’Espagne, les Baléares, la Sicile, la Sardaigne, la Corse… Et, en plus de ses alliés italiens, elle avait d’excellentes relations avec beaucoup de cités grecques, notamment avec Corinthe, qui était alors en pleine résurgence et dominait la mer Égée. De plus en plus inquiète face aux ambitions carthaginoises, Rémora a voulu développer son propre réseau d’alliés, ce qui l’a conduit à tenter une réconciliation avec les cités celtiques du nord de l’Italie. Toutefois, dès que la guerre a éclaté en 216, Milan, la plus puissante d’entre elles, n’a pas hésité à lâcher Rémora et à se rallier à Carthage, et elle a vite été suivie par le reste des Celtes. Rémora s’est donc retrouvée presque seule face à une grande coalition pro-carthaginoise. Celle-ci a rapidement connu d’impressionnants succès, et après une terrible défaite près de Capoue en 212, la République rémoraine était sur le point de capituler… »
La date fit réagir plusieurs jeunes gens.
« C’est au moment de la grande révolte égyptienne !
— Tout à fait, et c’est en fait ce qui a sauvé Rémora. Celle-ci n’était qu’un ennemi secondaire aux yeux des Carthaginois, qui, quand la révolte a éclaté, ont bien compris que c’était une occasion à ne pas manquer et ont redéployé une grande partie de leurs forces en Libye. Rémora a ainsi pu connaître un certain répit. La République était toujours assaillie par les alliés italiens de Carthage, mais elle a réussi à les repousser. Elle avait néanmoins bien conscience que la lutte était loin d’être terminée, et elle a cherché à s’impliquer dans le conflit en Méditerranée orientale en proposant son assistance aux ennemis des Carthaginois. La médiation du roi de Macédoine a permis la conclusion d’un pacte d’assistance entre la République rémoraine et le Troisième Empire babylonien. On sait que des contingents rémorains ont combattu au Proche-Orient aux côtés de leurs alliés. Les archives babyloniennes mentionnent leur présence en Judée, où ils ont participé à la lutte contre les rebelles pro-carthaginois, mais aussi sur le front principal, en Égypte. Vous connaissez tous le monument triomphal élevé à Thèbes par Maharbal Barca. Si vous regardez bien en bas à droite, vous pouvez voir, au milieu des prisonniers babyloniens, quelques captifs macédoniens et rémorains qui défilent sous les yeux du général vainqueur. Les annales de Carthage nous apprennent que le préteur Lucius Cornelius Asiaticus, qui passait pour le meilleur stratège rémorain et à qui avait été confié le commandement de l'armée envoyée en Anatolie, a été défait en 207 près de Sardes par un corps expéditionnaire corintho-carthaginois. Fait prisonnier et risquant d’être envoyé à Carthage pour y être exécuté de manière particulièrement horrible, il préféra se suicider en s’empoisonnant. La nouvelle provoqua une véritable consternation à Rémora, où le sort du préteur fut interprété par beaucoup comme un présage annonçant le destin de la République elle-même. Et, de fait, leur participation à la première guerre punico-babylonienne n’avait rien rapporté aux Rémorains… hormis la haine des Carthaginois. Ceux-ci, sitôt la paix conclue et leur nouveau statut de protecteurs des royaumes d’Égypte et de Judée reconnu par Babylone en… En quelle année, déjà ?
— 201 ! s’empressèrent de répondre plusieurs étudiants.
— Sitôt la paix avec Babylone conclue, donc, Carthage put se tourner à nouveau vers l’Italie. Privée de tous ses alliés et encerclée de toutes parts, Rémora n’avait plus qu’à se préparer pour un baroud d’honneur. Les forces que Carthage avait mobilisées contre eux étaient immenses : au sud, Apuliens, Lucaniens, Samnites, Campaniens, Bruttiens, Grecs de Sicile et d’Italie se joignaient en masse aux troupes venues d’Afrique. Au nord se rassemblaient les armées des Celtes, placées sous commandement milanais et renforcées par leurs alliés venus de Marseille. Malgré un rapport de force aussi défavorable, les Rémorains ne songèrent jamais sérieusement à l’éventualité d’une capitulation. Dans ses Histoires, Hannon de Carthagène, notre source la plus précise sur les événements de cette période en Italie, nous apprend qu’un homme, le sénateur Marcus Porcius, eut une influence considérable sur le moral de ses concitoyens : « combattons avec le courage qui a toujours animé nos aïeux, répétait-il lors de chaque séance du sénat, car jamais les dieux immortels ne permettront que Rémora soit détruite ! », et la cité toute entière semble avoir fait sien son jusqu’au-boutisme. Il faut reconnaître que les Rémorains opposèrent à une si formidable coalition une résistance qui force l’admiration. La guerre dura pas moins de vingt-trois ans. Si l’on n’en parle guère dans les cours d’histoire ancienne, c’est uniquement parce qu’à partir de 196, elle est complètement éclipsée par la deuxième guerre punico-babylonienne. Mais pendant qu’avaient lieu les sièges de Péluse et de Damas, le sac de Jérusalem, les exploits de Callimaque de Corinthe, la bataille de Ninive et tous les autres événements que vous connaissez par cœur, les combats continuaient en Italie et Rémora résistait toujours. Chaque armée que les Carthaginois et leurs alliés parvenaient à détruire était aussitôt remplacée. À la fin de la guerre, comme une grande partie des citoyens avait péri, les Rémorains n’hésitaient même plus à enrôler des esclaves. Refusant toujours de se soumettre, ils finirent néanmoins par plier sous le nombre et c’est en 178 qu’à l’issue d’une terrible bataille de rues qui dura plusieurs jours, le général carthaginois Hasdrubal put faire son entrée dans Rémora. Une troupe d’irréductibles qui, regroupés autour du sénateur Marcus Porcius, s’étaient réfugiés dans le grand temple de Jupiter, sur la colline de l’Aventin, préférèrent mettre le feu à l’édifice et périr dans l’incendie plutôt que de se rendre. La population fut réduite en esclavage, et la ville fut entièrement rasée. Une petite colonie carthaginoise fut fondée sur son emplacement un peu moins d’un siècle plus tard, mais les collines de Rémora n’ont plus été le théâtre d’aucun événement notable depuis cette époque. Sans doute en avaient-elles déjà vu bien assez. Quant à la langue latine… Elle a subsisté pendant encore trois ou quatre siècles dans les campagnes, mais, comme la plupart de ses voisines, elle n’a pas pu résister à la concurrence du phénico-punique et a fini par être supplantée. Aujourd’hui, les habitants de ce qui était le Latium ne parlent plus que l’une ou l’autre des langues italo-sémitiques. »
Ammonios- Messages : 17
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