[CTC01] Les singes de bois
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[CTC01] Les singes de bois
Les singes de bois
Extraits du journal de Kim Ok-gyun.
Je crois que l’histoire de mon pays va drastiquement changer suite aux évènements de ces trois derniers jours. Toutefois nous entrons dans un temps d’incertitude.
Nous étions cinq : Pak Yung-hio, Hong Yeong-sik, Seo Gwang-beom, Soh Jaipil et moi-même. Nous avons comploté pendant des semaines contre la sorcière Min et les Chinois.
La reine Min, la sorcière comme nous l’appelons, car elle ne méritait pas le titre de reine, a passé des années à empoisonner l’esprit de notre Gojong (Roi). Elle a progressivement miné son autorité en plaçant des membres de son clan aux postes clés du pouvoir, en s’alliant au Chinois Qing et en donnant le pouvoir à des étrangers.
En l’espace de deux ans, notre pays est devenu un simple vassal des Qing. Cela a commencé après l’incident d’Imo qui a mis fin à la tentative par le Gojong de moderniser le pays, à l’époque avec l’appui des Japonais. Les soldats et une partie de la population de Hanseong (Seoul) se sont soulevés contre le gouvernement et cela a mis fin aux velléités de modernisation. Il faut dire que les salaires de nombreux soldats n’étaient plus versés et qu’ils trouvaient du sable et du riz moisi dans leurs rations. Il a alors suffi de quelques rumeurs pour mettre le feu aux poudres. Le bruit s’est mis à courir que les officiers japonais allaient prendre la tête de nos unités. Il est vrai que les Japonais allaient aider à moderniser notre armée, mais en tant que conseillers militaires et rien d’autre. Ce fut un terrible gâchis. Plus de 4000 soldats chinois ont alors débarqué dans notre pays pour mettre fin à la rébellion et le Gojong a plié. Il faut dire que Min la sorcière manigançait depuis des années avec les Chinois pour doucement s’emparer du pouvoir. Après avoir ramené l’ordre, les Chinois se sont vu offrir une extraterritorialité judiciaire. En d’autres mots, ils n’avaient plus à être jugés selon nos lois. Ils se sont aussi offert de gros avantages économiques pour favoriser leurs marchants. Des vassaux, voilà ce que nous étions devenus.
Le Daewongun (Prince régent), qui a conservé une grande influence après sa période de régence a fait entrer le loup dans la bergerie malgré ses bonnes intentions. C’est lui qui a choisie Min comme épouse pour son fils. La sorcière était une orpheline, membre du clan Yeoheung Min. Un clan assez peu influent. Pourtant, à peine mariée, la sorcière a progressivement placé des membres de son clan dans les institutions de notre pays et c’est allié aux rivaux du Daewongun. Lorsque le Gojong a accédé au trône à la fin de la régence, le clan Yeoheung Min régnait sur notre pays. L’incident d’Imo a permis au clan Min et aux pseudo-réformistes conservateurs du Sadaedang de mettre en branle leur agenda prochinois pendant que mes camarades et moi-même formions notre parti politique Gaehwadang (Parti des Lumières du Joseon). Pour affirmer leur pouvoir sur notre pays, les Chinois ont créés deux nouvelles institutions : L’Oeamun et le Naeamun. Le premier était en charge des affaires étrangères et du commerce tandis que le second était responsable des questions militaires et des affaires intérieures. Sur recommandation des Chinois, deux conseillers ont été nommés aux Affaires étrangères : l’Allemand Paul Georg von Möllendorff, qui avait servi au sein du service des douanes maritimes en Chine, et le diplomate chinois Ma Jianzhong. Mais l’humiliation ne s’arrêtait pas là. Une nouvelle formation militaire coréenne, le Chingunyeong (Commandement des gardes de la capitale), a également été créée et formée sur le modèle chinois par Yuan Shikai. Les Chinois ont également supervisé la création d’un service douanier maritime coréen, avec von Möellendorff à sa tête. Des étrangers commandaient une partie de nos troupes et le Gojong n’avait plus la main sur la politique du pays.
C’est cette situation qui a favorisée notre parti. Les « illuminés », comme certains nous appelaient. Nous sommes de jeunes coréens bien éduqués et la plupart d’entre nous sont issus de la classe yangban (aristocrates). Nous étions tous impressionnés par les développements du Japon Meiji et désireux de les imiter. Notre groupe dirigeant était très jeune : Pak Yung-hio, issu d’une prestigieuse lignée liée à la famille royale, avait 23 ans, Hong Yeong-sik avait 29 ans, Seo Gwang-beom 25 ans et Soh Jaipil 20 ans. Quant à moi, du haut de mes 33 ans, j’étais l’ainé. Nous avions tous passé du temps au Japon. En 1882, Pak Yung-hio et Seo Gwang-beom avait fait partie d’une mission envoyée au Japon pour s’excuser de l’incident de l’Imo. Je les ai accompagnés et ai fait la rencontre de Fukuzawa Yukichi l’un des modernisateurs du Japon. Tout en étudiant au Japon, j’avais cultivé des amitiés avec des personnalités japonaises influentes et était devenu le leader de facto du groupe. Je ne cache pas que nous avions aussi des aspirations nationalistes en plus de nos volontés de modernisation. Nous souhaitions rendre notre pays véritablement indépendant en mettant fin à l’ingérence chinoise dans les affaires intérieures de la Corée.
Malgré notre popularité en hausse constante, nous n’avions accès à aucun poste clé. Notre seule chance de changer les choses était de nous emparer du pouvoir. Par tous les moyens nécessaires. L’opportunité s’est présentée en août dernier lorsque les Qing se sont retrouvés en conflit avec les Français et Britannique dans l’Annam (Indochine) et ont dû retirer la moitié des troupes présentes dans notre pays. Nous étions alors nettement plus libres de nos mouvements. L’ambassadeur japonais Takezoe Shinichiro servait d’intermédiaire entre nous et son gouvernement. Fukuzawa Yukichi était l’un de nos principaux soutiens auprès du gouvernement d’Itō Hirobumi. Au sein de la légation japonaise d’Hanseong, Ōtori Keisuke allait coordonner l’action de terrain entre notre rébellion et nos alliés.
En octobre nous avions commencé à imprimer des milliers de tracts depuis une imprimerie abritée dans le sous-sol de la légation japonaise. Nous les avons distribués par millier dès les premiers jours de décembre. Une date était présente au bas de chaque tract : 4 décembre 1884. Ce jour-là, nous avons profité d’un banquet célébrant l’ouverture du nouveau bureau de poste pour passer à l’action. Il y avait quelques dignitaires et officiels étrangers et surtout les traitres obéissant à la sorcière Min. Prétextant un incident provoqué par les troupes chinoises près du palais impérial nous nous sommes approchés du Gojong et l’avons escorté en sécurité au Palais de Gyoengu où les troupes de la légation japonaise devaient assurer sa protection. Dans le même temps, une partie des troupes du Chingunyeong, ces mêmes troupes créées par les Chinois, ont fait irruption au banquet pour escorter les dignitaires étrangers dans leurs ambassades et légations et placer les membres du Sadaedang en état d’arrestation. Certains d’entre eux après s’être débattus ou avoir tenté de fuir ont été abattus.
Après avoir avoué la vérité au Gojong, nous lui avons présenté notre programme en quatorze points et l’avons persuadé de régner en son nom plutôt que de déléguer le pouvoir à son épouse. Par chance ou par miracle, il a accepté.
Notre programme circulait dans toute la ville. La proposition de réforme radicale en quatorze points proposait : la fin des relations de la mainmise chinoise sur la politique coréenne, l’abolition du privilège de la classe dirigeante et l’établissement de droits égaux pour tous, la réorganisation du gouvernement en une monarchie constitutionnelle, la révision des lois sur l’impôt foncier, l’annulation du système de prêt de céréales, l’unification de toutes les administrations fiscales internes, la suppression des privilèges des commerciaux en faveur du développement du commerce libre, la création d’un système de police moderne, la création d’une garde royale et des sanctions sévères envers les fonctionnaires corrompus.
Rapidement les 1500 soldats de la garnison chinoise commandée par Yuan Shikai sont entrés en action dans toute la ville pour retrouver notre piste. Cela leur prit peu de temps. Il faut dire nous étions faciles à trouver. Heureusement les soldats japonais nous ont escortés vers leur légation pendant que les Chingunyeong s’interposaient pour nous faire gagner du temps. Les tirs fusaient dans tous les sens et je ne sais même pas comment nous avons pu nous en sortir sans une égratignure. À la légation nous avons retrouvé Ōtori Keisuke et sommes restés à l’abri seulement quelques heures, car durant la nuit les troupes de Yuan Shikai ont commencé à encercler notre refuge. Heureusement les Chingunyeong se battaient fièrement et la population commençait prendre les armes à son tour. Escortés par les Japonais et de nombreux citoyens nous avons passé le reste de la nuit à rouler en direction de Chemulpo (Incheon) à bord de carrioles tractées par des ânes. C’est une situation assez inhabituelle pour un aristocrate même quand il se veut aussi humble que moi, je n’ose même pas imaginer ce que notre Gojong ressentait. Il est resté silencieux et pensif durant tout le trajet, contemplant l’un de nos tracts qu’il avait probablement ramassés durant notre fuite.
Arrivé à Chemulpo nous nous sommes faits discret pendant quelques heures, le regard tourner vers l’ouest et la mer. À la nuit tombée, nous avons été tirés de notre torpeur par le déchainement d’un tonnerre salvateur. Nous nous sommes précipités à l’extérieur pour voir ce qui se passait. Quel ne fut pas notre plaisir de voir que le tonnerre n’était autre que la canonnade par laquelle une vingtaine de navires de guerre japonais s’ouvraient la voie vers le port en coulant les quelques navires chinois. L’affaire fut vite expédiée et les navires japonais ne subir apparemment aucune perte. Sous couvert de la nuit, nous n’avions pas vu grand-chose de la suite des évènements, mais peu avant l’aube des troupes japonaises passèrent à proximité de notre position et Ōtori Keisuke se présenta à leur commandant. Pas moins de sept compagnies d’infanterie avaient déjà débarqué. Immédiatement notre Gojong a demandé à regagner la capitale. Les Japonais nous donnèrent des chevaux pour faire route à leurs côtés. Nous avions alors bien plus fière allure que la veille.
Nous avons atteint Hanseong en début d’après-midi et le cours des évènements avait drastiquement changé. La légation japonaise était en flamme, des cadavres japonais, mais surtout chinois et coréens gisaient dans les rues. Des soldats, beaucoup, mais aussi des civiles. Armés d’outils et de simples épieux, de simples citoyens s’étaient soulevés aux côtés des Chingunyeong pour lutter contre l’oppresseur. Le bruit des combats n’avait pas cessé pour autant. Ils s’étaient simplement déplacés. Alors que nous progressions en direction des combats, des citoyens et des Chingunyeong se joignaient aux corps expéditionnaires japonais et se tenaient prêts pour le combat. Rapidement nous fume rejoins par leur nouveau commandant, un certain Cho Hak-ju (fictif) qui avait pris la tête du Chingunyeong après la mort de plusieurs officiers. Cho nous expliqua que pendant notre absence cette troupe coréenne de fortune s’était donné un nouveau nom : Gaspin Yuggun, l’Armée des singes de bois. Leur nom a d’après moi deux origines. D’abord sous sommes en 1884, une année du singe de bois (Gaspin). Ensuite nous avons commencé à préparer notre révolution en août, le mois du singe de bois.
Alors que je réfléchissais et après quinze minutes d’une avancée prudente, nous étions en vue de la bataille. La peur et l’oppression avaient changé de camps. Les Chinois étaient assiégés dans leur propre légation, plusieurs bâtiments de leurs garnisons étaient en flamme à travers la ville. Notre révolution touchait au but au bout de seulement trois jours. Vous ne pouvez même pas imaginer la liesse qui s’est emparée de nos troupes et de notre peuple lorsque le Gojong a émergé de la colonne japonaise.
Maintenant que les derniers chinois ont capitulé et que la journée se termine, voilà que je vais prendre la tête d’un nouveau gouvernement. Ma mission, mon devoir : réformer, moderniser, reconstruire. Mon inquiétude : la réaction des Qing. Le risque est que notre pays ne puisse pas profiter de son indépendance retrouvée et se transforme en champ de bataille d’une guerre sino-japonaise.
Et la sorcière dans tout ça ? Nous ne savons où elle est passée. Peut-être est-elle morte durant les combats ou peut-être est-elle en ce moment même en train de fuir vers ses maitres Qing avec toute sa clique ? Que le diable l’emporte !
Vive le Gojong ! Vive le Royaume Joseon ! Vive les singes de bois !
Extraits du journal de Kim Ok-gyun.
Je crois que l’histoire de mon pays va drastiquement changer suite aux évènements de ces trois derniers jours. Toutefois nous entrons dans un temps d’incertitude.
Nous étions cinq : Pak Yung-hio, Hong Yeong-sik, Seo Gwang-beom, Soh Jaipil et moi-même. Nous avons comploté pendant des semaines contre la sorcière Min et les Chinois.
La reine Min, la sorcière comme nous l’appelons, car elle ne méritait pas le titre de reine, a passé des années à empoisonner l’esprit de notre Gojong (Roi). Elle a progressivement miné son autorité en plaçant des membres de son clan aux postes clés du pouvoir, en s’alliant au Chinois Qing et en donnant le pouvoir à des étrangers.
En l’espace de deux ans, notre pays est devenu un simple vassal des Qing. Cela a commencé après l’incident d’Imo qui a mis fin à la tentative par le Gojong de moderniser le pays, à l’époque avec l’appui des Japonais. Les soldats et une partie de la population de Hanseong (Seoul) se sont soulevés contre le gouvernement et cela a mis fin aux velléités de modernisation. Il faut dire que les salaires de nombreux soldats n’étaient plus versés et qu’ils trouvaient du sable et du riz moisi dans leurs rations. Il a alors suffi de quelques rumeurs pour mettre le feu aux poudres. Le bruit s’est mis à courir que les officiers japonais allaient prendre la tête de nos unités. Il est vrai que les Japonais allaient aider à moderniser notre armée, mais en tant que conseillers militaires et rien d’autre. Ce fut un terrible gâchis. Plus de 4000 soldats chinois ont alors débarqué dans notre pays pour mettre fin à la rébellion et le Gojong a plié. Il faut dire que Min la sorcière manigançait depuis des années avec les Chinois pour doucement s’emparer du pouvoir. Après avoir ramené l’ordre, les Chinois se sont vu offrir une extraterritorialité judiciaire. En d’autres mots, ils n’avaient plus à être jugés selon nos lois. Ils se sont aussi offert de gros avantages économiques pour favoriser leurs marchants. Des vassaux, voilà ce que nous étions devenus.
Le Daewongun (Prince régent), qui a conservé une grande influence après sa période de régence a fait entrer le loup dans la bergerie malgré ses bonnes intentions. C’est lui qui a choisie Min comme épouse pour son fils. La sorcière était une orpheline, membre du clan Yeoheung Min. Un clan assez peu influent. Pourtant, à peine mariée, la sorcière a progressivement placé des membres de son clan dans les institutions de notre pays et c’est allié aux rivaux du Daewongun. Lorsque le Gojong a accédé au trône à la fin de la régence, le clan Yeoheung Min régnait sur notre pays. L’incident d’Imo a permis au clan Min et aux pseudo-réformistes conservateurs du Sadaedang de mettre en branle leur agenda prochinois pendant que mes camarades et moi-même formions notre parti politique Gaehwadang (Parti des Lumières du Joseon). Pour affirmer leur pouvoir sur notre pays, les Chinois ont créés deux nouvelles institutions : L’Oeamun et le Naeamun. Le premier était en charge des affaires étrangères et du commerce tandis que le second était responsable des questions militaires et des affaires intérieures. Sur recommandation des Chinois, deux conseillers ont été nommés aux Affaires étrangères : l’Allemand Paul Georg von Möllendorff, qui avait servi au sein du service des douanes maritimes en Chine, et le diplomate chinois Ma Jianzhong. Mais l’humiliation ne s’arrêtait pas là. Une nouvelle formation militaire coréenne, le Chingunyeong (Commandement des gardes de la capitale), a également été créée et formée sur le modèle chinois par Yuan Shikai. Les Chinois ont également supervisé la création d’un service douanier maritime coréen, avec von Möellendorff à sa tête. Des étrangers commandaient une partie de nos troupes et le Gojong n’avait plus la main sur la politique du pays.
C’est cette situation qui a favorisée notre parti. Les « illuminés », comme certains nous appelaient. Nous sommes de jeunes coréens bien éduqués et la plupart d’entre nous sont issus de la classe yangban (aristocrates). Nous étions tous impressionnés par les développements du Japon Meiji et désireux de les imiter. Notre groupe dirigeant était très jeune : Pak Yung-hio, issu d’une prestigieuse lignée liée à la famille royale, avait 23 ans, Hong Yeong-sik avait 29 ans, Seo Gwang-beom 25 ans et Soh Jaipil 20 ans. Quant à moi, du haut de mes 33 ans, j’étais l’ainé. Nous avions tous passé du temps au Japon. En 1882, Pak Yung-hio et Seo Gwang-beom avait fait partie d’une mission envoyée au Japon pour s’excuser de l’incident de l’Imo. Je les ai accompagnés et ai fait la rencontre de Fukuzawa Yukichi l’un des modernisateurs du Japon. Tout en étudiant au Japon, j’avais cultivé des amitiés avec des personnalités japonaises influentes et était devenu le leader de facto du groupe. Je ne cache pas que nous avions aussi des aspirations nationalistes en plus de nos volontés de modernisation. Nous souhaitions rendre notre pays véritablement indépendant en mettant fin à l’ingérence chinoise dans les affaires intérieures de la Corée.
Malgré notre popularité en hausse constante, nous n’avions accès à aucun poste clé. Notre seule chance de changer les choses était de nous emparer du pouvoir. Par tous les moyens nécessaires. L’opportunité s’est présentée en août dernier lorsque les Qing se sont retrouvés en conflit avec les Français et Britannique dans l’Annam (Indochine) et ont dû retirer la moitié des troupes présentes dans notre pays. Nous étions alors nettement plus libres de nos mouvements. L’ambassadeur japonais Takezoe Shinichiro servait d’intermédiaire entre nous et son gouvernement. Fukuzawa Yukichi était l’un de nos principaux soutiens auprès du gouvernement d’Itō Hirobumi. Au sein de la légation japonaise d’Hanseong, Ōtori Keisuke allait coordonner l’action de terrain entre notre rébellion et nos alliés.
En octobre nous avions commencé à imprimer des milliers de tracts depuis une imprimerie abritée dans le sous-sol de la légation japonaise. Nous les avons distribués par millier dès les premiers jours de décembre. Une date était présente au bas de chaque tract : 4 décembre 1884. Ce jour-là, nous avons profité d’un banquet célébrant l’ouverture du nouveau bureau de poste pour passer à l’action. Il y avait quelques dignitaires et officiels étrangers et surtout les traitres obéissant à la sorcière Min. Prétextant un incident provoqué par les troupes chinoises près du palais impérial nous nous sommes approchés du Gojong et l’avons escorté en sécurité au Palais de Gyoengu où les troupes de la légation japonaise devaient assurer sa protection. Dans le même temps, une partie des troupes du Chingunyeong, ces mêmes troupes créées par les Chinois, ont fait irruption au banquet pour escorter les dignitaires étrangers dans leurs ambassades et légations et placer les membres du Sadaedang en état d’arrestation. Certains d’entre eux après s’être débattus ou avoir tenté de fuir ont été abattus.
Après avoir avoué la vérité au Gojong, nous lui avons présenté notre programme en quatorze points et l’avons persuadé de régner en son nom plutôt que de déléguer le pouvoir à son épouse. Par chance ou par miracle, il a accepté.
Notre programme circulait dans toute la ville. La proposition de réforme radicale en quatorze points proposait : la fin des relations de la mainmise chinoise sur la politique coréenne, l’abolition du privilège de la classe dirigeante et l’établissement de droits égaux pour tous, la réorganisation du gouvernement en une monarchie constitutionnelle, la révision des lois sur l’impôt foncier, l’annulation du système de prêt de céréales, l’unification de toutes les administrations fiscales internes, la suppression des privilèges des commerciaux en faveur du développement du commerce libre, la création d’un système de police moderne, la création d’une garde royale et des sanctions sévères envers les fonctionnaires corrompus.
Rapidement les 1500 soldats de la garnison chinoise commandée par Yuan Shikai sont entrés en action dans toute la ville pour retrouver notre piste. Cela leur prit peu de temps. Il faut dire nous étions faciles à trouver. Heureusement les soldats japonais nous ont escortés vers leur légation pendant que les Chingunyeong s’interposaient pour nous faire gagner du temps. Les tirs fusaient dans tous les sens et je ne sais même pas comment nous avons pu nous en sortir sans une égratignure. À la légation nous avons retrouvé Ōtori Keisuke et sommes restés à l’abri seulement quelques heures, car durant la nuit les troupes de Yuan Shikai ont commencé à encercler notre refuge. Heureusement les Chingunyeong se battaient fièrement et la population commençait prendre les armes à son tour. Escortés par les Japonais et de nombreux citoyens nous avons passé le reste de la nuit à rouler en direction de Chemulpo (Incheon) à bord de carrioles tractées par des ânes. C’est une situation assez inhabituelle pour un aristocrate même quand il se veut aussi humble que moi, je n’ose même pas imaginer ce que notre Gojong ressentait. Il est resté silencieux et pensif durant tout le trajet, contemplant l’un de nos tracts qu’il avait probablement ramassés durant notre fuite.
Arrivé à Chemulpo nous nous sommes faits discret pendant quelques heures, le regard tourner vers l’ouest et la mer. À la nuit tombée, nous avons été tirés de notre torpeur par le déchainement d’un tonnerre salvateur. Nous nous sommes précipités à l’extérieur pour voir ce qui se passait. Quel ne fut pas notre plaisir de voir que le tonnerre n’était autre que la canonnade par laquelle une vingtaine de navires de guerre japonais s’ouvraient la voie vers le port en coulant les quelques navires chinois. L’affaire fut vite expédiée et les navires japonais ne subir apparemment aucune perte. Sous couvert de la nuit, nous n’avions pas vu grand-chose de la suite des évènements, mais peu avant l’aube des troupes japonaises passèrent à proximité de notre position et Ōtori Keisuke se présenta à leur commandant. Pas moins de sept compagnies d’infanterie avaient déjà débarqué. Immédiatement notre Gojong a demandé à regagner la capitale. Les Japonais nous donnèrent des chevaux pour faire route à leurs côtés. Nous avions alors bien plus fière allure que la veille.
Nous avons atteint Hanseong en début d’après-midi et le cours des évènements avait drastiquement changé. La légation japonaise était en flamme, des cadavres japonais, mais surtout chinois et coréens gisaient dans les rues. Des soldats, beaucoup, mais aussi des civiles. Armés d’outils et de simples épieux, de simples citoyens s’étaient soulevés aux côtés des Chingunyeong pour lutter contre l’oppresseur. Le bruit des combats n’avait pas cessé pour autant. Ils s’étaient simplement déplacés. Alors que nous progressions en direction des combats, des citoyens et des Chingunyeong se joignaient aux corps expéditionnaires japonais et se tenaient prêts pour le combat. Rapidement nous fume rejoins par leur nouveau commandant, un certain Cho Hak-ju (fictif) qui avait pris la tête du Chingunyeong après la mort de plusieurs officiers. Cho nous expliqua que pendant notre absence cette troupe coréenne de fortune s’était donné un nouveau nom : Gaspin Yuggun, l’Armée des singes de bois. Leur nom a d’après moi deux origines. D’abord sous sommes en 1884, une année du singe de bois (Gaspin). Ensuite nous avons commencé à préparer notre révolution en août, le mois du singe de bois.
Alors que je réfléchissais et après quinze minutes d’une avancée prudente, nous étions en vue de la bataille. La peur et l’oppression avaient changé de camps. Les Chinois étaient assiégés dans leur propre légation, plusieurs bâtiments de leurs garnisons étaient en flamme à travers la ville. Notre révolution touchait au but au bout de seulement trois jours. Vous ne pouvez même pas imaginer la liesse qui s’est emparée de nos troupes et de notre peuple lorsque le Gojong a émergé de la colonne japonaise.
Maintenant que les derniers chinois ont capitulé et que la journée se termine, voilà que je vais prendre la tête d’un nouveau gouvernement. Ma mission, mon devoir : réformer, moderniser, reconstruire. Mon inquiétude : la réaction des Qing. Le risque est que notre pays ne puisse pas profiter de son indépendance retrouvée et se transforme en champ de bataille d’une guerre sino-japonaise.
Et la sorcière dans tout ça ? Nous ne savons où elle est passée. Peut-être est-elle morte durant les combats ou peut-être est-elle en ce moment même en train de fuir vers ses maitres Qing avec toute sa clique ? Que le diable l’emporte !
Vive le Gojong ! Vive le Royaume Joseon ! Vive les singes de bois !
Note de l’auteur : Quand j’ai choisi le thème du moi dans ma liste je me suis dit que ce serait un thème inspirant en termes d’uchronie. Pourtant il m’a fallu plus d’une journée pour trouver une idée. J’ai alors repensé à une idée que j’avais griffonnée dans un coin : et si le coup d’État de Gaspin avait débouché sur une guerre sino-japonaise avant l’heure. J’ai donc déterré cette idée. Peut-être qu’il y aura une suite un jour.
Dernière édition par Thomas le Mer 10 Juin - 20:56, édité 2 fois
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« Ce n’est que devant l’épreuve, la vraie, celle qui met en jeu l’existence même, que les hommes cessent de se mentir et révèlent vraiment ce qu’ils sont. »
Alexandre Lang.
Au Bord de l'Abîme et au-delà
Re: [CTC01] Les singes de bois
Très joli texte !
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1940 : Mandel continue la guerre depuis l'exil.
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LFC/Emile Ollivier- Messages : 2721
Date d'inscription : 26/03/2016
Age : 35
Re: [CTC01] Les singes de bois
Merci
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Au Bord de l'Abîme et au-delà
Re: [CTC01] Les singes de bois
J'indique juste un lapsus ici : Il est vrai que les Japonais allaient aider à moderniser notre armée, mais en tant que conseillés -conseillers - militaires et rien d’autre.
Re: [CTC01] Les singes de bois
Merci.Collectionneur a écrit:J'indique juste un lapsus ici : Il est vrai que les Japonais allaient aider à moderniser notre armée, mais en tant que conseillés -conseillers - militaires et rien d’autre.
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