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[CTC01] Tyrannie

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Message par Eumène de Cardie Lun 20 Avr - 0:39

Alors que les hommes s’apprêtaient à donner le dernier coup de rame pour hisser le navire sur la grève, un cri du capitaine les arrêta net dans leur élan. Une quinzaine de cavaliers venaient d’apparaître au sommet de la crête de la falaise dominant la plage d’Aigos Potamos. Des Thraces pour la plupart, à en croire leurs vêtements. L’un d’entre eux toutefois se démarquait par son cheval, un splendide étalon, son armure, une cuirasse de bronze richement ouvragée et un casque tout aussi splendide, et la déférence que ses compagnons avaient pour lui. 


Le stratège Conon jura comme seuls savent le faire les soldats. L’homme sur son étalon ne pouvait être qu’Alcibiade. Le bel Alcibiade, l’élève de Socrate, le charmeur de tout Athènes. Alcibiade le promoteur de la désastreuse expédition de Sicile, le conseiller des Spartiates grâce auquel les rois lacédémoniens pouvaient ravager l’Attique en toute impunité, Alcibiade l’homme qui avait mis les Perses clairement dans le camp des ennemis d’Athènes. 
Alcibiade l’homme qui a rétabli la démocratie athénienne lors des évènements de Samos, le général vainqueur d’Abydos et de Cyzique, mais aussi, par la confiance mal placée en son timonier, le vaincu en son absence de Notion. 


Et le voici à présent sur la plage où s’apprête à accoster la dernière grande flotte d’Athènes, la seule chance pour la mère patrie d’enfin écraser les Spartiates. Que faut-il faire ?


Toute la nuit les stratèges et Alcibiade vont discuter, négocier, se disputer, mais au petit matin tout le monde est d’accord. A chaque fois qu’Alcibiade a donné un conseil à quelqu’un il s’est avéré bon, pour le bonheur de son ami du moment, à l’exception bien sur des conseils impliquant des femmes… Alors la flotte va lui faire confiance. Il faut absolument vaincre Lysandre, enfermé dans le port de Lampsaque. 


Le jour venu le stratagème est mis en place. Profitant des courants, des troncs de bois gorgés d’eau sont secrètement lâchés depuis les trières athéniennes afin que Poséidon les entraîne vers la flotte ennemie. Un petit groupe d’une trentaine de navires suit lentement les troncs, semblant être une proie facile pour l’escadre spartiate. Lysandre ne peut retenir ses hommes, ils mettent leurs navires à la mer et se précipitent vers les Athéniens. Peu après la sortie du port c’est la catastrophe : les troncs viennent heurter les coques,  les crèvent même dans certains cas. Dans d’autres cas se sont les rames qui se fracassent contre les obstacles submergés, blessant les rameurs. Une quinzaine de navires est endommagée, un douzième de la flotte spartiate. 


Saisissant l’opportunité, les trentes Athéniens censés servir d'appât se jettent sur les Spartiates : huit navires sont capturés, les autres coulés. Les autres navires spartiates n’osent pas sortir du port de peur de subir le même sort que leurs frères d’armes. La victoire est importante, elle remonte le moral des Athéniens après une série de défaites. 


Pendant que la foule des habitants de Lampsaque contemplait la bataille navale, une armée de Thrace s’approche de la ville et bientôt les sentinelles lancent l’alerte. Les Thraces sont des mercenaires payés par Alcibiade et les Athéniens. Ce qu’ils n’ont pas en terme de sagesse ils l’ont en terme de férocité ! Sous la conduite de deux stratèges athéniens et d’Alcibiade lui-même ils se précipitent vers les murs, des chevaux portant des échelles préparées en secret pour prendre d’assaut la ville alors que la plupart des marins et soldats de Lysandre sont encore à bord de leurs navires. 


Le plan réussit et le soir même les Athéniens banquêtent sur les provisions des Spartiates. Le triomphe est total, pas un seul des 180 navires de Lysandre n’a pu s’échapper. Le vice-amiral lacédémonien lui-même a été capturé, blessé et inconscient, de même qu’une soixantaine de spartiates de pur sang. C’est une victoire inédite depuis la capture de Sphactérie ! 


Alcibiade est fêté en héro par toute la flotte. Dans la plus luxueuse demeure de la ville conquise il célèbre son triomphe en compagnie des stratèges, Conon et Philoclès. Des deux c’est Conon qui est le plus proche du flamboyant aristocrate, ensemble ils donnent vie au symposion. Théodoté, la plus belle des hétaïres d’Athènes et maîtresse de longue date d’Alcibiade, vient apporter une touche féminine à la célébration : aussi cultivée que son amant, elle dont Socrate lui même a admiré la beauté avant de demander à ses disciples si c’est elle qui leur a fait le plus beau cadeau en se montrant à eux ou eux qui le lui ont fait en répandant la nouvelle de sa beauté… 


La victoire est arrivée à point nommé car justement un important convoi de grain vient de franchir l’Hellespont afin de ravitailler Athène assiégée par l’armée royale lacédémonienne. Dans leurs cales les navires transportent assez de blé pour nourrir la ville au moins six mois… 


Au lendemain de la victoire de nouveaux plans sont dressés. Conon et Alcibiade vont revenir à Athènes avec un quart de la flotte, chargés d’escorter les navires marchands. Philoclès, lui, utilisera les navires spartiates capturés pour tenter de capturer plusieurs villes spartiates par la ruse avant que la nouvelle de la défaite de Lysandre ne se répande. Les mercenaires thraces lui fourniront un complément d’infanterie bien nécessaire. 


A leur arrivée au Pirée Conon et Alcibiade furent fêtés en héros. On décréta un sacrifice en l’honneur de leur victoire et l’on envoya un héraut aux rois de Sparte pour les informer de la défaite de leur flotte et de la capture de leur amiral et de ses soldats. Les décrets qui avaient été pris contre Alcibiade après la défaite de Notion furent levés, et le neveu de Périclès fut une nouvelle fois désigné stratège. Des volontaires s’engagèrent immédiatement sous les ordres des deux hommes et embarquèrent à bord des transports tout juste déchargés de leur blé afin de remonter dans l’Hellespont pour y renforcer les équipages des navires de Philoclès et des navires capturés. Pour la première fois depuis l’expédition de Sicile Athènes disposait de plus de 250 navires opérationnels. 


La saison était déjà bien avancée, mais la flotte parvint toutefois à reprendre toutes les cités de la côte thrace tombées aux mains des spartiates et, sur le chemin du retour, à libérer la grande île d’Eubée. Les ressources d’Athènes furent grandement accrues par cette série de victoires, mais cela n’était pas suffisant. Il fallait empêcher que les Spartiates maintiennent leur occupation de l’Attique, et la meilleure stratégie était sans doute de reprendre celle qui avait donné de si bon résultats au début de la guerre : capturer des places fortes sur les côtes du Péloponnèse et inciter hilotes et esclaves à fuir ou se révolter, voir même, si possible, créer les conditions d’une seconde Sphactérie. 


Conon fut chargé de cette tâche, usant pour se faire d’un tiers de la flotte et de tous les mercenaires thraces : ce n’était pas une force avec laquelle affronter les hoplites lacédémoniens mais bien une force de raids et de coups de mains, de pillages et de ravages. 


Alcibiade, lui, avait une autre tâche à mener, diplomatique celle là. Il fallait absolument convaincre les Perses de cesser leur support aux Spartiates. Ici encore il parvint à ses fins malgré sa réputation plus que ternie : le support de Tissapherne est décisif, mais il parvient aussi à négocier l’arrêt des subsides que Pharnabaze envoyait aux Spartiates. Cyrus le jeune, à qui il transmet une lettre du spartiate Lysandre, accepte également de cesser de se mêler du conflit. A la fin de l’automne Alcibiade peut rentrer à Athènes avec le sens du devoir accompli. Il rentre juste à temps pour voir revenir la flotte de Conon, lequel a atteint ses objectifs et laissé derrière lui plusieurs fortins destinés à pourrir la vie des Lacédémoniens. 


La raison de l’exil d’Alcibiade dix ans plus tôt avait été le scandale des Hermes mutilés, que beaucoup pensaient être la marque d’un complot visant à établir une oligarchie aristocratique à la tête d’Athènes et dont Alcibiade aurait été le leader, ce dont il s’était toujours défendu. Mais en cet hivers de son 45ème anniversaire la situation avait bien changé : combien de fois la démocratie n’avait-elle pas mis à mort ses propres généraux et politiciens contre tout sens commun ? 


Alcibiade et Conon profitèrent de l’hivers pour mettre au point leur plan. Usant de leur aura, ils parviennent à convaincre une partie de la jeunesse aristocratique de les soutenirs. Les séances de philosophie chez Socrate, dont Alcibiade est le meilleur disciple, voient souvent les débats tourner autour de questions politiques. Ces débats auront une grande influence sur les jeunes Platon et Xénophon, des adolescents qui voyaient dans ces séances l’opportunité d’approcher les plus grands généraux d’Athènes. 


C’est finalement au printemps que les deux conjurés frappent. Tout d’abord ils parviennent à faire condamner Philoclès pour de sois-disant détournements durant sa campagne de reconquête de l’Hellespont. Condamné, l’homme s’enfuit dans la nuit et va chercher refuge en Grande Grèce. Ensuite un homme de paille présente à l’ekklesia une motion visant à réorganiser l’Etat. Une habile campagne de propagande auprès du peuple convain une majorité de voter les pleins pouvoirs à Conon et Alcibiade Ils sont désormais les seuls détenteurs du pouvoir à Athènes, du moins pour tout ce qui touche aux affaires étrangères et à la guerre. Stratège éponymes, ils disposent du droit de veto sur toutes les décisions de leurs collègues “simples” stratèges dans ce domaine. De même ils disposent d’une immunité juridique durant leur mandat de cinq ans ou jusqu’à la fin de la guerre, selon ce qui arrive en premier. 


Au cours de la saison de campagne ils mènent plusieurs attaques audacieuses. D’abord les deux généraux convoquent l’armée très tôt dans la saison pour lancer une attaque sur l’isthme de Corinthe selon un plan novateur : au nord une flotte constituée en secret à Aigosthena, sur le golf de Corinthe, attaque la ville par la mer sous le commandement d’Alcibiade au moment où les hoplites athéniens sous les ordres de Conon se présentent sous les murs de la vieille cité commerçante


La surprise est totale et les Péloponnésiens n’ont pas le temps de rassembler leur armée pour venir en aide à la cité de Corinthe qui est prise. Seule la garnison de l'Acrocorinthe résiste grâce à sa position exceptionnelle mais Alcibiade et Conon n’en ont cure : laissant assez de forces que pour maintenir la garnison coincée et tenir la ville, ils concentrent le gros des troupes d’hoplites, près de 8000 hommes, sous le commandement de Conon pour la suite des opérations terrestres tandis qu’Alcibiade embarque à bord de la flotte principale forte de 200 navires et près de 60 000 hommes, largement issus des cités alliées ou des rameurs mercenaires, pour mener une attaque directement contre la ville de Sparte.


Comme prévu l’armée Spartiate masse ses forces et progresse vers le nord en vue d’attaquer les Athéniens désormais renforcés par les forces d’Argos, la ville souhaitant se libérer du joug spartiate. Les forces en présence sont énormes : près de 13 000 hommes côté athénien, contre 15 000 pour la ligue du Péloponnèse, dont 9000 Spartiates et un milliers de réfugiés corinthiens. 


Dès qu’il a la certitude du départ de l’armée lacédémonienne pour le nord, Alcibiade vogue pour Gythion et capture le port de Sparte, accroissant au passage sa flotte de quinze navires. Il lance alors ses mercenaires Thraces à l’assaut de Sparte. Il sait qu’il n’y a pas vraiment de ville mais plutôt de nombreux villages et de grands domaines agricoles, mais qu’à cela ne tienne, l'important est de faire un maximum de ravages et d’affaiblir l’ennemi jusqu’à lui faire demander une paix favorable à Athènes. 


Durant ces raids plusieurs centaines de femmes, d’enfants et de vieillards sont tués par les Thraces, mais les terres des deux rois restent intact et leurs familles inviolées. De même les terres de la famille d’Endios, l’homme qui l’avait accueilli à l’entame de sa période d’exil dix ans plus tôt.


Face au désastre les rois spartiates décident de diviser leur armée : deux tiers, sous le commandement d’Agis II, empêchera l’avancée des hoplites Argiens et Athéniens pendant que le reste, sous les ordres de Pausanias, repoussera les pillards. Cependant Conon n’attendait que cela : patientant jusqu’au milieu de journée du lendemain après que ses éclaireurs lui aient rapporté les mouvements Spartiates, il va fondre sur l’armée du vainqueur de Mantinée contre lequel les Argiens souhaitent ardemment prendre leur revanche. 


Conon est un expert des batailles navales et connaît toute l’efficacité des troupes légères face aux hoplites lorsque les bonnes conditions sont réunies. La position défensive d’Agis, au point le plus étroit d’une passe conduisant vers la plaine de Mantinée, est bonne pour faire face aux hoplites, bien plus nombreux mais ne pouvant utiliser toute leur masse, de Conon. C’est pourquoi ce dernier envoie de l’infanterie légère, mélange de javeliniers et de mercenaires Thraces, attaquer la phalange lacédémonienne sur ses flancs, nuisant gravement à la cohésion des Spartiates et de leurs alliés qui ne peuvent aller déloger l’infanterie légère athénienne en raison de ses lourdes armures. 


Agis II est contraint à la retraite avec de lourdes pertes, près de cinq cent tués, heureusement essentiellement dans les rangs des alliés et des périèques, mais il espère toutefois avoir laissé assez de temps à son collègue pour sécuriser les arrières. Par ailleurs malgré sa défaite son armée se retire en bon ordre vers la ville de Mantinée, 


De son côté Pausanias a fait demi-tour avec les plus jeunes des soldats de l’armée spartiate et alliée, retournant à marche forcée en Laconie. Dans sa hâte il ne prend pas suffisamment le temps de s’assurer que la route est libre : dans une passe à l’entrée du territoire spartiate son avant garde tombe victime d’une embuscade tendue par l'infanterie légère de marine athénienne. 


Le plan d’Alcibiade ne tient cependant pas suffisamment compte de l'entraînement spartiate : ce territoire est celui où ces jeunes soldats ont passé toute leur jeunesse, ils en connaissent les moindres recoins. Réagissant rapidement, une mora d’infanterie passe par des chemins de traverse pour prendre les assaillants à revers, les forçant à fuir prématurément. Les pertes athéniennes sont cependant légères tandis que les Spartiates comptent une centaine de morts et le double de blessés incapables de prendre part à une nouvelle bataille. 


Estimant son objectif atteint et espérant que Conon a réussi à vaincre Agis, Alcibiade entame une retraite vers Gythion, emmenant avec lui une large part de la richesse de Sparte et envoyant un fort contingent en Messenie pour pousser les hilotes à la révolte, ou plutôt pour les aider dans leur émancipation car les hilotes n’ont pas attendu qu’on les y invite pour commencer le combat ! 


La flotte retourne bientôt à Argos, où les hommes débarquent et se mettent immédiatement en route pour la plaine de Mantinée par la route côtière au sud de la ville : Alcibiade a avec lui 1500 hoplites et 2000 hommes d’infanterie légère, archers et javeliniers pour la plupart, avec lesquels il entends bien bloquer la route de retraite d’Agis en se positionnant à hauteur de Tégée, d’où il peut se porter rapidement vers les diverses passes menant en Laconie. Un messager envoyé à Conon depuis Argos informe le stratège du plan de son collègue et le conduit à maintenir la pression contre Agis, lequel a été informé de la retraite d’Alcibiade et de la situation en Messenie. Pausanias lui a renvoyé la meilleure moitié de ses troupes, mais doit garder le reste pour restaurer l’ordre et protéger les civils. 


Au terme d’une éprouvante marche de nuit deux morai de jeunes spartiates arrivent au camp d’Agis. Ils ont parcouru plus de 150 kilomètres en armure en quatre jours seulement, menant une bataille et plusieurs escarmouches en cours de route. Agis se rend bien compte qu’ils n’ont pratiquement plus de force et va donc les placer en dernier rang de son armée, laissant les hommes d’âge mûr au premier rang. Ce faisant il réorganise tout le corps d’armée purement spartiate mais la grande discipline et l'entraînement régulier aux manoeuvres en unité fait que chacun connaît sa place et que le changement de position des hommes n’entraîne chez eux aucune confusion. 
Au petit matin l’armée de Conon s’avance sur la plaine de Mantinée et offre la bataille. Agis sait qu’il n’a pas le choix et doit absolument forcer la bataille et retourner en Laconie pour y restaurer l’ordre. Malgré les conditions défavorables à son armée, et notamment le soleil dans les yeux en début de journée, il décide de livrer le combat dès le matin. Les deux phalanges étirent leurs lignes sur le site même où Sparte avait triomphé de Mantinée et Argos une douzaine d’années plus tôt. C’est là ce que l’on appellera plus tard l’erreur 404, la bataille qui marqua la fin de la puissance de Sparte. 


Les deux armées ont la même taille, près de 13 000 hommes de chaque côté, le même équipement et la même volonté d’en finir à jamais. Les Athéniens et leurs alliés ont un superbe moral, car la rumeur du sac de la Laconie s’est répandue comme une traînée de poudre dans leur camp. Côté Spartiate la même nouvelle a causé consternation et tristesse, mais esprit de revanche également car il n’est pas un spartiate qui ne pleure au moins un proche, voir même toute sa famille. 


Conon et Alcibiade avaient beaucoup réfléchi au déroulement de la bataille. Personne n’avait vaincu de phalange spartiate en bataille rangée depuis des siècles, il fallait trouver un moyen neuf de remporter la bataille sans quoi tout espoir devait être abandonné. La solution fut inspirée par certaines tactiques navales : l’aile gauche des Athéniens, opposée à l’élite spartiate, refuserait le combat et maintiendrait une ligne oblique par rapport à celle de leurs adversaires : avec un peu de chance l’aile droite des Athéniens, occupées par le contingent d’Argos, parviendrait à défaire leurs opposants, à priori les alliés péloponnésiens plus faibles, et à remonter ainsi la ligne ennemie. 


Si Agis fut surpris par cette nouveauté il n’en laissa rien paraître et engagea le combat avec confiance. Ce sur quoi il n’avait toutefois pas compté était l’arrivée soudaine d’Alcibiade et de ses troupes dans le dos de sa phalange ! Poussé par le bruit de la bataille, et par la crainte de voir Pausanias revenir avant que la bataille ne soit achevée, l’armée d’hoplites de marine et d’infanterie légère d’Alcibiade força la marche et arriva au meilleur moment, alors que les forces d’Agis étaient pleinement engagées et avancée dans dans un emplacement coincé entre la phalange athénienne sur deux flancs, le terrain rocailleux des collines sur la droite et la phalange d’Alcibiade sur l’arrière. 


Mieux encore, arrivant en longeant les collines qui définissent la partie orientale de la plaine de Mantinée, Alcibiade et ses hommes étaient arrivés juste derrière l’aile droite de l’armée Spartiate, celle de l’élite de l’ennemi et celle où se tenait le roi Agis en personne… 


Pris en tenaille, ce groupe de soldats qui forment le coeur de l’esprit même de la cité de Sparte et rassemble ses meilleurs vétérans résiste mais ne peut faire face : comme aux Thermopyles la crème de l’armée spartiate et son roi périssent sur le champ de bataille. L’aile gauche de l’armée péloponnésienne, composée comme d’habitude des alliés de Sparte et opposée à la crème de l’alliance atheno-argienne, constatant la destruction de l’élite de leur armée, commence à se démoraliser. 


Bientôt les quelques fuyards isolés se transforment en une vraie déroute. Les quelques dizaines de cavaliers athéniens profitent de l’occasion pour entrer dans la bataille, pourchassant les fuyards. Certains des jeunes aristocrates du cercle de Socrate, regroupés autour du jeune Xénophon, sont particulièrement efficaces


La défaite marque une vrai révolution dans l’histoire de la Grèce. Pour la première fois une cité domine complètement l’Hellade, sans aucun rival à même de contester sa puissance. Alcibiade, à l’âge de 45 ans, était devenu le maître de la Grèce. Car même si Conon était officiellement le stratège en charge de l’armée, c’était l’intervention d’Alcibiade qui avait causé la victoire finale. De même c’était lui qui avait su négocier le retrait de la Perse et défini les stratégies ayant conduit à ce triomphe. 


Les deux stratèges restèrent quatre jours sur les ruines du champ de bataille, érigeant un trophée et organisant la crémation des morts. Le coût humain du triomphe avait été lourd pour Athènes : 1500 hoplites étaient morts, la plupart face à l’aile droite des Spartiates, et 2000 hommes de leur infanterie légère. Mais le massacre avait été bien pire chez les Lacédémoniens : près de 3000 Spartiates avaient péris, dont plus de 500 au moment du contact entre la phalange d’Alcibiade et le dos de la phalange d’Agis. 
Ces pertes étaient catastrophiques pour Sparte, représentant un tiers de la population mâle adulte de la cité, et 2000 autres avaient été capturés. Chez les alliés de Sparte les pertes étaient aussi lourdes, la cavalerie athénienne ayant été particulièrement meurtrière : près d’un millier de corps avaient été relevés sur le champ de bataille pour seulement une poignée d’Athéniens. 


Après avoir rendu les derniers rites aux défunts et envoyé les urnes contenant les cendres des Athéniens tombés au combat à la flotte en vue de leur rapatriement, Alcibiade et Conon prirent le chemin de la Laconie. Prudents, ils franchirent les passes après avoir vérifié que Pausanias n’entendait pas leur jouer le tour qu’Alcibiade lui avait joué quelques jours plus tôt… 


Mais nul ne s’opposa à leur marche avant qu’ils n’arrivent sur les rives de l’Eurotas. Là les restes de l’armée spartiate les attendait. Toutes les réserves de la cité avaient été mobilisées, même les vieillards trop âgés pour partir en campagne. Au total près de 5000 hoplites spartiates, dont plus de la moitié portant des blessures et encore fatigués de la bataille, et trois mille lanceurs de javelots, frondeurs et autres troupes légères. Pratiquement aucun contingent allié n’était présent : les Spartiates seraient seuls pour défendre leurs foyers. 


Face à eux douze mille Athéniens et Argiens formaient la phalange, appuyés par six mille troupes légères. Même avec l’avantage défensif fournit par le lit de l’Eurotas la situation semblait sans issue pour les défenseurs. Les Athéniens avaient tout simplement assez de troupes que pour dépasser la ligne spartiate et les prendre à revers… 


Mais Pausanias n’est ni Agis ni Lysimaque et Agesilaus n’a pas encore été formellement nommé roi de la lignée eurypontide : Pausanias est seul aux commandes de l’état et sa position a toujours été de trouver une paix modérée avec Athènes. Maintenant que l’ennemi est aux portes, la Messénie en révolte, les hilotes libérés et la ville même sous la menace des armes d’Athènes, il est parvenu à convaincre la gérousie et les éphores de demander la paix : les pertes sont trop importantes, la survie même de la nation est en jeu car le taux de natalité des spartiates est réputé pour sa faiblesse comparée aux autres cités. 


C’est donc sous un rameau d’olivier que Pausanias et les éphores s’avancent vers les Athéniens. Alcibiade et Conon les reçoivent devant leurs lignes, debout. Là Conon entame la discussion en disant qu’il lui suffit de traverser un ruisseau pour que son lit asséché se remplisse de sang. Pausanias lui répond d’un mot : “si”. Alcibiade réplique alors : “si nous devons le faire, nous le ferons, pas de “si” à ce sujet. Les Athéniens parlent peut-être plus que les Spartiates mais ils agissent sur leurs mots”. 


Pausanias le regarde et contemple les rangs de soldats derrière l’Athénien avant de répondre. Les deux hommes se connaissent bien, ayant eu de nombreux échanges durant l’exil spartiate d’Alcibiade, exil brutalement achevé suite aux relations extra maritales du réfugié avec la femme d’Agis II. “Serais tu venu chercher une veuve ou récupérer ton fils ?” L’athénien lui répond alors : “Non, Timaea ne m’a pas donné de fils car elle est une spartiate et ces femmes ne donnent naissance qu’à des spartiates, hors je suis un Athénien”. 


Crachant par terre, Pausanias demande ensuite aux deux stratèges leurs conditions pour mettre fin à la guerre. Les conditions sont dures : paiement de larges indemnités pendant autant d’années qu'a duré le conflit, interdiction de posséder une flotte, libération définitive des hilotes et de la Messénie… 


Les éphores refusent tout net. Ce sera donc la bataille. Elle sera terrible, acharnée, sans pitié. Comme prévu un contingent Athénien parvient à tourner le flanc Spartiate et à forcer le retrait des guerriers dans les rues de ce qui sert de centre à Sparte. Sur les toits des femmes lancent des tuiles pour soutenir leurs hommes, certaines d’entre elles, adeptes de la chasse, sortent même de chez elles armées d’arcs ou de lances. Le combat dure jusqu’à la nuit tombée, heure à laquelle les deux stratèges ordonnent le replis sur les rives de l’Eurotas en emportant les morts athéniens et argiens, dont Conon, tombé dans l’enceinte du sanctuaire d’Artémis Orthia. 


Le lendemain matin Pausanias, blessé, revient en compagnie des trois éphores survivant. Ils acceptent les conditions offertes la veille par Alcibiade et Conon. Alcibiade refuse : trop de sang a coulé. Pausanias propose alors de doubler les indemnités dues, et le stratège accepte. La guerre du Péloponèse s'achève à ce moment. 


De retour à Athènes Alcibiade est fêté en héros pour avoir vaincu Sparte et mis fin à la guerre qu’il avait lui-même déclenché lorsqu’il avait recommandé l’expédition de Sicile et largement prolongé par ses diverses traîtrises. 


Connaissant la foule et ses humeurs changeantes, et n’ayant aucune envie de devenir un nouveau Thémistocle, Miltiade ou Cimon, Alcibiade profite de sa popularité pour se faire nommer tyran d’Athènes : reprenant une supercherie qu’avait utilisé Pisistrate en son temps, il se fait conduire sur l’Acropole par une splendide femme de haute taille conduisant un char. La femme, une prisonnière spartiate, apparaît aux yeux de tous comme l’incarnation d’Athéna. Par cette supercherie Alcibiade réussi sa révolution : le neveu de Périclès a mit fin à l’expérience de la démocratie… Pendant vingt-huit ans encore il présidera aux destinées de la ville et de la Grèce avant de mourir à l’âge avancé de 73 ans, après avoir écrasé plusieurs rebellions mais aussi créé un second âge d’or athénien après celui de son oncle : si dans les mémoires ultérieures le Vème siècle fut connu sous le nom de siècle de Périclès, le IVème fut celui d’Alcibiade car son influence perdura au-delà de son règne, son fils puis son petit-fils prolongeant le contrôle de la dynastie sur Athènes pendant encore une quarantaine d’années. 


Parmis les premières actions d’Alcibiade on retient le rappel des stratèges exilés, en particulier l’historien Thucydide, et le soutien aux philosophes dont Socrate au premier rang. L’école socratique, avec Platon, Xénophon et Aristote parmi les plus grands héritiers du maître à penser d’Alcibiade, va développer une philosophie originale notamment sur le thème du bon gouvernement et du bon gouvernant, dont Alcibiade est souvent vu par ces auteurs comme l’exemple même. 


Alcibiade promeut aussi une grande activité de reconstruction, avec plusieurs temples d’Athéna construits dans tout l’Empire athénien grâce aux sommes immenses récoltées au travers des contributions de la ligue de Délos et les réparations Spartiates. 


Déjà vainqueur des jeux olympiques dans sa jeunesse dans la catégorie des courses de char, il va également briller aux jeux pythiques en poésie et sponsoriser de nombreux auteurs de tragédie et de comédie, n’hésitant pas à financer ceux qui le critiquent comme le vieil Aristophane. 

Mais l’un des domaines où Alcibiade va peut-être révolutionner le plus le monde est dans la place qu’il donnera aux femmes de son entourage. C’est ainsi que la vieille hétaïre Aspasie, maîtresse du grand Périclès, et Théodoté, maîtresse d’Alcibiade, sont toutes deux des femmes de grande culture et à la parole libre, capable de philosopher avec les plus grands, Socrate étant un visiteur régulier de leurs salons. Il n’y a pas de rivalité entre les deux femmes,  la différence d’âge rendant toute tension vaine, et elles donnent à beaucoup de femmes un nouveau modèle de ce que peut être la condition féminine. La révolution des gynécées comme l’ont appelée certains auteurs doit tout à ces deux femmes grâce à qui la société grecque va progressivement se transformer au point que lors du rétablissement de la démocratie athénienne à la fin du IVème siècle elles seront devenues des citoyennes au même titre que les hommes…


Dernière édition par Eumène de Cardie le Jeu 30 Avr - 19:41, édité 2 fois

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Message par Eumène de Cardie Lun 20 Avr - 0:46

Bon c'est plus long que cela ne l'eu dû, mais l'inspiration fut forte pour ce texte rédigé en un peu moins d'une journée... 

Une révolution de velours par le bel Alcibiade qui est écouté sur les places d'Aigos Potamos en 405 avant notre ère et parvient à renverser la direction de la guerre du Péloponnèse alors qu'historiquement cette bataille, où ses conseils ne furent pas écoutés, entraîna la chute d'Athènes et l'installation d'une oligarchie et, surtout, celle d'une garnison spartiate au Pirée. 
Ici Alcibiade s'associe à un autre grand nom de l'époque pour conduire Athènes de victoire en victoire, avant un grand final qui mélange plusieurs événements historiques du IVème siècle pour les besoins de notre histoire. 
Vous noterez ainsi dans notre bataille de Mantinée l'introduction de l'ordre oblique (historiquement technique d'Epaminondas le thébain qui l'utilisa pour vaincre les Spartiates une trentaine d'années plus tard) ou encore la réaction des spartiates lors d'autres invasions, ici appliquées à notre époque. 

J'espère en tout cas qu'il vous aura plu !

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Message par Thomas Lun 20 Avr - 8:43

Merci de participation. J'ai lu le début, mais vu la longueur du texte je m'y remettrait ce midi ou ce soir. Il est l'heure d'aller au télétravail.

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Message par DemetriosPoliorcète Lun 20 Avr - 10:42

On explore toutes les époques avec ce concours!

Merci pour ce texte!

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Message par Thomas Lun 20 Avr - 13:49

Lu. En effet c'est un sacré pavé.
Ce n'est pas la période sur laquelle j'ai le plus de connaissance, mais c'est une chouette uchronie.

"l’erreur 404"?

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« Ce n’est que devant l’épreuve, la vraie, celle qui met en jeu l’existence même, que les hommes cessent de se mentir et révèlent vraiment ce qu’ils sont. »
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Message par Eumène de Cardie Lun 20 Avr - 15:06

Thomas a écrit:Lu. En effet c'est un sacré pavé.
Ce n'est pas la période sur laquelle j'ai le plus de connaissance, mais c'est une chouette uchronie.

"l’erreur 404"?

Oui, c'est une blague d'historien informaticien : la défaite d'Athènes durant la guerre du Péloponnèse a eu lieu en 404 av. J.C., et le code d'erreur 404 "page not found"...

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Message par Thomas Lun 20 Avr - 15:58

C'est bien ce que j'avais cru comprendre Wink

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Message par Eumène de Cardie Lun 20 Avr - 16:20

Thomas a écrit:C'est bien ce que j'avais cru comprendre Wink
Déformation professionelle : j'ai un master en Histoire (Antiquité) et un autre en Sciences et Technologies de l'Information et de la communication dont le sujet de mémoire était la digitalisation des papyrus et des inscriptions épigraphiques, et je bosse depuis dans l'informatique : autant dire que les deux domaines ont chez moi tendance à s'interpénétrer :p

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Message par Thomas Lun 20 Avr - 17:55

Logique et compréhensible Wink

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Message par Imberator Jeu 30 Avr - 18:41

comme à Marathon la crème de l’armée spartiate et son roi périssent sur le champ de bataille.
Comme aux Thermopiles plutôt, non ? À Marathon je ne me souviens pas de la présence de Spartiates.

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Message par Eumène de Cardie Jeu 30 Avr - 19:40

Imberator a écrit:
comme à Marathon la crème de l’armée spartiate et son roi périssent sur le champ de bataille.
Comme aux Thermopiles plutôt, non ? À Marathon je ne me souviens pas de la présence de Spartiates.
Rho mais comment ais-je pu laisser passer une erreur aussi grossière Sad mea maxima culpa, je vais corriger !

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Message par Collectionneur Lun 15 Juin - 12:02

C'est du très lourd, il faudra que je relise les biographies des personnages en question Smile Mais comme on utilise le calendrier AD, l'Empire romain a dominé ensuite et le christianisme s'est implanté avec peut-être un Espace plus grand pour les femmes.

Un anglicisme dans le texte : Alcibiade est fêté en héro(s) par toute la flotte
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