Thérouanne, une grande cité aujourd'hui disparue

Ce que je vous propose aujourd'hui est de relater une ancienne grande ville, florissante à l'époque médiévale, aux confins de l'actuel Pas de Calais et qui a malheureusement été rasée par Charles Quint en 1553: il s'agit de Thérouanne.

Commençons d'abord par son histoire:


À l'époque de l'antiquité

Quand Jules César conquit la Gaule en 56 av.JC, l'emplacement futur de Thérouanne se situait en Gaule Belgique, où se mélaient les Ménapiens, les Morins et les Atrébates (d'où le nom de l'Artois). Les Romains y fondèrent alors Taruenna, et dont leur influence était visible dans le centre urbain. Ils l'ont vite rebaptisé Colonia Morenorum, pour "Capitale des Morins".
La ville était situé à un carrefour de voies romaines:
- l'une partait de Gesoriacum(Boulogne sur Mer) et allait vers Nemetacum(Arras) jusque Colonia Claudia(Cologne), dont le tracé est encore visible au niveau de la D341, dite aussi "Chaussée Brunehaut"
- l'autre se dirigeait vers Cassel

Il y subsiste encore des vestiges gallo-romains encore mal connus. Grâce aux fouilles archéologiques, on a pu redécouvrir 3 nécropoles antiques, ainsi qu'une maison d'époque avec un système de chauffage par le sol, courant chez les Romains.

Entre 407 et 451 ap. JC., la cité est tour à tour dévastée et détruite par les Frances, puis par Attila et sa horde de Huns.


Carte où est mentionné Teruanna



À l'époque du Moyen Âge

Selon des recherches historiques récents, il a été constaté que certains nobles thérouannais, pendant le Haut Moyen Âge, ont contribué à l'ascendance des Capétiens et des Carolingiens. Par exemple, un noble de Thérouanne, possible duc des Alamans en 632, aurait donné naissance à un fils prénommé Robert, futur maire du palais de Neustrie en 654. Il donne également naissance à Erlebert, père de saint Lambert dont le frère, Robert, fut duc en Neustrie entre 654 et 677. Robert et Erlebert semblent donc à l'origine d'une lignée au bout de laquelle, 7 générations plus tard, naît Robert le Fort, marquis de Neustrie mort en 866 et arrière-grand-père d'Hugues Capet, premier souverain capétien des Francs.

Les cartes médiévales situent généralement Taruenna comme un centre névralgique intellectuel, religieux, routier, administratif de l'ancienne région des Morins, romanisée, puis christianisée. C'est justement grâce à la christianisation qu'à pu renaître Thérouanne, après qu'Audomar, ou Omer (dont le nom de la ville de Saint-Omer et du pays Audomarois héritera de son nom), eut entrepris entre 639 et 667 l'évangélisation de la région. Il fut devenu ensuite le premier évêque de Thérouanne. Il reçut l'aide de Bertin de Sithiu qui donna son nom à l'abbaye de Saint-Omer (abbaye Saint-Bertin).

Cependant, le territoire de Thérouanne fut assez disputé lorsqu'à partir du IXème siècle les comtes de Flandre eurent par les armes agrandi leur territoire vers le sud, Thérouanne tomba aussi entre leurs mains. Pas longtemps cependant, car le comte de Flandre Philippe d'Alsace donna sa nièce Isabelle de Hainaut au jeune roi de France Philippe Auguste, avec en dot le Sud de la Flandre. Il espérait en vain acquérir une influence décisive sur le roi, qui cependant en 1191 détacha de la Flandre le cadeau qu'avait reçu sa femme et l'agrandit par la suite du comté d'Artois. Thérouanne revint elle aussi à la France et le français y devint la langue courante.

Après qu'en 1369 la comtesse Marguerite de Flandre eut épousé Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, elle lui apporta la Flandre en dot. En 1384 le duc lui-même hérita de l'Artois ; Flandre et Artois se trouvaient donc réunis de nouveau, même s'ils constituaient deux entités séparées. Mias moins d'un siècle plus tard, le Duc de Bourgogne Charles le Téméraire, souhaitait et essaya d'agrandir son domaine et entra directement en guerre avec le Roi de France, Louis XI. Il en découla une série successive de guerres, jusqu'en 1477 à Nancy où Charles trouva la mort. L'ère bourguignonne est ainsi terminée.

Cependant, le Roi tanta de rattacher l'Artois, dont le secteur de Thérouanne à son fief royal en le conquérant par les armes. C'est ainsi qu'en 1479 il assiégea Arras, mais il se heurta à une telle résistance qu'il décida de punir la ville après l'avoir prise : tous les habitants furent chassés et remplacés par des Français originaires de la région de la Loire. Outrés par un tel procédé, les États d'Artois se rangèrent du côté de Marie, fille et héritière de Charles le Téméraire, et épouse de Maximilien d'Autriche. Ce dernier voulut défendre l'héritage de sa femme et livra bataille contre les Français le 7 août 1479 à Enguinegatte (un peu au sud de Thérouanne, actuellement Enquin-lès-Guinegatte, dans le région de Saint-Omer). La bataille fut indécise et les deux adversaires se virent plus ou moins contraints de faire la paix. Ils signèrent donc en 1482 la paix d'Arras qui accordait l'Artois à Maximilien et à Marie, sauf le Calaisis (aux mains des Anglais), le Boulonnais et le diocèse de Thérouanne qui revenaient au roi de France.


Petit aperçu de Thérouanne à l'époque médiévale



Vers la fin de Thérouanne

Thérouanne était devenue de ce fait une enclave française en pays régi par les Habsbourgs. En 1513, eut lieu la seconde bataille de Guinegatte, opposant Maximilien Ier de Habsbourg, allié à Henri VIII d'Angleterre (qui rêvait de reprendre le trône de France, un temps après la guerre de 100 ans), au Roi de France Louis XII. À la suite de sa défaite à la bataille de Novare du 6 juin 1513, Louis XII dut évacuer son armée d'Italie et songer à défendre le territoire français. Henri VIII, roi d'Angleterre, débarqua le 30 juin 1513 à Calais et se joignit aux troupes menées par l'empereur Maximilien Ier.  Six semaines plus tard, les Français se laissèrent surprendre et furent écrasés par les armées de la Sainte Ligue, le 16 août 1513 à Guinegatte. Les deux commandants français, ainsi que Bayard et Jacques d'Amboise, furent en outre faits prisonniers par les Anglais et retenus à Londres. La ville de Thérouanne a par consuéquent été assiégée par les troupe de Henri VIII (qui siégeait à l'est de Thérouanne, et par les troupes de Maximilien Ier (qui campait à Aire sur la Lys). La ville était défendue par Antoine de Créquy, sieur de Pont-Rémy, lequel répondit jusqu'au bout par des tirs d'artillerie au bombardement anglais. Cependant, cette bataille vit une défaite française, et fut aussi appelée « Journée des éperons » car la cavalerie française se servit plus de ses éperons (pour manœuvrer) que de ses armes (pour combattre).

Après, les tensions entre la France et les Habsbourgs se sont apaisés. Lors de la Paix des Dames en 1529, la France renonce à tout droit sur l'Artois et la Flandre. Mais le roi de France commença à militairement et intensivement renforcer Thérouanne, son enclave en Artois: de 1521 à 1544, 500 villages des environs furent ravagés par la garnison française de la ville. Appelées par les États d'Artois, les troupes impériales s'emparèrent de la ville. Le 20 avril 1553 Charles-Quint donna l'ordre de raser jusqu'au sol la ville (qui comptait une grande cathédrale, deux églises paroissiales et plusieurs couvents et abbayes) d'une façon si parfaite que l'interprétation archéologique des fouilles récentes est complexe, en l'absence de toute élévation des maçonneries hormis la base massive de la tour nord de la cathédrale. Charles Quint y fit même répandre du sel sur les restes bâtiments, ainsi que sur le sol "pour que jamais plus rien ne puisse pousser", et il en donnera d'ailleurs l'interdiction de reconstruire la ville. Seuls quelques vestiges statuaires ont subsisté parmi lesquels une partie de la célèbre façade de la cathédrale, Le Grand Dieu de Thérouanne (milieu du XIIIème siècle), transféré dans la cathédrale voisine de Saint-Omer, et une descente de croix plus tardive retrouvée lors des fouilles et conservée au musée de l'actuel village, recréé fin XIXème siècle.


Le Grand Dieu de Thérouanne, aujourd'hui hébergé dans la Cathédrale de Saint-Omer


Ancienne cathédrale de Thérouanne, plus grande de l'Artois


Carreau de pavement orné d'un homme genou à terre, provenant des fouilles de la cathédrale de Thérouanne



Et maintenant: et si les garnisions impériales n'avaient pas détruit Thérouanne, se contentant simplement de l'annexer aux Français, qui y renoncerait officiellement au Traité du Cateau-Cambrésis en 1558, en l'échange de Calais?
Thérouanne deviendrait une place forte espagnole, formant un rempart contre de nouvelles invasions françaises. Il aurait fallu attendre la première ou seconde moitié de XVIIème siècle pour que les armées de Louis XIV s'en empare, elle redeviendrait française soit en 1659, ou en 1667 ou en 1678 (en même temps que Saint-Omer)et que Vauban puisse y établir des fortifications.

Ou mieux: si l'armée française avait été plus efficace quant à la défense de Thérouanne?
Par ce fait, avec l'intervention des armées du Roi de France Henri II, il aurait par la même occasion, non seulement reconquis Calais, mais aussi le reste de l'Artois, et en arrivant à Thérouanne, le rasage de la ville aurait été partiellement voire totalement évité. Et au Traité du Cateau Cambrésis, la France renoncerait définitivement à l'Italie, mais recevrait en compensation non seulement Calais de l'Angleterre, mais aussi l'Artois de Philippe II d'Espagne, si et seulement s'il réussit à mettre la main sur ce comté.

Et de nos jours, Thérouanne continuerait d'être une grande ville, à l'instar d'autres villes de la région comme Arras, Douai, Boulogne-sur-Mer, Cambrai et j'en passe. Sur le plan plus local, la ville de Saint-Omer s'effacerait même au profit de Thérouanne et cette dernière serait la seule du Pas de Calais à détenir une cathédrale digne de ce nom, et pourrait pourquoi pas avoir une grande place avec une architecture telle qu'on la reconnait sur la Grand Place d'Arras, ou de Lille.


Grand Place d'Arras, dont Thérouanne aurait très bien pu s'en inspirer comme d'autres villes du Nord de la France

Des pensées ?

Il y a plus de cité détruites en France qu'on ne le croit généralement.

Tenez, vous n'avez jmais entendu parler de la Mothe. C'était une ville fortifièe près d'Uoutremécourt, en Haute-Marne. De nos jours, La Mothen'est qu'une colline parmi d'autres, couverte d'arbres. Rien ne la distingue de ses voisines, pourtant, jusqu'en 1644, c'est la Deuxième Ville du Duché de Lorraine après Nancy!
Que s'est-il passé?
Et bien la guerre! Pour être précis, la guerre de Trente Ans.
Le duché de Lorraine se voulait indépendant de la France. Mazarin à titre d'avertissement fit investir La Mothe qui tomba sans combat, la capitulation suit en 1645. En trois mois la cité est rasée après que les habitats aient été chassé. Une vilel de 3à hectares, fortiffiée avec un château et un collégiale. Il n'en resta plus rien.

La ville fut assiégé 205 jours tout de même, population estimé a 3000 âmes :
https://fr.m.wikipedia.org/wiki/La_Mothe-en-Bassigny