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[CTC29] Un tyran sans pouvoir

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Message par DemetriosPoliorcète Sam 10 Déc - 21:34

Un tyran sans pouvoir : les trois ans de Jacques Doriot et l'Etat Populaire Français

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Le 14 juillet, alors que les dernières troupes françaises préparent encore leur embarquement ou leur « démobilisation de fait » après près d’un mois de résistance inattendue à l’offensive allemande, les quelques milliers de  Français qui se hasardent encore à écouter les ondes de radio-Paris, aux mains des Allemands, ont la surprise d’entendre une vois pas tout à fait inconnue. En cette date de fête nationale, c’est en effet Jacques Doriot, dirigeant du Parti Populaire Français, qui prend la parole en ces termes :

« Français abandonnés,

Les couards du gouvernement désormais déchu de la République sont en ce moment même en train d’achever leur sinistre projet. Bien à l’abris à Londres et à Alger, ils entraînent dans leur sinistre fuite plusieurs milliers de braves soldats français contraints par les ordres et trompés par des informations erronées, enjoignant ceux qui ne peuvent embarquer à mourir les armes à la main ou à se cacher pour mener de vains et dérisoires combats.
Derrière eux, les fuyards ne laissent que la ruine, la désolation et la mort, ils obligent les Français à accepter le prolongement des horreurs de la guerre, alors qu’une paix honorable aurait pu être conclue à plusieurs occasions.

Ces criminels auront un jour à répondre de leurs actes. Mais il est nécessaire de parer au plus urgent et d’agir des aujourd’hui pour sauver la Patrie et les Français.

C’est pourquoi moi, Jacques Doriot, je demande à chaque Français qui en a les moyens de prendre contact avec moi-même et les représentants du Parti populaire Français, partout où ils se trouvent, afin de former des Comités de Résurrection Nationale et de travailler dès maintenant au relèvement du pays et à l’amélioration du sort de ses habitants ».


Un « Gouvernement provisoire de la République française », très vite rebaptisé « Gouvernement provisoire de l’Etat français » existe pourtant déjà, dirigé par Pierre Laval, avec le soutien d’Yves Bouthillier et de Fernand de Brinon, existe pourtant déjà depuis plus de deux semaines, grâce au soutien des autorités d’occupation et d’une Chambre croupion composée des quelques députés qui ont refusé de rejoindre l’Afrique du Nord. La responsable de la Wehrmacht et le nouveau représentant de la diplomatie du Reich à Paris, Otto Abetz, sont furieux que l’on ai pu laisser Doriot s’exprimer aussi librement sur les ondes ; mais le PPF peut s’appuyer sur les inévitables divisions au sein de l’appareil nazi, et commencent à nouer des contacts avec l’appareil Police-SS-SD et ses représentants à Paris.

Les Comités de Résurrection Nationale (Doriot avait d’abord pensé à « libération », mais l’ironie en aurait été bien trop évidente) se créent ainsi dans les grandes villes, rassemblant dans un premier temps quelques centaines de militants d’extrême-droite qui commencent à s’en prendre aux forces de gauche, à commencer par les communistes, avec la tolérance, mais pas encore le soutien, des Allemands ; il est désormais acté que leur action a hâté l’entrée du PCF dans la résistance intérieure active.

Les collaborationnistes se séparent à partir de cette date en deux pôles bien distincts, autour de deux hommes que tout oppose : Laval, représentant de la classe politique traditionnelle, pacifiste, qui cherche à préserver l’existant face à ce qu’il voit comme des souffrances inutiles, et Doriot, qui a définitivement basculé dans le fascisme et rêve d’une régénération totale de la société autour d’un parti unique qui balaierait les derniers restes de la IIIe République. Le rapport de force entre ces deux pôles ne tient bien sûr qu’à une chose : la faveur de l’occupant.

Or, celle-ci va rapidement basculer du côté des doriotistes, malgré l’opposition ouverte d’Abetz. En janvier 1941, un rapport du renseignement SS est sans appel : « le soi-disant « Gouvernement provisoire » de Laval s’avère une expérience qui a échoué sur tous les plans. Il n’a aucun contrôle sur l’administration française, qui reste parfois ouvertement sur la ligne qui lui a fixée le gouvernement en exil. Le simple accrochage d’un portrait de Laval dans un bureau de sous-préfecture est une action à haut risque […] ;

Dans un contexte où notre présence sur le territoire français est amenée à se prolonger et où le brigandage ne peut disparaître immédiatement, il est nécessaire de s’appuyer sur des auxiliaires peu nombreux mais fiables et motivés, sans oublier de tenir compte des risques qu’ils représentent sur le long terme. »

Doriot reçoit à partir de ce moment des subventions importantes de la part de l’occupant et le droit de transformer ses militants en organisation paramilitaire, les « Forces de Sécurité Nationale », dont les membres dépassent la dizaine de milliers au printemps 1941. Dans leur rang se trouvent des militants d’extrême-droite convaincus, des truands, mais aussi des soldats démobilisés et des victimes de l’exode, qui allient sentiment d’avoir été trahis par le gouvernement en exil et nécessité de subvenir à leurs besoins. Doriot se retrouve à la tête d’un « Conseil de la Résurrection Nationale » qui réunit les chefs des grands partis d’extrême-droite, plus ou moins contraints.

Mais deux événements vont permettre à Doriot de s’imposer à la tête de l’ensemble de l’appareil collaborationniste : l’opération Barbarossa et l’arrivée du Reichskommissar Heydrich.

Alors que Hitler lance, après d’importantes hésitations son attaque contre l’URSS, malgré la transformation de la Crête en forteresse alliée et les destructions occasionnées par les raids aériens contre Ploiesti, le besoin de mobiliser autant que possible l’Europe occupée aux côtés du Reich décide l’Allemagne à amplifier son soutien aux forces collaborationnistes idéologiquement compatibles avec le projet nazi, malgré le risque de « régénération » des nations vaincues qu’elles portent en elles aux yeux des dirigeants allemands.

Le 30 juin, Doriot obtient la création d’un parti unique rassemblant toutes les forces collaborationnistes, le « Parti de la Résurrection Nationale » dont il est, logiquement, le président. Comprenant qu’il est à la merci de son rival, Déat entre dans la clandestinité et rejoint l’Angleterre…où il est immédiatement placé en résidence surveillée.

Le 10 juillet, avec l’accord de l’occupant, les FSN s’emparent des bâtiments officiels à Paris et dans les grandes villes, dans un simulacre de coup d’Etat qui ne rencontre aucune résistance. A partir de cette date, la police, l’administration et les services commencent sérieusement à dépérir, les défections se multipliant devant la volonté de mise au pas de l’appareil d’Etat par le nouveau régime.

Le 14, Doriot proclame officiellement son « Etat Populaire Français » sensé être expurgé de tous les défauts des régimes précédents et donner à la France un nouveau cadre susceptible de la régénérer. Sont créées la « Chambre des Provinces », la « Chambre des corporations » et le « Conseil de l’Empire ». Lequel représente un Empire fantôme… Si l’Etat central ne pourra jamais avoir aucune réalité consistante, ces nervis sur le terrain sont bien réels, et les Français le sentent. Les « Comités de résurrection nationale » forment l’ossature du nouveau pouvoir et obtiennent un pouvoir local quasi-féodal, achevant de se faire haïr par l’immense majorité des Français, se livrant à de multiples exactions.

C’est aussi en juillet 1941 qu’arrive le nouveau chef suprême des autorités d’occupation, Reinhard Heydrich, figure de premier plan du régime nazi, arrive à Paris avec le poste de Reichskommissar, avec des pouvoirs proches de ceux de Joseph Terboven en Norvège. Si l’on retiendra surtout l’affichage de son train de vie luxueux dans toute la capitale, il n’en a pas moins de projets grandioses pour son nouveau fief : la France doit contribuer à 20% de l’effort de guerre du Reich d’ici six mois, avec la relance de l’activité industrielle et la remise en état de toutes les installations détruites en 1940. Si son objectif est irréaliste, la politique de Heydrich nécessite une collaboration accrue des autorités françaises et donc un renforcement de l’Etat Populaire. Aux critiques qui l’accusent de renforcer un probable adversaire futur, Heydrich répond, dans un memorandum : « si le développement d’un esprit national-socialiste et de régénération parmi la population française devait se poursuivre après la fin de la guerre, un nouveau conflit contre la France ne devrait pas être vu, de notre point de vue national-socialiste, comme un problème à conjurer, mais comme une opportunité à saisir ». Un argumentaire qui saura convaincre le Führer…

Ainsi, le nombre des membres des FSN est monté à 45 000, bien que l’Allemagne refuse l’envoi d’un corps de volontaires sur le front de l’Est, les supplétifs français devant avant tout soulager la Wehrmacht dans le maintien de l’ordre sur le territoire français.
Doriot se voit doter d’un véritable appareil de propagande, et même d’une agence de renseignement sensée développer des contacts dans l’Empire dans le but de le réintégrer. Mais la dictature de Doriot et du Parti de la Résurrection reste un agrégat de forces paramilitaires et de militants politiques, et ne peut prétendre raisonnablement à posséder les attributs d’un Etat.

En 1942, alors que les soldats italiens se retirent du territoire, Doriot annonce en grande pompe la réintégration de la Savoie et de Nice au territoire national, mais n’obtient pas la « zone libre » qu’il souhaitait sur la rive gauche du Rhône. Son voyage à Rome pour rencontrer Mussolini, qui vient de renverser le roi et de livrer son territoire aux soldats allemands, afin de le convaincre d’organiser une conférence des Etats alliés de l’Allemagne, est un échec et provoque la méfiance d’Hitler. Doriot est contraint par la suite à une surenchère de signes de soumission et de prises de positions pro-allemandes confinant au ridicule, jusqu’à déclarer qu’un débarquement franco-allemand en Angleterre était « une question de temps »…

L’année suivante est ponctuée d’échec pour le dirigeant fasciste français et son protecteur SS. Alors que les défaites s’accumulent pour l’Axe à l’Est comme en Méditerranée, la France se couvre d’une seconde vague de maquis, après le pénible écrasement de ceux de 1940. De nombreux FSN, sentant le vent tourner, désertent ou changent de camp, obligeant à recruter toujours plus dans les prisons et parmi les sans-abris…

Enfin, en décembre, l’assassinat d’Adolf Hitler et la tentative de prise du pouvoir par la Wehrmacht met en danger le pouvoir de Heydrich, qui abandonne Paris pour défendre les positions de son chef, Himmler, à Berlin. Peine perdue, c’est bien Goering, seul à pouvoir se rallier les élites traditionnelles, qui finit par emporter la lutte pour le pouvoir suprême. Après s’être enfui aux commandes d’un prototype d’avion à réaction, Heydrich joue sa carte la plus irrationnelle (mais en a-t-il une autre ?) en proposant aux alliés de former un gouvernement allemand en exil, et prétend pouvoir retourner le régime français contre Goering.

Du côté de Berlin, le nouveau Reichsführer, dont le projet est l’obtention d’une « paix honorable » avec les alliés occidentaux, un tel allié français est un problème, et sa tête est envisagée dès les premiers jours comme un moyen de peser dans les futures négociations. Il faut néanmoins, au moins pour un temps, composer : Doriot se voit inviter au congrès pan-européen et signe la « Charte de l’Europe nouvelle », aux côtés de tous les satellites restant du Reich.

Mais l’étau se resserre : fin juin 1943, les alliés débarquent en Provence et prennent pied sur le sol de la France continental. Un mois plus tard, les troupes alliées s’emparent des Flandres sans résistance sérieuse. Il devient clair que les Allemands sont prêts à abandonner le territoire français. Le 16 août, Doriot prononce son ultime discours sur les ondes de radio-Paris, appelant à ne rien céder aux communistes et aux francs-maçons, tandis que sa milice se livre à de multiples exactions contre tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à un ennemi du régime.

Deux jours plus tard, le gouvernement de l’Etat Populaire quitte Paris pour ne jamais y revenir, comprenant qu’il ne peut se maintenir sans les troupes allemandes. Installé un temps à Nancy, la clique de Doriot doit se résoudre à abandonner le territoire national et à se proclamer « gouvernement en exil ». Installé sur les bords du lac de Constance, il cherche désespérément à faire porter sa voix.

Mais qui l’écoute encore ? Certainement pas Goering, qui se méfie de lui et le soupçonne de garder contact avec d’anciens SS. Soupçonné de tremper dans un complot contre le Führer, il est mis aux arrêts le 9 mars 1944 et ses Forces de Sécurité Nationales dissoutes. Les 300 derniers membres seront transférés dans une nouvelle unité, le Corps Franc Charlemagne, et combattront jusque dans les derniers jours pour le Reich.

Incarcéré à la prison de Brandenbourg-Görden, Doriot voit sa santé mentale se dégrader, tout en étant suffisamment lucide pour comprendre l’imminence de la défaite allemande et le sort qui l’attend, qu’il tombe dans les mains des soviétiques ou dans celles des Français. Alors que la Wehrmacht s’apprête à évacuer Berlin avec le gouvernement de Goering, il demande comme faveur un pistolet pour mettre fin à ces jours. Ce qu’il fait…après avoir ouvert le feu sur ses codétenus communistes, tuant l’un d’entre eux, Erich Honecker.

Le renversement de Goering par les jusqu’au-boutistes nazis est l’occasion d’un ultime rebondissement grotesque dans l’histoire de la collaboration, avec la nomination d’Albert Beugras, bras droit de Doriot depuis la fondation du PPF, comme « Chef de l’Etat Populaire Français en exil ». Il n’a en réalité autour de lui personne pour ne serait-ce que nommer un gouvernement fantôme, et s’enfuit à la première occasion.
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Message par Thomas Sam 10 Déc - 23:33

Quelle infamie... Chouette texte en tout cas.

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Message par LFC/Emile Ollivier Dim 11 Déc - 10:10

Excellent texte, Demetrios ! Faudrait que je revois la parti collaboration/résistance de LFC si je veux passer au stade supérieur , un livre.[CTC29] Un tyran sans pouvoir 1f603
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Message par DemetriosPoliorcète Dim 11 Déc - 10:34

Merci à vous deux!

La période de la collaboration est, pour un Français, aussi terrifiante qu'affligeante, tout en nous montrant, au vu des parcours individuels qu'elle a suscitée, qu'aucune personne, quelles que fussent ses opinions, n'est réellement prévisible.

Vous aurez par ailleurs remarqué que le texte est une petite variation sur le thème du "Discours de Goering". Je vais peut être écrire d'autres textes dans cette veine dans les prochains jours.
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Message par Yodarc Dim 11 Déc - 16:04

Très bon texte et une variation intéressante sur la FTL et la LFC concernant la partie collaboration de la France occupée par l'Allemagne nazie.
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Message par Collectionneur Jeu 26 Jan - 6:53

Le destin après guerre de trois pays bouleversé avec un seul texte. Encore que pour fonder la RDA, Honecker n'est pas indispensable Wink
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