Červený Poplach : Une confrontation OTAN-soviétique en Tchécoslovaquie (1968)
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Červený Poplach : Une confrontation OTAN-soviétique en Tchécoslovaquie (1968)
Qu'est que Červený Poplach? et bien imaginé que la crise tchèque de 1968 ait dégénéré...je n'en dit pas plus et je remercie chaleureusement une fois encore Pats
Bonne lecture.
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Re: Červený Poplach : Une confrontation OTAN-soviétique en Tchécoslovaquie (1968)
PROLOGUE
Dire que 1968 fût une année tumultueuse serait un euphémisme. Les États-Unis sont alors en proie à des bouleversements intérieurs sans doute les plus graves depuis la guerre de Sécession ; Israël mène une guerre d'usure avec l'Égypte ; la Chine se déchire alors que la révolution culturelle devient incontrôlable ; la Grande-Bretagne est au cœur d'un débat sur l'immigration enflammé par le fameux discours d'Enoch Powell intitulé "Rivers of Blood" ; la France est l'épicentre d'un tremblement de terre politique qui secoue toute l'Europe occidentale alors que les étudiants manifestent dans les rues de Paris ; la guerre du Viêt Nam s'étend au Cambodge et au Laos ; la junte militaire au pouvoir en Grèce resserre son emprise sur les rênes du pouvoir ; le Brésil et l'Argentine font partie des nations d'Amérique latine secouées par des troubles politiques ; la Corée du Nord et la Corée du Sud ont failli entrer en guerre pour la deuxième fois après un raid sur la Maison Bleue de Séoul ; et le régime d'apartheid de l'Afrique du Sud resserre les liens sur la population noire majoritaire du pays. L'ambition d'Alexander Dubcek de réformer le gouvernement marxiste de la Tchécoslovaquie se heurte à la détermination de Leonid Brejnev de maintenir la domination soviétique en Europe de l'Est, et la tension entre ces deux philosophies opposées atteindra son paroxysme dans une épreuve de force qui conduira à une confrontation plus large entre l'OTAN et le Pacte de Varsovie, susceptible de dégénérer en troisième guerre mondiale.
Léonid Brejnev et Alexandre Dubcek (de dos).
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Re: Červený Poplach : Une confrontation OTAN-soviétique en Tchécoslovaquie (1968)
Ironiquement, l'homme qui allait devenir l'adversaire européen le plus sérieux de Brejnev avait initialement pris la tête de la Tchécoslovaquie en partie avec l'accord de Brejnev. Alexander Dubcek était devenu le premier secrétaire du parti communiste tchèque en janvier 1968 après qu'il soit devenu évident que le premier secrétaire précédent, Antonin Novotny, perdait le soutien de tous les niveaux du parti ; Brejnev, qui aurait pu maintenir Novotny au pouvoir avec quelques appels téléphoniques opportuns ou le déploiement d'une division de chars ou deux à la frontière de ce qui est maintenant la République d'Ukraine, a choisi de laisser les événements se dérouler d'eux-mêmes. Un peu plus de deux mois après avoir perdu son poste de premier secrétaire, Novotny, qui occupait également le poste de président tchèque, a démissionné de ce poste également. Au début, les signes extérieurs du programme réformateur que Dubcek prévoyait de mettre en œuvre en tant que nouveau chef de gouvernement tchèque étaient rares, voire inexistants. Ce n'est que lorsqu'il a lancé son "programme d'action" en avril 1968 que la véritable nature de ses ambitions a commencé à se révéler, ce qui a fait froncer les sourcils des deux côtés du rideau de fer. Le programme de Dubcek préconisait notamment une plus grande liberté de culte et un assouplissement de l'interdiction des partis d'opposition en vigueur depuis la prise de contrôle de la Tchécoslovaquie par les communistes 20 ans auparavant. Il n'est pas surprenant que cela inquièta les pouvoirs en place à Moscou, qui craignaient que les efforts de libéralisation de Dubcek ne compromettent, voire ne détruisent, l'alliance du Pacte de Varsovie. Dans un effort pour aplanir les dissensions potentielles dans les relations tchéco-soviétiques, le Kremlin proposa un sommet entre Dubcek et Brejnev dans la ville frontalière slovaque de Čierna nad Tisou afin de négocier un accord qui répondrait à certaines des préoccupations de Brejnev concernant les réformes de Dubcek. Bien que de nombreux partisans de Dubcek au sein du gouvernement tchèque se méfiaient des intentions soviétiques envers leur pays, Dubcek lui-même était enclin à accepter l'invitation au sommet dans l'espoir qu'une sorte de résolution à l'amiable puisse être obtenue.
De nombreux citoyens tchèques ordinaires ne partagaient pas l'optimisme de Dubcek à cet égard ; ils étaient persuadés que le sommet n'était qu'un stratagème visant à amener Dubcek à baisser sa garde afin que les troupes soviétiques puissent pénétrer en Tchécoslovaquie et réimposer un régime marxiste pur et dur. Les mouvements constants des chars et de l'infanterie de l'Armée rouge du côté soviétique de la frontière soviéto-tchèque n'ont rien arrangé. À mesure que les jours et les semaines s'écoulaient vers la date prévue pour le sommet du 29 juillet, les ambassades soviétiques et est-allemandes à Prague devenaient le point de convergence de manifestations passionnées et de plus en plus importantes appelant le Pacte de Varsovie à ne pas interférer avec les réformes de Dubcek. Ces manifestations ont fortement contrarié Brejnev, qui a laissé entendre, lors d'un appel téléphonique du 7 juillet à l'ambassade tchèque à Moscou, qu'il pourrait annuler le sommet si ces protestations n'étaient pas réprimées. Il s'est avéré, cependant, que Brejnev n'aurait pas besoin de l'annuler - deux semaines avant le début des pourparlers de Čierna nad Tisou, un document est parvenu à la Direction fédérale des services de renseignement qui allait faire voler en éclats la relation Dubcek-Brezhnev......
À SUIVRE
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Re: Červený Poplach : Une confrontation OTAN-soviétique en Tchécoslovaquie (1968)
Flosgon78- Messages : 289
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Re: Červený Poplach : Une confrontation OTAN-soviétique en Tchécoslovaquie (1968)
Bravo pour cette initiative de traduction Uranium, hâte de voir la suite.
DemetriosPoliorcète- Messages : 1481
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Re: Červený Poplach : Une confrontation OTAN-soviétique en Tchécoslovaquie (1968)
Remerciez surtout Pats pour son travail, je ne fait que le traduire...
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Re: Červený Poplach : Une confrontation OTAN-soviétique en Tchécoslovaquie (1968)
Aujourd'hui encore, on ne sait pas exactement qui a informé la Direction fédérale des services de renseignement des plans soviétiques d'invasion de la Tchécoslovaquie, bien que la plupart des preuves disponibles désignent des fonctionnaires sympathisants de Dubcek au sein du ministère soviétique des affaires étrangères ou de l'ambassade soviétique à Prague. Mais lorsque le désormais célèbre "mémo Danube" est parvenu au siège de l'agence en début d'après-midi le 15 juillet 1968, il a incontestablement jeté un pavé dans la mare des efforts de Brejnev pour éteindre le feu réformateur allumé par le gouvernement Dubcek. Par-dessus tout, l'opération Danube, le plan d'urgence proposé par le Pacte de Varsovie pour imposer une occupation militaire de la Tchécoslovaquie si Dubcek ne pouvait être persuadé par des moyens diplomatiques d'abandonner ses réformes, reposait dans une large mesure sur l'élément de surprise pour fonctionner - et le chat venait de sortir du sac de façon spectaculaire. Les conseillers de Dubcek en matière de sécurité et de défense étaient naturellement choqués par les implications du mémo sur le Danube, mais leur réaction était légère comparée à celle de Dubcek lui-même. Dans une interview accordée à la BBC vingt ans plus tard, son ancien ministre de la défense, Martin Dzur, se souviendra que Dubcek était devenu tout à fait apoplectique à la lecture de la traduction du mémo sur la manière dont l'invasion serait menée ; à un moment donné, le dirigeant tchèque a dû être physiquement retenu pour ne pas jeter un cendrier en verre à travers son bureau. Une fois qu'il eut fini de lire le mémo, la rage de Dubcek fit place à une froide résolution : l'Union soviétique ne serait pas autorisée à soumettre son pays comme les Allemands l'avaient fait 30 ans plus tôt.
Se doutant à juste titre que les factions pro-soviétiques des services de sécurité tchèques allaient tenter de mettre ses lignes téléphoniques sur écoute, Dubcek a eu recours à des estafettes à moto pour prendre les dispositions nécessaires avec son cabinet afin de planifier sa prochaine action. Vers 20 heures, heure locale, il se rendit sur la chaîne de télévision publique CST pour prononcer un discours de 90 minutes sur ce qu'il décrit comme "une question de la plus haute importance pour notre peuple et le monde". Ce qu'il a dit ensuite a provoqué une onde de choc de part et d'autre du rideau de fer ; il a critiqué le Kremlin pour ce qu'il a appelé "une trahison inadmissible" en raison de son intention d'occuper le territoire tchèque et a annoncé que la Tchécoslovaquie rompait ses relations diplomatiques avec l'Union soviétique et se retirait du Pacte de Varsovie à 11 heures le lendemain matin. Ces mesures auraient suffi à elles seules à faire sourciller, mais c'est ce qu'il a fait ensuite qui a véritablement changé la donne dans la rivalité vieille de près d'un quart de siècle entre l'OTAN et le Pacte de Varsovie ; il a conclu son discours en demandant l'aide militaire des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne de l'Ouest pour défendre la Tchécoslovaquie contre la menace d'invasion. Dubcek venait de faire le premier pas dans une dangereuse partie d'échecs géopolitiques dont même Nostradamus ne pouvait prédire l'issue finale.....
À SUIVRE
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Re: Červený Poplach : Une confrontation OTAN-soviétique en Tchécoslovaquie (1968)
La première réaction du président Lyndon Johnson à la nouvelle du discours de Dubcek demandant l'aide de l'OTAN pour la défense de la Tchécoslovaquie a été de penser qu'il devait s'agir d'une sorte de plaisanterie. Il avait du mal à croire qu'un État du Pacte de Varsovie puisse se retourner aussi rapidement et complètement contre ses parrains à Moscou. Ce n'est que lorsque le directeur de la CIA Richard Helms lui a montré une transcription en anglais du bulletin officiel de Radio Prague annonçant l'abdication de la Tchécoslovaquie de son alliance avec l'Union soviétique que Johnson a commencé à prendre l'idée au sérieux ; lorsque le secrétaire d'État Dean Rusk a dit à Johnson que l'ambassadeur tchèque aux États-Unis voulait le voir, cela a cimenté la décision du président d'entreprendre une action quelconque en réponse à la pétition de Dubcek. Il était 17 h 43 à Washington le soir du 15 juillet (22 h 43 à Prague) lorsqu'Ivan Roháľ-Iľkiv a été introduit dans le bureau ovale pour expliquer à Johnson ce qui avait provoqué la volte-face de Prague. En écoutant l'ambassadeur tchèque résumer le contenu du mémo sur le Danube, le Président a laissé échapper plusieurs halètements audibles ; on a pu entendre le vice-président Hubert Humphrey murmurer "Mon Dieu !" au moins cinq fois en l'espace de dix minutes. Lorsque Roháľ-Iľkiv quitta finalement la Maison-Blanche vers minuit le 16 juillet, la question n'était plus de savoir si les États-Unis interviendraient dans la confrontation tchéco-soviétique, mais comment. Si les troupes soviétiques parvenaient à prendre pied en Tchécoslovaquie, comment être sûr que Moscou ne tenterait pas d'envahir l'Allemagne de l'Ouest tôt ou tard ? Quelle que soit l'évolution de la situation au Vietnam ou dans les rues américaines, il fallait faire quelque chose pour empêcher l'Armée rouge de pénétrer en Europe occidentale.
Une fois que Johnson est arrivé à cette conclusion, le texan en lui pris le dessus et il commença à solliciter les dirigeants du Congrès pour obtenir leur soutien afin d'aider le gouvernement Dubcek dans sa lutte contre les Soviétiques. Simultanément, le vice-président Humphrey et le secrétaire d'État Rusk firent la tournée des ambassades britannique, canadienne, ouest-allemande, belge et française à Washington pour les informer des informations concernant le mémo sur le Danube. Il fallut plusieurs jours de négociations délicates, mais un plan détaillé pour faire face à la menace d'invasion soviétique fut finalement mis en place et, le 22 juillet, l'ambassade des États-Unis à Prague informa Dubcek que l'OTAN honorait sa demande d'aide à la défense. En raison du malaise persistant découlant de l'occupation nazie des Sudètes près de trente ans plus tôt, il fût décidé que l'Allemagne de l'Ouest jouera un rôle secondaire dans la réponse de l'OTAN aux Soviétiques ; le rôle de Bonn dans ce qui sera connu plus tard sous le nom d'opération Pressgang consistera principalement à fournir un soutien logistique et à recueillir des données de renseignement sur les mouvements des troupes soviétiques. La plupart des responsabilités réelles en matière de combat incombèrent aux États-Unis, à la Grande-Bretagne et au Canada.....
À SUIVRE
Note du Traducteur:"La bière pils, également appelée pilsener, pilsen ou pilsner, du nom de la ville de Pilsen en République tchèque, est un type de bière blonde et limpide, de fermentation basse apparenté au type lager. Elle titre environ 5 degrés d'alcool et possède une amertume moyenne, dépendant du type de houblon utilisé."
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Re: Červený Poplach : Une confrontation OTAN-soviétique en Tchécoslovaquie (1968)
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Alexandre Lang.
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Re: Červený Poplach : Une confrontation OTAN-soviétique en Tchécoslovaquie (1968)
Tout à fait, merci à vous deuxUranium Colonel a écrit:Alain Soubigou, j'ai lu quelques un de ses textes, passionant.
Remerciez surtout Pats pour son travail, je ne fait que le traduire...
Flosgon78- Messages : 289
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Re: Červený Poplach : Une confrontation OTAN-soviétique en Tchécoslovaquie (1968)
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Re: Červený Poplach : Une confrontation OTAN-soviétique en Tchécoslovaquie (1968)
Flosgon78 a écrit:Quid du rôle de De Gaulle dans cette histoire
Pats a peu écrit sur la France (peut être que cette traduction sera l'occasion de lui en parler) mais l'armée française va jouer un rôle important..
Uranium Colonel- Messages : 1905
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Re: Červený Poplach : Une confrontation OTAN-soviétique en Tchécoslovaquie (1968)
Contrairement à ce que prétendent certains satiristes politiques russes modernes, Leonid Brejnev n'a pas limogé l'ensemble des dirigeants du KGB ou de l'Armée rouge autour d'une bouteille de Stolichnaya. Mais cette blague donne une idée de la colère du dirigeant soviétique face à la fuite des plans de l'opération Danube. Au moment où le premier C-130 de l'armée de l'air américaine a atterri à l'aéroport de Prague-Ruzyně le 24 juillet, une douzaine d'adjoints du président du KGB de l'époque, Yuri Andropov, avaient été renvoyés de leur poste, et Andropov lui-même aurait pu être renvoyé aussi s'il n'avait pas été lié par son amitié et sa loyauté envers Brejnev. Et même les personnes qui ont été licenciées ont eu relativement de la chance ; l'un des officiers de l'Armée rouge chargé de maintenir la sécurité opérationnelle pour l'occupation proposée de la Tchécoslovaquie par le Pacte de Varsovie a été exécuté par un peloton d'exécution quelques minutes après qu'Alexander Dubcek eut terminé son discours demandant l'aide de l'OTAN. Un autre officier s'est suicidé en se faisant sauter la cervelle avec son pistolet de service plutôt que de subir l'humiliation d'une cour martiale qui aurait été inévitable. Toujours déterminé à mettre la Tchécoslovaquie au pas malgré ce qui s'était passé, Brejnev ordonna un renforcement rapide et massif des forces soviétiques en Ukraine afin de faire comprendre à Dubcek et à Johnson que l'opposition au contrôle soviétique de l'Europe orientale ne serait pas tolérée. Il espérait que ce renforcement intimiderait l'OTAN et les Tchèques pour les faire reculer.
Son stratagème se retourne contre lui de manière spectaculaire. Pour chaque unité de l'Armée rouge qui pénètre en Ukraine, deux unités de l'OTAN franchissent la frontière entre l'Allemagne de l'Ouest et la République tchèque. Le commandement aérien tactique de l'armée de l'air américaine, avec l'autorisation du ministère de la défense tchèque, commence à effectuer des patrouilles aériennes de combat au-dessus des villes tchèques afin de dissuader les bombardiers soviétiques d'attaquer. Le SAS britannique poste deux de ses meilleurs détachements sur une base de l'armée tchèque près de Bratislava dans l'intention de mener des attaques de type guérilla derrière les lignes soviétiques si la guerre éclate. Des parachutistes canadiens, néerlandais et belges se joignent aux gardes-frontières tchèques pour patrouiller la frontière tchéco-soviétique. Même la France, qui s'était largement tenue à l'écart d'une pleine participation à l'alliance de l'OTAN depuis 1966, s'engage à fournir du personnel de reconnaissance et des détachements médicaux de terrain à l'opération Pressgang. Pendant ce temps, les manifestants antisoviétiques continuent de défiler sur la place Venceslas de Prague, et les plus audacieux d'entre eux investissent l'ambassade soviétique, désormais déserte, pour en faire le centre névralgique de leur mouvement ; cette action ne fait qu'exaspérer un Brejnev déjà furieux, qui la considère comme un acte de terrorisme. À Berlin-Est, le dirigeant de la RDA Walter Ulbricht craint que la même chose n'arrive à l'ambassade est-allemande de Prague, encore en activité, et ordonne que des éléments du Fallschirmjägerbataillon Willi Sänger (bataillon de parachutistes Willi Sanger) soient mis en état d'alerte afin de pouvoir intervenir si nécessaire pour protéger le complexe de l'ambassade. Cela a incité la Bundeswehr ouest-allemande à activer certaines de ses propres unités aéroportées et à les déployer à la frontière entre l'Allemagne de l'Ouest et la République tchèque pour servir de force de réserve en cas de déclenchement d'une guerre entre l'OTAN et le Pacte de Varsovie. Ce qui n'était au départ qu'une querelle idéologique mineure entre Dubcek et Brejnev se transformait en une véritable confrontation entre les deux plus grandes superpuissances du monde.....
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Re: Červený Poplach : Une confrontation OTAN-soviétique en Tchécoslovaquie (1968)
Aujourd'hui, le bataillon de parachutistes Willi Sanger n'existe plus que dans les livres d'histoire et dans les listes occasionnelles de souvenirs de la guerre froide sur eBay. Mais à l'été 1968, il s'agissait de l'une des unités aéroportées d'élite du Pacte de Varsovie, la réponse de la Volksarmee est-allemande à la 101e division aéroportée américaine. Lorsque Dubcek a pris la décision fatidique de s'opposer à l'occupation soviétique de la Tchécoslovaquie, les responsables du renseignement des deux côtés du rideau de fer ont rapidement compris que le bataillon Sanger jouerait un rôle essentiel dans toute réponse du Pacte de Varsovie à l'intervention de l'OTAN. Le 30 juillet 1968, le chef d'état-major de la Volksarmee, le général Heinz Kessler, a activé deux compagnies de parachutistes et une compagnie de sapeurs du bataillon Sanger et les a déployées sur une base militaire près de Dresde afin qu'elles soient prêtes à entrer dans Prague au pied levé en cas de tentative de prise d'assaut de l'ambassade est-allemande dans la capitale tchèque. Ces unités étaient accompagnées de deux équipes d'agents de la Stasi, la célèbre agence de police secrète est-allemande. En apparence, les agents étaient avec les parachutistes simplement pour les aider à protéger le personnel de l'ambassade de Prague, mais leur implication avait d'autres objectifs plus sombres. Ils avaient dressé une liste de personnes à "liquider" si la guerre éclatait - et Alexander Dubcek figurait en tête de cette liste. Les souvenirs du soulèvement de juin 1953 étaient encore frais dans l'esprit des dirigeants du Parti de l'unité socialiste à Berlin-Est, et ils craignaient profondément que ce qu'un assistant de Walter Ulbricht a appelé la "tumeur" du mouvement du Printemps de Prague ne se propage à travers leurs propres frontières à temps, à moins que l'Allemagne de l'Est et ses alliés restants du Pacte de Varsovie ne parviennent à soumettre les Tchèques.
Les agents sont également chargés de décourager les parachutistes de tenter de passer à l'Ouest si les choses tournent mal. Si nécessaire, le chef de la Stasi, Erich Mielke, leur a dit avant de quitter Berlin qu'ils étaient autorisés à tirer sur les parachutistes en dernier recours pour les empêcher de déserter leur poste. Si ces mesures peuvent sembler inutilement dures aux observateurs modernes, elles étaient parfaitement conformes à l'état d'esprit paranoïaque qui a façonné la politique du régime d'Ulbricht au moment de la crise tchèque. Depuis le soulèvement de 1953, Ulbricht avait vu l'insurrection dans chaque expression sceptique ou hésitation à scander un slogan du Parti de l'Unité ; il n'avait pas envie que l'histoire se répète. Le déploiement des troupes du bataillon Sanger à Dresde s'accompagne d'une vaste campagne de répression de la Stasi contre les opposants internes présumés du gouvernement de Berlin-Est. Entre le moment où le général Kessler a signé les ordres d'activation, le 30 juillet, et celui où les premières troupes du bataillon Sanger ont pris leurs fonctions, le 1er août, plus de 500 personnes ont été arrêtées et emprisonnées pour déloyauté envers le régime, et sur ce nombre, au moins 270 ont été exécutées pour trahison. Alors que les médias d'État officiels font de leur mieux pour justifier la répression en la présentant comme une mesure nécessaire pour protéger la RDA contre le "hooliganisme", de nombreux jeunes Allemands de l'Est voient les actions du régime sous un jour différent et beaucoup plus négatif - à leurs yeux, il ne s'agit que d'une excuse de plus pour un gouvernement autoritaire pour mettre son nez dans leur vie privée. La population est-allemande de moins de 30 ans a commencé à nourrir un ressentiment qui allait atteindre une masse critique au moment même où l'impasse plus large entre l'OTAN et le Pacte de Varsovie au sujet de la Tchécoslovaquie était prête à exploser en conflit armé.
L'activation des trois compagnies du bataillon Sanger incite la Bundeswehr ouest-allemande à activer des éléments de sa propre 1ère division aéroportée et à les envoyer dans un avant-poste près de Regensburg, d'où il est prévu qu'ils opèrent comme force de secours pour les troupes américaines et britanniques au cas où les Soviétiques tenteraient de poursuivre l'opération Danube. La situation déjà tendue en Europe centrale le devenait encore plus, et la perspective jusqu'alors impensable d'une guerre civile interallemande semblait pour la première fois être une possibilité réelle. À Berlin-Ouest, les bureaux consulaires sont bondés de personnes à la recherche de visas dans une tentative désespérée de quitter la ville avant que les balles (ou pire encore, les missiles) ne commencent à voler.....
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Re: Červený Poplach : Une confrontation OTAN-soviétique en Tchécoslovaquie (1968)
Merci de ta réponseUranium Colonel a écrit:Flosgon78 a écrit:Quid du rôle de De Gaulle dans cette histoire
Pats a peu écrit sur la France (peut être que cette traduction sera l'occasion de lui en parler) mais l'armée française va jouer un rôle important..
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Re: Červený Poplach : Une confrontation OTAN-soviétique en Tchécoslovaquie (1968)
L'un des bénéficiaires inattendus de l'escalade des tensions entre l'OTAN et le Pacte de Varsovie au sujet de la Tchécoslovaquie est Nicolae Ceausescu, l'impitoyable président de la Roumanie au moment où débute l'opération Pressgang. Depuis qu'il avait succédé à Gherorghe Gheorghu-Dej en 1965, il avait largement joué un rôle mineur sur la scène internationale ; même parmi ses collègues chefs d'État d'Europe de l'Est, il était un personnage secondaire. Mais dans les jours et les semaines qui suivent la divulgation des plans de l'opération Danube, sa position provocante à l'égard de Moscou commence à attirer l'attention du reste du monde, en particulier de la Maison Blanche et du 10 Downing Street. Il dénonce avec passion les projets du régime de Brejnev d'occuper la Tchécoslovaquie et rompt les liens diplomatiques avec tous les pays du Pacte de Varsovie restants, à l'exception notable de la Hongrie, voisine immédiate de la Roumanie. Le 5 août, Ceausescu organise un rassemblement massif dans la capitale roumaine, Bucarest, qu'un correspondant d'un journal britannique décrira plus tard comme "la fête du coming-out de la Roumanie moderne". Plus de 100 000 Roumains se rassemblent sur ce que l'on appelle aujourd'hui la place Charles de Gaulle, au cœur de Bucarest, pour manifester leur solidarité avec les Tchèques et écouter un discours enflammé de 90 minutes prononcé par Ceausescu, dans lequel il accuse Brejnev d'"assassiner" les idéaux du socialisme et de constituer une grave menace générale pour la paix dans le monde. Ce discours lui vaut l'admiration de nombreux Occidentaux et marque le début d'un effort actif des États-Unis pour obtenir son soutien dans le cadre de l'opération Pressgang.
Voyant l'occasion de renforcer la position internationale de la Roumanie et son propre prestige, Ceausescu n'est que trop heureux d'accéder aux demandes de Washington de soutenir les efforts de l'OTAN pour défendre la Tchécoslovaquie. Deux jours après le rassemblement de Bucarest, il annonça, lors d'une conférence de presse télévisée nationale, que les forces armées roumaines seraient à la disposition de l'OTAN si une guerre éclatait entre les États-Unis et l'Union soviétique. Il s'agissait d'une ironie que les auteurs de science-fiction les plus imaginatifs n'auraient guère osé prédire : dans ce qui pourrait bien être le test le plus critique de sa force auquel l'OTAN ait été confrontée depuis sa création en 1949, elle aurait le soutien de deux nations qui, quelques années auparavant, étaient de fidèles alliés soviétiques. Depuis la défection de l'Italie de l'Axe après le renversement de Benito Mussolini en 1943, l'Europe n'avait pas connu de changement aussi radical dans l'orientation de la politique étrangère d'un pays. Le 10 août, deux bataillons d'infanterie roumaine arrivent à Bratislava pour aider les Britanniques à défendre la ville et, le lendemain, une unité de reconnaissance de l'armée de l'air roumaine arrive à Brno pour commencer à surveiller les mouvements des troupes soviétiques. Brejnev doit maintenant faire face à deux maux de tête en Europe de l'Est. ....
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Re: Červený Poplach : Une confrontation OTAN-soviétique en Tchécoslovaquie (1968)
Le 13 août, 28 jours seulement après que le mémo sur l'opération Danube eut été communiqué aux responsables des services de renseignements tchèques, le nombre de troupes américaines déployées en Tchécoslovaquie pour l'aider à se défendre contre l'invasion du Pacte de Varsovie était équivalent au nombre total de combattants stationnés au Vietnam pendant toute l'année 1966. Et elles ne représentaient qu'une partie de ce qui était devenu un contingent de 13 nations composé de forces terrestres et aériennes destinées à dissuader le Pacte de Varsovie d'occuper le territoire tchèque. L'organigramme de l'opération Pressgang comprend désormais des unités médicales danoises, des troupes de ski norvégiennes, l'infanterie de montagne italienne Alpini, des ingénieurs grecs et même une équipe de recherche et de sauvetage des garde-côtes islandais. Onze autres pays apportent leur coopération en matière de renseignement et leur soutien diplomatique, notamment Israël, qui surveille les communications soviétiques en Ukraine grâce à un poste d'écoute du Mossad installé à l'ambassade d'Israël à Bucarest, et le Japon, qui use de son influence considérable en Extrême-Orient pour rallier ses pays frères du Pacifique à la cause de la Tchécoslovaquie. La Chine, bien que publiquement neutre dans l'impasse entre l'OTAN et le Pacte de Varsovie, a fait savoir en privé par des voies détournées qu'elle ne s'opposerait pas à ce que le Kremlin reçoive une leçon. Fidel Castro, de Cuba, passe des heures au téléphone avec Brejnev et Dubcek, faisant de son mieux pour trouver une solution politique à l'impasse avant que le bloc socialiste dans son ensemble ne subisse ce que le journal officiel du gouvernement cubain, Granma, appelle "une fracture irréparable".
À Berlin-Est, cependant, Walter Ulbricht se concentrait sur un conflit de volontés beaucoup plus proche de chez lui. Depuis le 10 août, un groupe d'étudiants de l'université Humboldt organisait un sit-in à la porte de Brandebourg pour exiger la libération de deux camarades de classe qui avaient été arrêtés pour avoir critiqué le soutien du régime d'Ulbricht à l'opération Danube. La manifestation en elle-même est une véritable gifle pour Ulbricht, car elle constitue une attaque politique directe contre la légitimité de son gouvernement. Mais ce qui ajoute l'insulte à la blessure pour lui, c'est que de l'autre côté de la porte, les étudiants ouest-allemands organisent leur propre rassemblement pour soutenir les manifestants de Humboldt, exacerbant ainsi les tensions déjà graves entre la RDA et la République fédérale. Mais le pire, de son point de vue, est que l'incertitude créée par les manifestations dans tout Berlin donne à l'OTAN une excuse parfaite pour envoyer des troupes à la frontière est-allemande. La Stasi a tout essayé pour mettre fin au sit-in, mais les manifestants ont refusé de céder ; certains des manifestants les plus audacieux ont même affronté physiquement les agents de la Stasi, et au moins une de ces confrontations a dégénéré en bagarre qui a entraîné l'hospitalisation de tous les participants. Lassé des maux de tête que lui causaient les manifestants de Humboldt, Ulbricht a convoqué Erich Mielke dans son bureau vers 16h30, heure de Berlin, l'après-midi du 13 août, pour une réunion à huis clos de quinze minutes au cours de laquelle il a averti le chef de la Stasi en termes très clairs que si le sit-in ne prenait pas fin dans les 24 heures, tous les officiers supérieurs sous le commandement de Mielke seraient licenciés...., à commencer par Mielke lui-même.
Cet avertissement funeste résonnant dans ses oreilles, Mielke retourne au quartier général de la Stasi et téléphone au ministre de la Défense est-allemand de l'époque, Heinz Hoffman, pour demander l'aide de la Volksarmee afin de réprimer les manifestations de la Porte de Brandebourg. Malgré les lourdes obligations imposées à l'armée est-allemande par l'intervention de l'OTAN en Tchécoslovaquie, Hoffman accepte de fournir deux divisions d'infanterie motorisées pour aider la Stasi à écraser les manifestations. Des plans ont été mis en place pour que les forces combinées de la Stasi et du Volksarmee se dirigent vers les manifestants de Humboldt à l'aube du lendemain matin. Mielke et ses hommes s'attendaient à écraser les manifestants assis aussi rapidement qu'ils l'avaient fait lors du soulèvement de juin quinze ans plus tôt. Au départ, le cours des événements semble confirmer cette conclusion ; plusieurs dizaines de manifestants s'enfuient en effet lorsque la répression commence juste après 5 h 45 du matin le 14 août. Mais la plupart des autres participants au sit-in ont choisi la résistance ; quelques minutes après le début de la grève, les troupes de la Stasi/Volksarmee se sont retrouvées bombardées de pierres, de canettes, de bouteilles et de tout ce que les manifestants pouvaient trouver. Dans la panique, l'un des soldats de la Volksarmee a tiré deux rafales de son fusil AK-47 sur l'un des leaders de la manifestation, qui est mort en quelques secondes. Enragés, les autres manifestants ont envahi les forces de sécurité et ont commencé à les frapper violemment ; au moins trois véhicules ont été attaqués avec des cocktails Molotov. À la tombée de la nuit, on dénombrait au moins 54 morts confirmés et 126 autres blessés ou disparus. Mielke, réalisant que sa répression avait échoué et qu'il était sur le point de perdre tout ce pour quoi il avait travaillé, s'est tiré une balle avec son pistolet de service vers 22h30 ; un de ses assistants a trouvé son corps quarante minutes plus tard.
Comme Ulbricht l'avait craint, l'OTAN a rapidement pris la décision d'envoyer des troupes en Allemagne de l'Est, invoquant la nécessité de protéger les citoyens de Berlin-Ouest et cherchant également à protéger ses troupes en Tchécoslovaquie contre un éventuel assaut de l'arrière-garde du Pacte de Varsovie. À midi, le 15 août, les forces terrestres américaines, britanniques et ouest-allemandes traversent la frontière interallemande le long d'un couloir de quatre miles de large. Prises au dépourvu par cette action, les forces soviétiques en Allemagne de l'Est étaient coupées les unes des autres, et à 16 h 30 cet après-midi-là, Leonid Brejnev avait convoqué une réunion d'urgence de ses principaux conseillers militaires pour tenter de trouver une réponse à l'incursion de l'OTAN. Tout espoir que le Pacte de Varsovie aurait pu avoir de voir l'opération Danube se réaliser était, sinon mort, du moins dans un état critique.....
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Re: Červený Poplach : Une confrontation OTAN-soviétique en Tchécoslovaquie (1968)
L'un des éléments essentiels au maintien d'une dictature réussie est le contrôle étroit des médias d'une nation, et jusqu'au début de la crise tchèque, l'Union soviétique avait remarquablement réussi à cet égard. La majorité du public soviétique ne voyait jamais rien à la télévision et n'entendait jamais rien à la radio qui ne corresponde aux paramètres idéologiques étroits fixés par le Comité central du PCUS ; les journaux étaient soumis à un degré de censure qui aurait fait rougir les monarques les plus autocratiques des 17e et 18e siècles. Mais avec la présence croissante de l'OTAN en Tchécoslovaquie et l'implantation des forces de l'OTAN en Allemagne de l'Est, la machine de propagande du Kremlin a été bouleversée. Pour la première fois depuis près d'un demi-siècle, le citoyen soviétique pouvait écouter des voix alternatives, les médias occidentaux publics et privés commençant à s'installer aux portes mêmes du rideau de fer. L'une des images les plus marquantes de l'été 1968 pour de nombreux Américains est celle de Walter Cronkite, debout devant la cathédrale de Magdebourg, alors qu'il présentait le tout premier journal télévisé diffusé en direct par une chaîne américaine depuis le sol est-allemand. Pour bon nombre des principaux conseillers de Brejnev, et pour Brejnev lui-même d'ailleurs, la présence de Cronkite à Magdebourg était un présage de désastre imminent encore plus alarmant que la présence des forces militaires de l'OTAN en Tchécoslovaquie ou que les colonnes de troupes qui avançaient régulièrement vers Berlin. Il représentait un défi ouvert et sérieux au récit de relations publiques que Moscou avait vendu de force à ses sujets depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Malgré tous les efforts déployés par les médias d'État soviétiques pour le discréditer, Cronkite est devenu l'une des sources d'information les plus fiables pour des millions d'Européens de l'Est désireux d'entendre l'histoire complète de la situation tchécoslovaque au lieu de l'habituelle autoglorification unilatérale des sources approuvées par le gouvernement.
Cronkite et ses collègues journalistes seront aux premières loges pour assister à l'un des tournants les plus importants de l'opération Pressgang. Le 18 août 1968, les Soviétiques et leurs alliés est-allemands ont finalement pris des mesures pour tenter d'endiguer la marée de l'OTAN. Ce matin-là, peu avant 11 h 15, des centaines d'avions de chasse soviétiques et est-allemands ont pénétré dans l'espace aérien tchèque avec l'ordre de détruire les principales ressources tactiques de l'OTAN dans l'est de la Tchécoslovaquie, en accordant une attention particulière au principal quartier général du corps blindé américain près de Brno. Quelques minutes plus tard, trois divisions de l'armée soviétique marchent sur la Tchécoslovaquie occidentale et le bataillon de parachutistes Willi Sanger est placé sur le pied de guerre avec l'ordre d'attaquer le siège du ministère de la défense tchèque à Prague. Pendant ce temps, en Allemagne de l'Est, les Landstreitkräfte, la branche des forces terrestres de la Volksarmee, lancent une attaque sur trois fronts contre l'extrémité sud de la colonne de l'OTAN qui se dirige vers Berlin. Dans la Baltique, la petite mais dangereuse Marine populaire d'Allemagne de l'Est commence des opérations de chasse aux sous-marins pour contrer la présence des sous-marins nucléaires américains et britanniques. À la frontière entre la Hongrie et la Roumanie, des batteries d'artillerie hongroises bombardent une douzaine d'avant-postes de l'armée roumaine.
Napoléon Bonaparte a dit qu'"aucun plan de bataille ne survit au premier contact avec l'ennemi", mais dans certaines zones du front nouvellement ouvert, le plan tactique soviéto-allemand s'est effondré avant même le premier contact. Le penchant notoire de l'Armée rouge pour l'inefficacité bureaucratique se manifesta très tôt et souvent dans les premières heures de ce qu'on allait bientôt appeler la guerre de Tchécoslovaquie ; à cause d'une panne de communication, la deuxième vague de troupes soviétiques, qui devait entrer en Tchécoslovaquie à 13 h 15 le 18 août, ne commença à quitter ses bases en Ukraine qu'après 15 heures. L'équipement destiné aux unités de combat a été expédié par erreur à des détachements non combattants et vice versa, et pour aggraver encore le problème, les contingents de combat et non combattants ont reçu des fournitures inadaptées à l'environnement dans lequel les troupes allaient opérer ; dans un exemple particulièrement ironique, une compagnie de génie a reçu des vêtements d'hiver alors que l'Europe était au milieu de l'un des étés les plus chauds de mémoire récente. Il s'est avéré que ces problèmes d'approvisionnement étaient le moindre des problèmes de Moscou.....
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Re: Červený Poplach : Une confrontation OTAN-soviétique en Tchécoslovaquie (1968)
Mentionnez le nom de Gustav Husak au Tchèque ou au Slovaque moyen de nos jours et sa première réaction sera probablement de cracher de dégoût. Pour la quasi-totalité des Tchèques et des Slovaques de plus de 60 ans, et pour bon nombre de ceux qui ont moins de 60 ans, Husak est un Quisling des temps modernes qui a tourné le dos à sa patrie au moment le plus critique pour des raisons d'avancement personnel. Ancien vice-premier ministre du gouvernement Dubcek, qui avait brusquement démissionné pour protester contre la décision de Dubcek de retirer la Tchécoslovaquie du Pacte de Varsovie, Husak vivait dans un exil intérieur auto-imposé dans la ville de Košice lorsque la guerre tchèque a commencé ; il attendait une occasion de se venger de Dubcek, et il l'a vue dans l'invasion soviétique. De même, les autorités du Kremlin considéraient Husak comme un collaborateur potentiellement utile dans leurs plans pour réimposer le communisme dur aux Tchèques. Ainsi, lorsque Husak contacte le chef de la station du KGB à Bratislava dans la soirée du 19 août pour demander une rencontre avec le commandant des forces avancées soviétiques approchant de Košice, le chef de la station n'hésite pas à donner suite à sa demande. Vers 23 h 52, heure de Prague, une Skoda 1202 brune s'arrête devant l'appartement où Husak logeait depuis sa démission et deux agents du KGB le font monter dans la voiture pour un trajet de 30 minutes vers les lignes de front de l'Armée rouge. Lorsque l'identité de Husak a été vérifiée à la satisfaction du personnel militaire soviétique, un appel a été passé à Leonid Brejnev au Kremlin ; pendant les deux heures et demie qui ont suivi, Brejnev et Husak ont mis au point le cadre préliminaire d'un accord visant à installer Husak à la tête du régime fantoche que les Soviétiques avaient l'intention de mettre en place à la place du gouvernement de Dubcek.
À 3 h 35 du matin, le 20 août 1968, un hélicoptère de l'Armée rouge a transporté Husak à Kiev, la capitale de la province ukrainienne ; de là, un avion de transport Antonov l'a emmené à Moscou, où il est arrivé au Kremlin juste après 5 h 15. À 10 h 30, Husak et Brejnev avaient signé le projet final de ce qu'on appelait par euphémisme "l'accord de renouvellement de l'amitié soviéto-tchèque", mais qui constituait en réalité les trente pièces d'argent proverbiales permettant à Husak de devenir un Judas de la guerre froide. À 16 h 45 cet après-midi-là, des millions de citoyens tchèques et des milliers de soldats de l'OTAN ont été stupéfaits d'entendre une émission de radio dans laquelle Husak proclamait l'établissement de ce qu'il appelait "la République tchécoslovaque populaire". Par ses actions depuis le 15 juillet, affirmait Husak dans son annonce grandiose, Dubcek avait effectivement perdu toute crédibilité en tant que dirigeant de la Tchécoslovaquie et devait maintenant démissionner pour le bien du pays. Selon Husak, chaque jour où Dubcek s'y refuse, l'Europe se rapproche de plus en plus du bord de la catastrophe nucléaire. Peu après la fin de la déclaration grandiloquente de Husak, Brejnev prononce son propre discours à la radio, dans lequel il déclare sans ambages que l'acceptation par l'Occident de l'État fantoche de Husak comme gouvernement légitime de la Tchécoslovaquie est une condition préalable nécessaire à la fin des hostilités entre l'OTAN et l'Union soviétique. Il s'agissait d'un pari audacieux de la part de Husak et de Brejnev - qui allait se retourner contre eux de manière dramatique...
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Re: Červený Poplach : Une confrontation OTAN-soviétique en Tchécoslovaquie (1968)
Il me semble que von Motke.Napoléon Bonaparte a dit qu'"aucun plan de bataille ne survit au premier contact avec l'ennemi"
Plus qu'une question de bureaucratie, j'avais souligné cela dans Au Bord de l'Abîme, c'est une question d'organisation hiérarchique et de doctrine.Le penchant notoire de l'Armée rouge pour l'inefficacité bureaucratique se manifesta très tôt
En gros, les bas échelons sur le terrain se voient confier un plan à suivre. Les sous-officiers soviétiques sont formés à suivre des plans et rien d'autre. Au moindre problème tactique, s'ils ne reçoivent pas de nouveaux ordres des échelons supérieurs, leur unité est paralysée. C'est d'ailleurs encore assez vrai pour l'armée russe post-soviétique. En gros, tout est planifié par des gens à Moscou et dès que la réalité s'en mêle, les problèmes commencent.
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Re: Červený Poplach : Une confrontation OTAN-soviétique en Tchécoslovaquie (1968)
Si l'Allemagne de l'Est et la Hongrie ont pu être les principaux complices de l'Union soviétique dans sa quête pour soumettre la Tchécoslovaquie, le Polonais Wladyslaw Gomulka n'est certainement pas resté inactif dans ce domaine. Sur ses ordres, l'Armée populaire polonaise avait envoyé deux corps d'infanterie motorisés et un régiment blindé à la frontière polono-tchèque pour aider à protéger le flanc nord des Soviétiques alors qu'ils poussaient vers Košice et commençaient à se préparer à attaquer Bratislava ; lorsque Gustav Husak eut besoin de conseillers pour former la nouvelle milice de son régime fantoche, Gomulka envoya des sergents instructeurs de l'Infanterie navale polonaise pour s'acquitter de cette tâche. Des agents du bureau de la police secrète de la SB ont tenu Moscou au courant des derniers mouvements de troupes de l'OTAN dans l'ouest de la Tchécoslovaquie et ont contribué à maintenir la Stasi en état de marche après le suicide d'Erich Mielke. Les escadrons de chasseurs polonais effectuent des missions de défense aérienne pour soutenir les forces de combat soviétiques et est-allemandes sur le sol tchèque. Dans la Baltique, la marine populaire polonaise a travaillé côte à côte avec son homologue est-allemande lors de patrouilles anti-sous-marines. Les avions de transport militaire polonais transportaient régulièrement du carburant, de la nourriture et des munitions vers la Hongrie afin de soutenir l'armée hongroise dans sa lutte contre la Roumanie. Enfin, Gomulka lui-même a prononcé d'innombrables discours exhortant ses compatriotes polonais à soutenir ce qu'il appelait "la glorieuse lutte pour défendre le socialisme contre les bellicistes réactionnaires de l'OTAN". Pourtant, derrière toutes les proclamations d'unité fraternelle et les exhortations à résister à l'"impérialisme" occidental, de nombreux jeunes Polonais avaient le sentiment que le soutien sans réserve de Gomulka à la répression du mouvement de réforme du Printemps de Prague était une trahison hypocrite non seulement des idéaux du marxisme, mais aussi de l'héritage national de la Pologne, qui s'opposait aux invasions étrangères. S'inspirant du sit-in de la Porte de Brandebourg et du mouvement contre la guerre du Vietnam aux États-Unis, les étudiants universitaires de Cracovie, Varsovie et Gdansk ont commencé à organiser leurs propres manifestations, bravant la chaleur accablante de l'été et les menaces d'arrestation ou même d'exécution par le SB pour demander la fin rapide de la guerre tchèque.
Au début, les manifestants ne se rassemblent que par petits groupes de quelques dizaines de personnes tout au plus. Certains des meneurs de la manifestation ont effectivement été arrêtés et emprisonnés, et dans des cas extrêmes, soumis à des coups impitoyables qui pouvaient durer des heures. Mais si Gomulka pensait que les arrestations allaient court-circuiter les manifestations, le choc fut rude : le 21 août 1968, quelque 5 000 étudiants représentant toutes les grandes universités polonaises se sont rassemblés sur la place du marché principal de Cracovie pour le plus grand rassemblement pro-Dubcek qu'une ville européenne ait connu depuis le discours de Dubcek du 15 juillet annonçant le retrait de la Tchécoslovaquie du Pacte de Varsovie. Il ne fallut pas longtemps pour que ce nombre déjà important gonfle encore plus, car des femmes au foyer, des travailleurs du commerce et même des troupes de l'Armée populaire polonaise se joignirent à la manifestation. Le 25 août, trois jours après le début de la manifestation et deux jours avant que les forces soviétiques en Tchécoslovaquie n'attaquent la ville de Lučenec, les rangs des manifestants avaient atteint près de 11 000 personnes, soit plus du double du nombre de manifestants au départ. Gomulka, outré par ce défi ouvert à son régime, ordonna au SB d'écraser à tout prix la manifestation de la place du Marché principal. En conséquence, peu après 4h30 du matin le 27 août, des troupes d'élite de l'unité de répression des activités anti-étatiques du Département III du SB sont entrées en action pour disperser les manifestants et arrêter les meneurs de la manifestation. Mais cela s'est avéré plus facile à dire qu'à faire, car les femmes au foyer et les travailleurs ont formé un cordon de protection pour protéger les étudiants. Il s'ensuit une impasse tendue qu'un journaliste suisse a décrite comme "faisant penser à un insecte coincé dans l'ambre".
Cet ambre a volé en éclats dans l'après-midi du 28 août, lorsque l'un des soldats dissidents soutenant les étudiants manifestants a ouvert le feu sur le contingent SB afin de l'empêcher d'attaquer les leaders de la manifestation. En quelques minutes, le jeune soldat est mort et une fusillade s'ensuit, qui fera près de 120 morts avant de s'achever. Malgré les efforts des médias d'État pour contrôler le récit, la vérité sur ce qui est aujourd'hui connu sous le nom de "massacre de la place du marché" s'est progressivement répandue dans toute la Pologne grâce au bouche à oreille et à un ingénieux réseau d'édition clandestin qui a distribué des tracts dans toute la Pologne. Alors que l'été se transformait en automne et que l'OTAN se préparait à ce qui promettait d'être une lutte acharnée avec l'Armée rouge pour la défense de Bratislava, Gomulka s'est retrouvé de plus en plus dans le collimateur d'une campagne déterminée menée par les jeunes générations polonaises pour forcer son retrait du pouvoir.....
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Re: Červený Poplach : Une confrontation OTAN-soviétique en Tchécoslovaquie (1968)
Permettez-moi tout d'abord de remercier tous ceux qui ont pris le temps de découvrir cette série et d'encourager ceux qui ne l'ont pas encore lue à y jeter un œil. La guerre froide est l'une de mes périodes historiques préférées à explorer ; l'une des premières chronologies que j'ai écrites lorsque j'ai commencé à m'intéresser à l'histoire alternative au début des années 2000 était un précurseur du scénario que j'esquisse ici. Malheureusement, la page Web qui hébergeait la ligne du temps est maintenant hors service. J'y pensais le jour où j'ai eu l'inspiration pour créer "Červený Poplach(Red Alert)", et maintenant que j'y travaille depuis un certain temps, j'apprécie l'opportunité de développer le monde hypothétique que j'ai esquissé dans mes premiers jours en tant que passionné d'histoire alternative.
Ensuite, un petit mot sur les photos qui accompagnent chaque chapitre de cette série. Je les ai trouvées en effectuant un certain nombre de recherches minutieuses sur Google Images et je les ai enregistrées sur le disque dur de mon ordinateur afin de pouvoir ajuster leur taille en fonction de la fenêtre de message. Certaines des photos étaient si grandes qu'elles auraient masqué le texte, j'ai donc dû les réduire un peu.
Enfin, voici un résumé de ce que vous pouvez attendre des prochains épisodes de cette série : menaces terroristes sur les conventions nationales démocrate et républicaine de 1968, rumeurs de mutinerie au sein de l'armée est-allemande, complot du KGB pour éliminer Nicolae Ceausescu, effet papillon au Vietnam, frappes aériennes du Pacte de Varsovie sur Brno, les Navy Seals et le SBS exécutant une frappe conjointe contre les installations navales est-allemandes, et bien sûr la bataille de Bratislava. Ou pour le dire plus simplement....
ATTACHEZ VOTRE CEINTURE, LES ENFANTS, ÇA VA DEVENIR RÉEL !
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Re: Červený Poplach : Une confrontation OTAN-soviétique en Tchécoslovaquie (1968)
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Re: Červený Poplach : Une confrontation OTAN-soviétique en Tchécoslovaquie (1968)
Avant même que la guerre tchèque n'éclate, il était acquis que la campagne présidentielle américaine de 1968 serait pour le moins mouvementée. La guerre du Viêt Nam, en particulier, s'avérait être un sujet de discorde, à tel point que trois mois et demi avant que Dubcek ne sorte la Tchécoslovaquie du Pacte de Varsovie, Lyndon Johnson avait prononcé un discours télévisé dans lequel il déclarait explicitement qu'il ne briguerait pas un second mandat présidentiel. Robert Kennedy avait remporté la primaire démocrate de Californie en promettant de ramener les GI's américains d'Asie du Sud-Est, une promesse qu'il n'a pu tenir car il a été assassiné quelques minutes après son discours de victoire. L'ancien vice-président Richard Nixon, grand favori de la course à l'investiture républicaine, avait fait de la "vietnamisation" de la guerre, c'est-à-dire du transfert progressif de la responsabilité principale de la lutte contre le Vietcong aux Sud-Vietnamiens, l'une des pierres angulaires de sa campagne. Mais alors que la tension entre l'Est et l'Ouest au sujet de la Tchécoslovaquie s'intensifie et que l'OTAN rassemble ses forces pour l'opération Pressgang, tous les regards se tournent vers l'Europe et le Vietnam devient une question secondaire. À peine le président Johnson avait-il engagé les États-Unis à défendre le gouvernement Dubcek que le FBI commençait à recevoir des informations selon lesquelles des gauchistes radicaux préparaient des attentats contre la convention nationale républicaine à Miami et la convention démocrate à Chicago, soit dans le cadre d'actions de "loup solitaire", soit au sein de groupes extrémistes qui voulaient mener leur propre guerre privée contre le gouvernement fédéral.
À l'époque, et pendant un certain nombre d'années par la suite, de nombreuses allégations ont été formulées selon lesquelles le KGB aurait fomenté ou du moins encouragé ces complots terroristes. Mais la plupart des informations disponibles à leur sujet suggèrent qu'ils étaient en fait largement d'origine locale. L'un de ces complots était centré sur l'idée de conduire un camion de déménagement rempli d'explosifs et de le faire s'écraser sur le Miami Beach Convention Center lors de la dernière nuit de la Convention nationale républicaine ; l'objectif était de déclencher une explosion suffisamment puissante pour raser le centre de convention et tuer Nixon ainsi que le reste des participants à la RNC. Les conspirateurs n'ont cependant jamais eu l'occasion de mettre leur plan à exécution ; le 7 août, la veille de l'attentat, le cerveau principal du projet de bombe a été tué dans un accident de voiture alors qu'il tentait d'échapper à la police de Miami-Dade qui cherchait à l'arrêter en raison d'un mandat d'arrêt non exécuté pour possession d'une arme de poing sans permis. Les autres conspirateurs ont été rapidement incarcérés et ont été condamnés à de lourdes peines de prison pour leur rôle dans le projet d'attentat.
À peine la poussière avait-elle commencé à retomber après la tentative d'attentat à la bombe déjouée à Miami que le bureau local du FBI à Chicago a reçu une alerte selon laquelle deux frères aux tendances pro-soviétiques stockaient des armes et des munitions dans l'intention de se livrer à une fusillade lors de la Convention démocratique. L'alerte était particulièrement inquiétante car elle mentionnait que l'un des frères était soupçonné d'avoir acquis une paire de mitrailleuses et prévoyait de les utiliser pour tuer autant de délégués à la convention qu'il le pourrait. Une lettre que les frères prévoyaient d'envoyer au Chicago Tribune affirmait qu'ils menaient cette action pour lancer ce qu'ils appelaient une "guerre de libération du peuple" contre l'establishment politique américain "belliciste". Inutile de dire que le risque de lourdes pertes civiles si cette fusillade devait se poursuivre était énorme, et le 28 août, le FBI a agi rapidement pour les capturer avant qu'ils ne puissent frapper à la convention. Les arrêter s'est avéré plus facile à dire qu'à faire, cependant, dans l'atmosphère chaotique qui régnait à Chicago à la suite des affrontements répétés entre la police de la ville et les manifestants contre la guerre du Vietnam. C'était une course contre la montre pour sauver les délégués de la convention, les spectateurs, le candidat présumé Hubert Humphrey, son colistier Edmund Muskie, et les contingents de presse qui couvraient la convention. La police de Chicago fait de son mieux pour faire évacuer tout le monde de l'amphithéâtre international, mais il n'est pas certain que l'évacuation puisse être achevée à temps.
Les frères se trouvaient à moins de dix minutes de l'amphithéâtre, au volant d'une camionnette Chevy de couleur rouille, lorsque le FBI les a finalement rattrapés. Dans une ultime tentative désespérée d'échapper à la capture, l'un des frères a fait faire un demi-tour brusque à la camionnette, avant de s'écraser contre un lampadaire et de mourir des suites d'un traumatisme contondant dû à l'impact de l'accident. Le frère survivant, le visage coupé par des éclats de verre, est sorti en titubant de la camionnette et a tenté de fuir les agents du FBI ; les adjoints du shérif du comté de Cook l'ont maîtrisé à deux pâtés de maisons du lieu de l'accident et il a été emmené à l'hôpital Michael Reese sous bonne garde. Dans d'autres circonstances, ces événements auraient fait la une des éditions du lendemain matin du Tribune et du Sun-Times ; cependant, alors même que le rapport d'arrestation était déposé, l'attention du monde entier était redirigée de manière spectaculaire vers les combats en Tchécoslovaquie, les forces aériennes soviétiques et polonaises déchaînant leur colère sur la deuxième ville de Tchécoslovaquie.....
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Re: Červený Poplach : Une confrontation OTAN-soviétique en Tchécoslovaquie (1968)
L'importance de Brno pour le peuple tchèque ne peut être surestimée. Outre le fait qu'elle abrite un certain nombre de monuments culturels et historiques et qu'elle est le centre névralgique du système judiciaire fédéral de la République tchèque, Brno est également l'un des plus grands centres informatiques d'Europe de l'Est et a été, pendant la majeure partie du XXe siècle, le principal centre industriel de la Tchécoslovaquie. Lorsqu'il est devenu évident pour Brejnev que les Tchèques et l'OTAN n'allaient pas reculer devant l'Armée rouge ou accepter l'État fantoche de Gustav Husak comme nouveau gouvernement de la Tchécoslovaquie, il a conclu que des mesures drastiques étaient nécessaires pour leur forcer la main. S'inspirant de l'ancien ennemi de l'Union soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne nazie, il a donné l'ordre à 23 h 45, heure de Moscou, dans la soirée du 28 août, à la branche de l'aviation à long rayon d'action de l'armée de l'air soviétique de procéder à un bombardement de terreur de la ville afin d'avertir Prague de ce qui attendait le reste de la Tchécoslovaquie si le gouvernement de Dubcek n'acceptait pas les conditions du Kremlin. Les bombardiers soviétiques seraient accompagnés dans leur mission par des avions d'attaque de l'armée de l'air polonaise et escortés jusqu'à leur cible par des escadrons de MiG-21 est-allemands ; une fois le bombardement terminé, des avions de transport Antonov de la milice slovaque fantoche de Gustav Husak largueraient des tracts de propagande exhortant le peuple tchèque à se rendre. À 7 h 30 le matin du 29 août 1968, trois escadrons de Tu-95 soviétiques et deux escadrons d'Il-28 de l'armée de l'air polonaise ont décollé de bases situées en Ukraine pour accomplir cette mission mortelle. Les bombardiers ont été rejoints par leurs escortes est-allemandes au-dessus du sud de la Pologne environ 40 minutes plus tard, et à 8 h 25, les Antonov de la milice de Husak les avaient rejoints dans le ciel au dessus du parc national des Basses Tatras.
Alors que les bombardiers pénétraient dans l'espace aérien de l'OTAN et s'approchaient de la banlieue de Brno, tout semblait se dérouler comme prévu : ils n'avaient pas encore été repérés par les radars et aucun intercepteur ne s'était déplacé pour les défier. Mais quelques minutes avant que la première vague de bombardiers ne passe à l'attaque, les choses ont commencé à mal tourner lorsque l'un des Antonov a subi un dysfonctionnement des portes de sa soute, libérant prématurément les tracts qu'il transportait. Un observateur tchèque au sol, à l'œil vif, a remarqué la cascade de papier et a téléphoné au commandement local de la défense aérienne, qui à son tour a dûment informé le quartier général régional de la défense aérienne de l'OTAN à Ostrava. Les batteries antiaériennes ont ouvert le feu sur le bombardier de tête et les MiG est-allemands ont été contraints de rompre leur formation afin de se protéger et de protéger les bombardiers contre les nuées de chasseurs américains, britanniques et tchèques qui fondaient sur eux.
À partir de là, la bataille aérienne la plus féroce à se produire dans le ciel européen depuis la Seconde Guerre mondiale s'engage, les MiG est-allemands affrontant les Lightning de la RAF, les Phantom II américains et les MiG tchèques ; ce sont les chasseurs tchèques qui subissent les pertes les plus lourdes, en partie à cause des incidents de "tir ami" et en partie à cause des pilotes est-allemands revanchards, désireux de se venger de ce que Leonid Brejnev avait appelé la "trahison" de Dubcek à l'égard de la cause socialiste. Vers 11h avant que les bombardiers restants ne soient contraints de faire demi-tour et de se mettre à l'abri dans les bases aériennes du sud de la Pologne, le nombre total de morts confirmés parmi les attaquants, les défenseurs et la population civile de Brno dépassait les 10 500 - et d'autres cadavres ont été retrouvés dans les deux semaines qui ont suivi le raid, portant le nombre total de victimes à près de 12 000. Les aviateurs soviétiques, polonais et est-allemands survivants ont eu de la chance à un égard : s'ils n'ont pas pu rentrer chez eux, ils ont au moins eu la chance d'être capturés par les troupes de l'OTAN et détenus dans des conditions relativement humaines. Les équipages des trois Antonov de la milice fantoche de Husak n'ont pas eu cette chance : deux d'entre eux qui étaient retournés au siège du régime fantoche à Košice seront abattus par la police secrète de Husak pour avoir raté le raid de Brno, tandis que le troisième a effectué un atterrissage forcé sur un territoire contrôlé par les partisans slovaques anti-Husak et a été sommairement exécuté pour trahison.
En fin de compte, l'attaque aérienne de Brno n'a guère fait avancer les objectifs de Moscou dans la guerre tchéque ; en fait, de nombreux historiens modernes ont avancé l'argument plausible selon lequel la tentative de Brejnev d'anéantir la ville pourrait avoir constitué la première erreur stratégique cruciale du dirigeant soviétique dans le conflit. Premièrement, elle a renforcé la détermination déjà forte de la Tchécoslovaquie à résister à l'invasion soviétique ; deuxièmement, elle a incité l'OTAN à envoyer du matériel et du personnel de défense aérienne supplémentaires en Tchécoslovaquie et en Allemagne de l'Ouest ; troisièmement, elle a détourné des ressources de soutien aérien très nécessaires du front soviétique en Tchécoslovaquie occidentale et des troupes de la Volksarmee qui tentaient d'éjecter les forces de l'OTAN d'Allemagne de l'Est. Dans les mois qui ont suivi l'attaque aérienne de Brno, un certain nombre d'adjoints du commandant en chef de l'armée de l'air soviétique Konstantin Vershinin ont démissionné, dégoûtés par leur participation à l'opération, et Vershinin lui-même a été démis de son commandement et traduit en cour martiale pour incompétence. Étant donné que Vershinin avait été décoré de la médaille de Héros de l'Union soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale et qu'il avait ensuite effectué un tour de service distingué à la tête des services de défense aérienne soviétiques, on soupçonne généralement Brejnev d'avoir utilisé Vershinin comme bouc émissaire pour son propre échec à forcer la capitulation du gouvernement Dubcek.
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