Joli mois de Saur

Un jour d'avril 1978, le premier secrétaire du Parti Populaire Démocratique d'Afghanistan, Nour Mohammad Taraki, est convoqué à l'ambassade soviétique. Il apprend médusé de la bouche de l'ambassadeur de Moscou que Léonid Brejnev lui-même souhaite s'entretenir au téléphone avec lui. Au cours de la conversation qui s'ensuit, le dirigeant soviétique en appelle à l'internationalisme prolétarien et rappelle les dangers de l'aventurisme; il ne doit pas poursuivre les préparatifs du coup d'Etat que les agents soviétiques ont bien repéré parmi les communistes afghans et leurs relais dans l'armée.
En vérité, les négociateurs soviétiques venaient de parvenir à un accord avantageux avec le dictateur nationaliste Daoud Khan, assurant leur influence sur cet Etat-tampon de première importance, il était inenvisageable de laisser quelques marxistes afghans gâcher cette avancée si durement acquise.

Peu de temps après, son bras droit Hafizullah Amin, qui s'était activé pour préparer la "révolution" de Saur et n'entendait pas obtempérer aux ordres de Moscou, meurt après avoir partagé un Coca Cola avec des journalistes d'Europe de l'Est. Taraki soutient pourtant publiquement que sa mort est naturelle.
Les funérailles sont néanmoins grandioses, payées par l'argent soviétique. Plusieurs hauts gradés de l'armée afghane s'y affichent publiquement. Autant avertir Daoud que Moscou tient toujours fermement ses hommes...
La partie la plus radicale de la jeunesse éduquée afghane, déçue par Moscou et la mollesse de ses aînés, se tourne vers le maoïsme et tente de lancer des mouvement de guérillas. Mais le poids des clivages ethniques et l'absence de tout soutien populaire empêche les foyers révolutionnaires de s'implanter durablement.

A la mort de Daoud, une dizaine d'années plus tard, ses successeurs ne parviennent pas à prendre en main correctement le pays, tandis que l'on redoute toujours une prise de pouvoir des communistes ou des islamistes. Une assemblée consultative est réunie et décide d'un référendum, qui aboutit au établissement de la monarchie. Ahmad Shâh Massoud, qui avait pris le maquis dès 1973, rentre dans la légalité. En zone pashtoune, quelques islamistes inspirés par l'école déobandi décident de poursuivre la lutte. Mais, vus comme les ennemis de l'Islam traditionnel et les suppôts du Pakistan, ils sont rejetés par la population et impitoyablement traqués.

Sans épuiser ses forces dans une guerre ingagnable, l'URSS parvient à amortir en partie le "moment antitotalitaire" en Occident, en rappelant qu'elle ne s'est jamais engagée directement dans un conflit asymétrique meurtrier, contrairement aux Etats-Unis. Elle n'empêche néanmoins pas la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide. L'Union se maintient néanmoins tant bien que mal, sous une forme confédérale, et dépit de frictions internes.

En 1994, un réseau terroriste visant les intérêts américains en Arabie Saoudite, "Al-Qaida", dirigée par l'ancien playboy devenu bigot Oussama Ben Laden, est démantelé par la collaboration des services saoudiens et américains. L'amateurisme de ces apprentis terroristes ne leur a pas assuré une très longue existence, et Ben Laden est décapité par le régime de Riyad, qui tient à montrer que même richissime, il ne fait pas bon désobeir au monarque.

En 2003, la campagne orchestrée par les faucons américains contre l'Irak se heurte au refus catégorique de la France. Dans les jours suivants, des manifestations monstres à Londres entrainent la démission de Tony Blair et la mise en place d'un cabinet opposé à la guerre, tandis que le président soviétique Vladimir Poutine, à la tête du pays qui s'appelle désormais, l'Union des Républiques Soviétiques d'Eurasie, hausse le ton et va jusqu'à imposer des sanctions économiques aux Etats-Unis. Le président Bush décide d'éloigner Donald Rumsfeld et Dick Cheney, et sauve la face avec une campagne de bombardements sur les sites irakiens prétendument impliqué dans la production d'ADM.
Sa crédibilité ne survit néanmoins pas à ce camouflet et il est battu par John Kerry en 2004.

Et l'Afghanistan? Le pays reste pauvre et souffre de "l'effet tunnel", traversé par de nombreux flux sans pouvoir en profiter pleinement. L'urbanisation y a été insuffisamment maitrisée, comme dans de nombreux pays du sud. Ses dirigeants ont néanmoins, dans la pure continuité historique, su y jouer de la position d'Etat tampon, recevant de généreux subsides tantôt des soviétiques, tantôt des occidentaux et du Pakistan
Le PDPA, rebaptisé "Watan", la Patrie, et débarrassé de toute référence au marxisme, est arrivé au pouvoir dans les années 1990, avec son charismatique dirigeant Mohammad Nadjibollah, qui se maintient au poste de Premier Ministre près d'une dizaine d'années. Les efforts en matière de santé, d'éducation et de droits des femmes, comparés aux faibles moyens dont dispose le pays, sont régulièrement le sujet d'éloges de la part des organismes internationaux.