Galaxies N° 75 : Uchronies
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Galaxies N° 75 : Uchronies
Comme d'habitude, je vous invite à cliquer sur le lien de l'article vers mon blog pour booster mes stats. C'est par ici.
Galaxies est une revue française bimestrielle consacrée à la science-fiction dirigée par Pierre Gévart que j’achète occasionnellement selon le contenu du numéro, généralement en version électronique. Les numéros de Galaxies sont généralement dédiés à une thématique ou un auteur, comprennent des nouvelles, des dossiers, des articles, des chroniques, des interviews…
Le numéro qui nous occupe est dédié à l’Uchronie, mon genre littéraire de prédilection. L’ouvrage commence par une série d’articles dédiés au genre avant de nous parler de l’appel à texte qui a abouti à avoir des nouvelles chroniques dans ce numéro. L’appel à texte aura vu 154 participations. Neuf ont été sélectionnés pour la version papier et cinq de plus dans la version numérique. Ces dernières sont téléchargeables en plus de la version papier (limité par la pagination et les coûts de fabrication). Il est à noter que des versions bis et ter de ce numéro 75 existent et contiennent chacune 15 nouvelles supplémentaires. N’ayant pas (pour le moment) mis la main sur ses suppléments, ma chronique va se concentrer sur les quatorze nouvelles du numéro 75 numérique. Comme d’habitude, je donnerais un avis sur chacun des textes avant de donner mon sentiment global.
Mort et Apothéose de Joseph Vissarionovitch Djougachvili, dit Staline — Jean-Pierre Andrevon
« Pour son uchronie, Jean-Pierre Andrevon, qui est un des maîtres du genre, a choisi un personnage spécial : Staline. Un Staline qui est bien celui que nous connaissons sous ce nom, mais dont le destin a divergé, à un moment précis, bien entendu, et c’est tout ce qui fait le sel de ce renversement de perspective… »
On retrouve dans cette uchronie un Staline qui vit aux États-Unis, à Cavendish, dans le Vermont. Devenu auteur, il passe son temps enfermé dans son bureau à écrire au sujet de l’URSS de Trotski. Un pays qu’il a fui après avoir été purgé au goulag, puis envoyé au front contre l’Allemagne, puis renvoyer au goulag. Il finira par en sortir et s’exiler aux USA. Son œuvre traite de l’histoire de l’URSS sous Trotski, de sa propre vie, de l’enfer des goulags. Un texte très plaisant à lire, tant sur le plan de l’écriture que de ce qu’il raconte. Ce destin alternatif de Staline est plutôt plausible, ainsi que l’univers global et la fin ne manquent pas d’ironie. Bref, un très bon texte (ce qui n’est pas étonnant puis qu’on parle de Jean-Pierre Andrevon), sur une des périodes historiques qui m’intéressent et m’inspirent le plus.
Vesta Aeterna — Émilie Beltane
« Le feu sacré de Vesta incarne l’âme et le cœur de Rome depuis la fondation de la cité par le légendaire Romulus. Veillée en permanence par de jeunes vierges, son extinction est considérée comme un mauvais présage et un danger quant à la survie même de Rome. En 391, l’empereur chrétien Théodose interdit les cultes païens. Trois ans plus tard, il ferme définitivement le temple de Vesta, dernier vestige de l’ancienne religion. Et pourtant, et si… »
Une uchronie liée à l’antiquité, j’aime bien, même si je ne suis pas calé sur le sujet. Ce qui m’a un peu inquiété initialement c’est le point de divergence (POD) teinté de mysticisme : et si le feu sacré de Vesta n’avait jamais été éteint ? Dans cette uchronie, l’Empire romain n’est donc jamais tombé. Est-ce réellement à cause du feu sacré ? Peu importe. À travers un reportage d’une journaliste, nous allons en découvrir un peu plus. De nos jours, Livia Domenico se rend au temple de Vesta pour y interroger sa Prêtresse, le tout en plein vague « #metoo » uchronique. Certes, Rome n’est pas tombé, mais elle n’est pas un Empire qui domine le monde. L’autrice nous évite ainsi un gros cliché. Si Rome a survécu et a toujours un Empereur, ce dernier est maintenant le symbole de l’état d’une démocratie parlementaire (en gros comme le Royaume-Uni ou le Japon). Les prêtresses du temple, reliques du passé, qui maintiennent un feu à qui plus personne ne croit réellement, voient leur fonction remise en cause par la vague féministe, qui pourrait même aboutir à la fermeture du temple. En effet les vestales, vivent recluses dans le temple et doivent rester vierges dans un monde qui voit les femmes s’approprier leur destin. Emilie Beltane nous offre un texte féministe, moins manichéen qu’il n’y parait et agréable à lire. Malgré un POD situé dans l’antiquité l’histoire se situe de nos jours ce qui permet de facilement se projeter.
Nuevo Mundo — Thierry Schultz
« Dans notre continuum, parti de Cuba avec quelques centaines d’hommes, le conquistador Cortés débarque sur les côtes de l’actuel Mexique, en 1519. Après avoir battu localement les Mayas, il enfreint ses ordres et part en direction de l’empire aztèque qui domine cette partie du continent. Cortés rejoint la capitale et parvient à faire prisonnier Moctezuma. En deux ans, après avoir combattu les Aztèques (et les troupes espagnoles venues de Cuba pour l’arrêter), Cortés est vainqueur et obtient la reddition de Cuauhtémoc, le dernier empereur aztèque. Mais dans ce continuum… »
Dans cette uchronie, Hernán Cortés nous raconte sa guerre contre les Aztèques alors qu’il va bientôt être reçu par l’Empereur. Et quel Empereur, me demandez-vous ? Cuitláhuac qui a renversé son mystique de frère Moctezuma. Eh oui, les conquistadors ont fini vaincus et Cortés est un de leurs prisonniers. Rassurez-vous, à la première lecture, la divergence et ses conséquences semblent plausibles et à nouveau j’ai passé un bon moment.
Le mariage de Robespierre — Raymond Iss
« Devant Toulon, le capitaine Napoléon Bonaparte obtient d’Augustin Robespierre, envoyé en mission par la Convention, le commandement de l’artillerie. Il joue un rôle essentiel dans la reprise de la ville le 19 décembre 1793. Après quoi, il est promu général de brigade. Malgré l’insistance d’Augustin, il refuse de prendre le commandement de la place de Paris, car il a déjà l’esprit tourné vers l’Italie. Il n’est donc pas dans la capitale en juillet 1794 (thermidor) lors de la chute de Maximilien Robespierre. Sauf que, cette fois, il y est bien ! »
Dans cette uchronie, même si Bonaparte se couvre d’une certaine gloire militaire, il ne deviendra jamais empereur. Alors que son mariage approche, Maximilien de Robespierre se remémore le chemin parcouru lors de la révolution, puis sa nomination comme Dictateur par la Convention, les manigances politiques, la fin de la Révolution, la consolidation du Consulat… En parallèle on suit tous ce qui a l’air d’être un complot. Le tout converge, le jour du mariage de Robespierre. Encore un texte agréable à lire. Le récit de Robespierre à la première personne est très prenant, c’est parfois glaçant.
Pour Anita — Bruno Pochesci
« La guerre de 1870 a ouvert le cycle terrible des trois guerres franco-allemandes, dont deux mondiales. Elle venait après d’autres guerres, dont les guerres d’Italie, dans lesquelles on pouvait rencontrer, et ici en V.O., un certain Giuseppe Garibaldi… L’homme était né à Nice en 1807, une ville qui avait choisi en 1860, par plébiscite, d’être rattachée à la France… Du coup, rien d’étonnant à ce que les histoires se croisent ! »
Giuseppe Garibaldi est le sauveur de la France dans la guerre de 1870, grâce à un choix audacieux au moment où il s’agit de lever des troupes supplémentaires pour desserrer l’étau prussien autour de Paris. Après ça, Garibaldi porte la révolution à l’étranger, bien accompagné, et jusqu’à son dernier souffle. Un texte teinté de féminisme sur deux points, je ne révèlerai pas le premier, mais il nous amènera à croiser Louise Michel (entre autres). Quant au second, il s’agit de ce qui anime Garibaldi durant toutes ces années, lui ayant permet de sauver Paris puis porter la révolution à l’étranger. Ce qui me dérange un peu avec ce dernier point c’est qu’il a un côté mystique et surnaturel qui pourrait déranger les puristes.
Lorsque la Mécanologie dominait le Monde — Éric Vial-Bonacci
« La Guerre Radicale de 1820, plus connue sous le nom d’Insurrection Écossaise, correspond à une semaine de grèves et de troubles qui ont menacé le pouvoir londonien. La révolution industrielle affaiblit les tisserands, l’économie est ralentie, les prix augmentent tout comme la pauvreté. Des espions sont envoyés en amont pour enrayer les différentes marches de grévistes et les empêcher d’envahir la capitale. Les leaders de cette courte insurrection sont exécutés avant que le schéma de la Révolution française ne se reproduise. Mais dans cette version de l’Histoire, ça ne se passe pas vraiment comme cela ! »
Un texte où l’uchronie sert de prétexte à nous livrer du Steampunk. Même si le texte est divertissant, il n’a aucune plausibilité historique. Même si le Steampunk est un genre que j’apprécie, notamment pour son esthétique, mon amour de l’uchronie plausible fait que je goûte assez peu des uchronies qui débouchent sur du Steampunk.
Retour sur place Espoir — Pauline J. Bhutia
« En imaginant que le massacre de la place Tian’anmen ait pu être évité, quel serait le visage de la Chine actuelle ? Aurait-elle accédé à son statut de puissance économique mondiale ? Si les dirigeants conservateurs et autoritaires avaient été évincés, aurait-elle été le terrain fertile pour des alternatives politiques : démocratie directe, territoires autogérés alliés en une Union des Peuples… Pauline Bhutia nous ouvre une porte vers cette Chine parallèle. »
Une uchronie sur Tian’anmen ! Un évènement que j’ai déjà traité dans le Cycle 2 d’Au Bord de l’Abîme et « Les Lys de Tian’anmen ». J’étais donc très enthousiaste. Nous alternons les points de vue entre Tsomo, une Tibétaine bouddhiste, et Xia, une Chinoise née après la Révolution. Ici, la Chine s’est donc démocratisée et s’est transformée en une sorte de fédération. L’histoire se passe de nos jours ou dans un futur proche. La Chine semble avoir stagné économiquement, dépassée par l’Inde devenue un leader dans le domaine des nouvelles technologies. Il y a d’ailleurs un mélange de mysticisme bouddhiste et de cyberpunk qui donne un parfum assez particulier à ce texte. Le texte porte sur les relations humaines et le bouddhisme, me faisant penser à une version light et express de Kim Stanley Robinson (et c’est donc un compliment). Un texte plaisant, intrigant et touchant.
Ichbiliya, 1206 A.H. — Lati Babeni
« Dans cette version de l’histoire, la Reconquista n’a pas eu lieu. En 1484, l’armée des Rois Catholiques a été repoussée et Boabdil a pu reprendre du territoire au sud de l’Espagne. Une nouvelle dynastie a pris le pouvoir après les Nasrides pour tenter de restaurer le califat. Sur ce territoire, le calendrier hégirien est utilisé, d’où le titre, et les villes portent leurs noms arabes. Au début de cette histoire, l’Espagne est séparée en deux territoires, Al-Andalus, qui s’étend à partir d’Alicante, et l’Espagne Catholique au nord. »
Séville, Ichbiliya comme elle fut nommée par les Omeyyades, 1206 du calendrier hégiriens, 1791-1972 de notre ère. Le texte nous parle de l’amitié entre Jédiaël, un juif qui comme le reste de son peuple a été « invité » à s’installer dans la région, et Tejal un « poète » de la cour de Bagdad, fils d’un Ottoman et d’une Indienne. Deux hommes très différents, pas vraiment à leur place, qui rêvent d’un monde de paix et qui semblent être des âmes sœurs. C’est donc un texte axé avant tout sur les relations humaines, mais aussi l’incapacité des peuples à vivre durablement en paix alors qu’il y a tant de choses merveilleuses à voir et découvrir. Dans cette uchronie, la guerre fait toujours rage dans la péninsule Ibérique et le Nouveau Monde semble être un terrain de rivalité et entre les puissances européennes et islamiques. On parle même de croisade pour le « nouvel Eden ». Le texte de Lati Babeni est un peu déstabilisant au début, je ne comprenais pas trop où il me menait. Mais en fait c’est un beau texte dont l’uchronie n’est que le décor/prétexte. Si l’aspect uchronique est donc distillé par petites touches il en reste néanmoins plaisant, intrigant et mériterait d’être exploré à travers d’autres nouvelles.
La Scientifiction, un miracle français — Alain Rozenbaum
« Dans la version que nous connaissons, Hugo Gernsback (né Gernsbacher) n’a pas eu d’accident et a émigré aux États-Unis où il lança, en 1926, Amazing Stories (et non-Histoires stupéfiantes). Il baptisa le genre “Scientifiction”, terme qu’il changea ensuite pour “Science Fiction” dans Wonder Stories. Les pulps (et non pulpes) ont favorisé l’émergence du fandom (et non la fanasphère). Le prix Hugo est américain, le Goncourt a peu souvent récompensé la SF, la collection Hypermondes n’a pas fait d’émules dans chaque maison d’édition française. Mais il existe une autre version ! »
Un texte où l’auteur se fait plaisir, même si ce n’est clairement pas ce qui me parle le plus. Ici l’âge d’or de la SF américaine n’a pas lieu. C’est en France que la SF explose, au point de dominer tout autre genre littéraire et d’irradier dans toute la société. Un texte qui ne m’a ni touché ni intéressé.
L’Odysée — Laura P. Sikorski
« En 1983, l’industrie naissante du jeu vidéo est bousculée par un krach financier. La crise ne prendra fin qu’en 1985 grâce à la sortie de Super Mario Bros. sur la Nintendo Entertainment System (dite NES). Dans L’Odyssée, Super Mario Bros. ne sauve pas l’industrie du jeu vidéo, qui n’intéresse dès lors plus qu’une poignée de jeunes filles issues des milieux populaires, en particulier au Japon. L’autrice a souhaité réécrire l’histoire du jeu vidéo afin d’en explorer les possibilités. Le marketing en a fait un divertissement avant tout masculin ; elle a décidé ici d’en faire une affaire de filles. Et elle y a réussi. »
Un texte qui me parle un peu puisque j’ai travaillé dans le jeu vidéo, que je joue à des jeux vidéo et que j’ai étudié le crash du jeu vidéo lors de mes études. Laura P. Sikorski nous livre deux points de vue. Celui de la petite Daisy dans les années 1980 dont le père tient une boutique vendant entre autres des jeux vidéo. On y vit le début de l’essor de ce marché, puis le krach et les conséquences sur la famille de la jeune fille passionnée. En parallèle on suit le point de vue de Lara (clin d’œil à Lara Croft ?) dans un monde où en dehors du Japon, le marché du jeu vidéo est presque inexistant. Elle fait partie d’un groupe de femmes passionnées qui travaillent sur des petits projets de jeux dans leurs coins. Les deux destins finissent par se croiser quand le projet un peu foutraque de Lara, « Plaizir où L’Odyssée d’un Clito » finit par sortir. Un texte qui nous rappelle que les jeux vidéo ne sont pas qu’un loisir de mec (dans notre monde 50 % des joueurs sont en fait des joueuses) et qui tombe seulement quelques années après le début du « #metoo du jeu vidéo » et qui voit la publication d’un jeu dont le titre semble être très orienté sur les sujets féministes. Le texte de Laura P. Sikorski m’a plu et touché, car il laisse la part belle aux femmes tout en traitant d’un média avec lequel j’ai grandi.
Croque — Éva D Serves
« Deux figures ont contribué historiquement à définir l’autisme : Léo Kanner et Hans Asperger. Kanner pensait que l’autisme était dû à un manque d’amour maternel. Ce qui est faux. Et quand la psychiatrie moderne (années 70, travaux de la psychiatre Lorna Wing) s’en est rendu compte, elle a déterré les travaux d’Asperger. Problème : Asperger est un nazi. Littéralement un nazi. Il travaillait main dans la main avec Hitler et a contribué à euthanasier des enfants handicapés dans sa clinique de Vienne. “Cela, commente Éva D, me parait donc un excellent point de départ pour écrire une uchronie plutôt positive partant du postulat : et si Asperger n’avait pas été remis au goût du jour dans les années 70 ?” »
Un texte qui parle d’un sujet sérieux et complexe, l’autisme, tout en rappelant que même si le célèbre syndrome porte son nom, Asperger a été complice de crimes contre l’humanité, notamment en envoyant des enfants dans les « Am Spiegelgrund ». Dans ce monde uchronique, les années 60 à 80 n’ont pas vu que la lutte pour les droits des minorités « raciales », mais aussi celles pour les droits LGBTQIA+ et les droits des autistes. Ces causes ont fini par avancer main dans la main, aboutissant à un « droit à la différence ». Le texte narré par un personnage autiste nous montre que malgré tout, les droits acquis doivent être préservés de hautes luttes et qu’il y aura toujours des intolérants, nous renvoyant directement à la montée du fascisme auquel nous assistons ces dernières années. Éva D Serves réussie à faire ressentir cette différence qui est celle de la narratrice sans entrer dans le cliché, nous fais ressentir cette différence, nous fait ressentir la douleur que ressent la narratrice face à la haine stupide des intolérants. Enfin, elle nous renvoie, comme je l’ai déjà dit, à la montée de l’intolérance et du fascisme dont nous sommes les témoins.
Ralliez-vous à mon panache noir — Marie Ardhuin
« Le 22 juin 1559, au cours d’un tournoi, le roi Henri II est mortellement blessé. Du moins c’est ainsi que nous connaissons l’histoire. Mais supposons seulement que la lance de Montgomery ne se soit pas brisée, et que le roi se soit contenté de mordre la poussière… »
L’un des textes les plus plaisants de l’ouvrage et ce malgré le fait que les uchronies moyenâgeuses ne m’attirent pas plus que ça. Le texte de Marie Ardhuin est très fluide et dynamique, utilise peu de jargons de l’époque et est donc très accessible. On suit avec plaisir le destin alternatif d’Henri II : alliances, manigances politiques, sa gestion des guerres de religion, sa gestion des problèmes de successions, sa douleur à la mort de sa bien-aimée. Le texte est plausible, prenant, touchant. On a l’impression d’être dans un film ou une minisérie et ça se termine sur une petite pointe de féminisme, à la fois plausible et porteuse d’espoir.
L’ombre de Gambetta — Jean-Claude Renault
« En 1866, l’attentat contre Bismarck réussit, mais celui-ci n’empêche pas la Prusse d’entrer en guerre contre l’Autriche, au contraire. L’Autriche vaincue sera durement traitée, à l’opposé des projets de Bismarck. En 1870, c’est la Prusse qui déclare la guerre à la France. Mais la Bavière et les principautés du sud de l’Allemagne se désolidarisent de la Prusse et Guillaume Ier signe l’armistice. La France choisit alors de ne pas humilier la Prusse en ne réclamant qu’une réparation modérée des dommages de guerre : le décor est posé. »
Malgré ce que laisse entrevoir le résumé, le texte de Jean-Claude Renault mêle thriller policier et espionnage. L’inspecteur Marcus Lohr est réclamé pour venir identifier un corps à la morgue, celui du comte de Kératry, promu général de brigade par Gambetta lui-même, qui, à la tête de l’armée de Bretagne, a largement contribué à la victoire française contre la Prusse. Dans la foulée un autre cadavre arrive, accompagné de l’inspecteur Thomazi. D’après ce dernier, le deuxième macchabée, Schranzer, est l’assassin de Kératry. Problème, avant de venir à la morgue Marcus Lohr avait Schranzer sous filature, y compris à l’heure estimée du crime. Il ne peut donc pas être le meurtrier. Lohr navigue alors entre enquête et intrigue politiques pour résoudre l’affaire de manière très surprenante. L’un de mes textes préférés de l’ouvrage.
Loubianka for ever – Pierre Gévart
« S’il faut en croire Pierre Gévart, Neil Armstrong n’est que le héros d’un roman écrit par Milioukov, un auteur russe du genre Fantastika… Mais faut-il vraiment l’en croire ? »
Le patron de Galaxies a décidé de se faire plaisir avec ce texte versant dans « l’uchronie dans l’uchronie » avec pas mal de clins d’œil. Dans cet univers, la course à l’espace a été gagnée par l’URSS, qui a fini par se réformer et se démocratiser (un peu) devenant la première puissance mondiale. Le camarade Milioukov est convoqué à la Loubianka (devenu moins funeste avec le temps) au sujet de son dernier romain, une uchronie qui voit les USA gagner la course à l’espace. Le monde uchronique qu’il décrit dans ce livre est tout simplement le nôtre. Un monde qui parait si cliché au camarade du KGB qui lui demande de retoucher certaines parties de son manuscrit. Le camarade en question n’est d’ailleurs pas un inconnu puisqu’il est au cœur de l’actualité récente. Pierre Gévart nous livrant un texte plaisant, il s’affaire surtout à nous divertir, il s’amuse, mais vous trouverez des uchronies professionnelles ou amateurs plus plausibles ou réalistes.
Globalement, ce numéro 75 de Galaxies nous offre une belle fournée de nouvelles uchroniques. Il y en a pour tous les goûts. Les plumes sont plaisantes. Certains textes sont clairement d’actualité et/ou engagés. Ça se lit vite et bien, certains textes m’ont beaucoup plus et appelle à voir leurs univers s’étendre (je pense notamment à Ichbiliya, 1206 A.H). Et si certains textes m’ont moins plu, c’est aussi et surtout que j’ai des attentes et des goûts très précis en matière d’uchronie. Ma préférence se porte sur « Mort et Apothéose de Joseph Vissarionovitch Djougachvili, dit Staline », « Retour sur place espoir », « Ralliez-vous à mon panache noir » et « L’ombre de Gambetta ». Si vous aimez l’uchronie ou voulez découvrir ce genre, ce numéro de Galaxies s’y prête parfaitement grâce au court format des textes (pratique par exemple pour lire dans les transports ou pendant la pause repas) et le dossier en première partie d’ouvrage est une bonne porte d’entrée en matière pour les novices. Le tout pour une poignée d’euros.
Galaxies est une revue française bimestrielle consacrée à la science-fiction dirigée par Pierre Gévart que j’achète occasionnellement selon le contenu du numéro, généralement en version électronique. Les numéros de Galaxies sont généralement dédiés à une thématique ou un auteur, comprennent des nouvelles, des dossiers, des articles, des chroniques, des interviews…
Le numéro qui nous occupe est dédié à l’Uchronie, mon genre littéraire de prédilection. L’ouvrage commence par une série d’articles dédiés au genre avant de nous parler de l’appel à texte qui a abouti à avoir des nouvelles chroniques dans ce numéro. L’appel à texte aura vu 154 participations. Neuf ont été sélectionnés pour la version papier et cinq de plus dans la version numérique. Ces dernières sont téléchargeables en plus de la version papier (limité par la pagination et les coûts de fabrication). Il est à noter que des versions bis et ter de ce numéro 75 existent et contiennent chacune 15 nouvelles supplémentaires. N’ayant pas (pour le moment) mis la main sur ses suppléments, ma chronique va se concentrer sur les quatorze nouvelles du numéro 75 numérique. Comme d’habitude, je donnerais un avis sur chacun des textes avant de donner mon sentiment global.
Mort et Apothéose de Joseph Vissarionovitch Djougachvili, dit Staline — Jean-Pierre Andrevon
« Pour son uchronie, Jean-Pierre Andrevon, qui est un des maîtres du genre, a choisi un personnage spécial : Staline. Un Staline qui est bien celui que nous connaissons sous ce nom, mais dont le destin a divergé, à un moment précis, bien entendu, et c’est tout ce qui fait le sel de ce renversement de perspective… »
On retrouve dans cette uchronie un Staline qui vit aux États-Unis, à Cavendish, dans le Vermont. Devenu auteur, il passe son temps enfermé dans son bureau à écrire au sujet de l’URSS de Trotski. Un pays qu’il a fui après avoir été purgé au goulag, puis envoyé au front contre l’Allemagne, puis renvoyer au goulag. Il finira par en sortir et s’exiler aux USA. Son œuvre traite de l’histoire de l’URSS sous Trotski, de sa propre vie, de l’enfer des goulags. Un texte très plaisant à lire, tant sur le plan de l’écriture que de ce qu’il raconte. Ce destin alternatif de Staline est plutôt plausible, ainsi que l’univers global et la fin ne manquent pas d’ironie. Bref, un très bon texte (ce qui n’est pas étonnant puis qu’on parle de Jean-Pierre Andrevon), sur une des périodes historiques qui m’intéressent et m’inspirent le plus.
Vesta Aeterna — Émilie Beltane
« Le feu sacré de Vesta incarne l’âme et le cœur de Rome depuis la fondation de la cité par le légendaire Romulus. Veillée en permanence par de jeunes vierges, son extinction est considérée comme un mauvais présage et un danger quant à la survie même de Rome. En 391, l’empereur chrétien Théodose interdit les cultes païens. Trois ans plus tard, il ferme définitivement le temple de Vesta, dernier vestige de l’ancienne religion. Et pourtant, et si… »
Une uchronie liée à l’antiquité, j’aime bien, même si je ne suis pas calé sur le sujet. Ce qui m’a un peu inquiété initialement c’est le point de divergence (POD) teinté de mysticisme : et si le feu sacré de Vesta n’avait jamais été éteint ? Dans cette uchronie, l’Empire romain n’est donc jamais tombé. Est-ce réellement à cause du feu sacré ? Peu importe. À travers un reportage d’une journaliste, nous allons en découvrir un peu plus. De nos jours, Livia Domenico se rend au temple de Vesta pour y interroger sa Prêtresse, le tout en plein vague « #metoo » uchronique. Certes, Rome n’est pas tombé, mais elle n’est pas un Empire qui domine le monde. L’autrice nous évite ainsi un gros cliché. Si Rome a survécu et a toujours un Empereur, ce dernier est maintenant le symbole de l’état d’une démocratie parlementaire (en gros comme le Royaume-Uni ou le Japon). Les prêtresses du temple, reliques du passé, qui maintiennent un feu à qui plus personne ne croit réellement, voient leur fonction remise en cause par la vague féministe, qui pourrait même aboutir à la fermeture du temple. En effet les vestales, vivent recluses dans le temple et doivent rester vierges dans un monde qui voit les femmes s’approprier leur destin. Emilie Beltane nous offre un texte féministe, moins manichéen qu’il n’y parait et agréable à lire. Malgré un POD situé dans l’antiquité l’histoire se situe de nos jours ce qui permet de facilement se projeter.
Nuevo Mundo — Thierry Schultz
« Dans notre continuum, parti de Cuba avec quelques centaines d’hommes, le conquistador Cortés débarque sur les côtes de l’actuel Mexique, en 1519. Après avoir battu localement les Mayas, il enfreint ses ordres et part en direction de l’empire aztèque qui domine cette partie du continent. Cortés rejoint la capitale et parvient à faire prisonnier Moctezuma. En deux ans, après avoir combattu les Aztèques (et les troupes espagnoles venues de Cuba pour l’arrêter), Cortés est vainqueur et obtient la reddition de Cuauhtémoc, le dernier empereur aztèque. Mais dans ce continuum… »
Dans cette uchronie, Hernán Cortés nous raconte sa guerre contre les Aztèques alors qu’il va bientôt être reçu par l’Empereur. Et quel Empereur, me demandez-vous ? Cuitláhuac qui a renversé son mystique de frère Moctezuma. Eh oui, les conquistadors ont fini vaincus et Cortés est un de leurs prisonniers. Rassurez-vous, à la première lecture, la divergence et ses conséquences semblent plausibles et à nouveau j’ai passé un bon moment.
Le mariage de Robespierre — Raymond Iss
« Devant Toulon, le capitaine Napoléon Bonaparte obtient d’Augustin Robespierre, envoyé en mission par la Convention, le commandement de l’artillerie. Il joue un rôle essentiel dans la reprise de la ville le 19 décembre 1793. Après quoi, il est promu général de brigade. Malgré l’insistance d’Augustin, il refuse de prendre le commandement de la place de Paris, car il a déjà l’esprit tourné vers l’Italie. Il n’est donc pas dans la capitale en juillet 1794 (thermidor) lors de la chute de Maximilien Robespierre. Sauf que, cette fois, il y est bien ! »
Dans cette uchronie, même si Bonaparte se couvre d’une certaine gloire militaire, il ne deviendra jamais empereur. Alors que son mariage approche, Maximilien de Robespierre se remémore le chemin parcouru lors de la révolution, puis sa nomination comme Dictateur par la Convention, les manigances politiques, la fin de la Révolution, la consolidation du Consulat… En parallèle on suit tous ce qui a l’air d’être un complot. Le tout converge, le jour du mariage de Robespierre. Encore un texte agréable à lire. Le récit de Robespierre à la première personne est très prenant, c’est parfois glaçant.
Pour Anita — Bruno Pochesci
« La guerre de 1870 a ouvert le cycle terrible des trois guerres franco-allemandes, dont deux mondiales. Elle venait après d’autres guerres, dont les guerres d’Italie, dans lesquelles on pouvait rencontrer, et ici en V.O., un certain Giuseppe Garibaldi… L’homme était né à Nice en 1807, une ville qui avait choisi en 1860, par plébiscite, d’être rattachée à la France… Du coup, rien d’étonnant à ce que les histoires se croisent ! »
Giuseppe Garibaldi est le sauveur de la France dans la guerre de 1870, grâce à un choix audacieux au moment où il s’agit de lever des troupes supplémentaires pour desserrer l’étau prussien autour de Paris. Après ça, Garibaldi porte la révolution à l’étranger, bien accompagné, et jusqu’à son dernier souffle. Un texte teinté de féminisme sur deux points, je ne révèlerai pas le premier, mais il nous amènera à croiser Louise Michel (entre autres). Quant au second, il s’agit de ce qui anime Garibaldi durant toutes ces années, lui ayant permet de sauver Paris puis porter la révolution à l’étranger. Ce qui me dérange un peu avec ce dernier point c’est qu’il a un côté mystique et surnaturel qui pourrait déranger les puristes.
Lorsque la Mécanologie dominait le Monde — Éric Vial-Bonacci
« La Guerre Radicale de 1820, plus connue sous le nom d’Insurrection Écossaise, correspond à une semaine de grèves et de troubles qui ont menacé le pouvoir londonien. La révolution industrielle affaiblit les tisserands, l’économie est ralentie, les prix augmentent tout comme la pauvreté. Des espions sont envoyés en amont pour enrayer les différentes marches de grévistes et les empêcher d’envahir la capitale. Les leaders de cette courte insurrection sont exécutés avant que le schéma de la Révolution française ne se reproduise. Mais dans cette version de l’Histoire, ça ne se passe pas vraiment comme cela ! »
Un texte où l’uchronie sert de prétexte à nous livrer du Steampunk. Même si le texte est divertissant, il n’a aucune plausibilité historique. Même si le Steampunk est un genre que j’apprécie, notamment pour son esthétique, mon amour de l’uchronie plausible fait que je goûte assez peu des uchronies qui débouchent sur du Steampunk.
Retour sur place Espoir — Pauline J. Bhutia
« En imaginant que le massacre de la place Tian’anmen ait pu être évité, quel serait le visage de la Chine actuelle ? Aurait-elle accédé à son statut de puissance économique mondiale ? Si les dirigeants conservateurs et autoritaires avaient été évincés, aurait-elle été le terrain fertile pour des alternatives politiques : démocratie directe, territoires autogérés alliés en une Union des Peuples… Pauline Bhutia nous ouvre une porte vers cette Chine parallèle. »
Une uchronie sur Tian’anmen ! Un évènement que j’ai déjà traité dans le Cycle 2 d’Au Bord de l’Abîme et « Les Lys de Tian’anmen ». J’étais donc très enthousiaste. Nous alternons les points de vue entre Tsomo, une Tibétaine bouddhiste, et Xia, une Chinoise née après la Révolution. Ici, la Chine s’est donc démocratisée et s’est transformée en une sorte de fédération. L’histoire se passe de nos jours ou dans un futur proche. La Chine semble avoir stagné économiquement, dépassée par l’Inde devenue un leader dans le domaine des nouvelles technologies. Il y a d’ailleurs un mélange de mysticisme bouddhiste et de cyberpunk qui donne un parfum assez particulier à ce texte. Le texte porte sur les relations humaines et le bouddhisme, me faisant penser à une version light et express de Kim Stanley Robinson (et c’est donc un compliment). Un texte plaisant, intrigant et touchant.
Ichbiliya, 1206 A.H. — Lati Babeni
« Dans cette version de l’histoire, la Reconquista n’a pas eu lieu. En 1484, l’armée des Rois Catholiques a été repoussée et Boabdil a pu reprendre du territoire au sud de l’Espagne. Une nouvelle dynastie a pris le pouvoir après les Nasrides pour tenter de restaurer le califat. Sur ce territoire, le calendrier hégirien est utilisé, d’où le titre, et les villes portent leurs noms arabes. Au début de cette histoire, l’Espagne est séparée en deux territoires, Al-Andalus, qui s’étend à partir d’Alicante, et l’Espagne Catholique au nord. »
Séville, Ichbiliya comme elle fut nommée par les Omeyyades, 1206 du calendrier hégiriens, 1791-1972 de notre ère. Le texte nous parle de l’amitié entre Jédiaël, un juif qui comme le reste de son peuple a été « invité » à s’installer dans la région, et Tejal un « poète » de la cour de Bagdad, fils d’un Ottoman et d’une Indienne. Deux hommes très différents, pas vraiment à leur place, qui rêvent d’un monde de paix et qui semblent être des âmes sœurs. C’est donc un texte axé avant tout sur les relations humaines, mais aussi l’incapacité des peuples à vivre durablement en paix alors qu’il y a tant de choses merveilleuses à voir et découvrir. Dans cette uchronie, la guerre fait toujours rage dans la péninsule Ibérique et le Nouveau Monde semble être un terrain de rivalité et entre les puissances européennes et islamiques. On parle même de croisade pour le « nouvel Eden ». Le texte de Lati Babeni est un peu déstabilisant au début, je ne comprenais pas trop où il me menait. Mais en fait c’est un beau texte dont l’uchronie n’est que le décor/prétexte. Si l’aspect uchronique est donc distillé par petites touches il en reste néanmoins plaisant, intrigant et mériterait d’être exploré à travers d’autres nouvelles.
La Scientifiction, un miracle français — Alain Rozenbaum
« Dans la version que nous connaissons, Hugo Gernsback (né Gernsbacher) n’a pas eu d’accident et a émigré aux États-Unis où il lança, en 1926, Amazing Stories (et non-Histoires stupéfiantes). Il baptisa le genre “Scientifiction”, terme qu’il changea ensuite pour “Science Fiction” dans Wonder Stories. Les pulps (et non pulpes) ont favorisé l’émergence du fandom (et non la fanasphère). Le prix Hugo est américain, le Goncourt a peu souvent récompensé la SF, la collection Hypermondes n’a pas fait d’émules dans chaque maison d’édition française. Mais il existe une autre version ! »
Un texte où l’auteur se fait plaisir, même si ce n’est clairement pas ce qui me parle le plus. Ici l’âge d’or de la SF américaine n’a pas lieu. C’est en France que la SF explose, au point de dominer tout autre genre littéraire et d’irradier dans toute la société. Un texte qui ne m’a ni touché ni intéressé.
L’Odysée — Laura P. Sikorski
« En 1983, l’industrie naissante du jeu vidéo est bousculée par un krach financier. La crise ne prendra fin qu’en 1985 grâce à la sortie de Super Mario Bros. sur la Nintendo Entertainment System (dite NES). Dans L’Odyssée, Super Mario Bros. ne sauve pas l’industrie du jeu vidéo, qui n’intéresse dès lors plus qu’une poignée de jeunes filles issues des milieux populaires, en particulier au Japon. L’autrice a souhaité réécrire l’histoire du jeu vidéo afin d’en explorer les possibilités. Le marketing en a fait un divertissement avant tout masculin ; elle a décidé ici d’en faire une affaire de filles. Et elle y a réussi. »
Un texte qui me parle un peu puisque j’ai travaillé dans le jeu vidéo, que je joue à des jeux vidéo et que j’ai étudié le crash du jeu vidéo lors de mes études. Laura P. Sikorski nous livre deux points de vue. Celui de la petite Daisy dans les années 1980 dont le père tient une boutique vendant entre autres des jeux vidéo. On y vit le début de l’essor de ce marché, puis le krach et les conséquences sur la famille de la jeune fille passionnée. En parallèle on suit le point de vue de Lara (clin d’œil à Lara Croft ?) dans un monde où en dehors du Japon, le marché du jeu vidéo est presque inexistant. Elle fait partie d’un groupe de femmes passionnées qui travaillent sur des petits projets de jeux dans leurs coins. Les deux destins finissent par se croiser quand le projet un peu foutraque de Lara, « Plaizir où L’Odyssée d’un Clito » finit par sortir. Un texte qui nous rappelle que les jeux vidéo ne sont pas qu’un loisir de mec (dans notre monde 50 % des joueurs sont en fait des joueuses) et qui tombe seulement quelques années après le début du « #metoo du jeu vidéo » et qui voit la publication d’un jeu dont le titre semble être très orienté sur les sujets féministes. Le texte de Laura P. Sikorski m’a plu et touché, car il laisse la part belle aux femmes tout en traitant d’un média avec lequel j’ai grandi.
Croque — Éva D Serves
« Deux figures ont contribué historiquement à définir l’autisme : Léo Kanner et Hans Asperger. Kanner pensait que l’autisme était dû à un manque d’amour maternel. Ce qui est faux. Et quand la psychiatrie moderne (années 70, travaux de la psychiatre Lorna Wing) s’en est rendu compte, elle a déterré les travaux d’Asperger. Problème : Asperger est un nazi. Littéralement un nazi. Il travaillait main dans la main avec Hitler et a contribué à euthanasier des enfants handicapés dans sa clinique de Vienne. “Cela, commente Éva D, me parait donc un excellent point de départ pour écrire une uchronie plutôt positive partant du postulat : et si Asperger n’avait pas été remis au goût du jour dans les années 70 ?” »
Un texte qui parle d’un sujet sérieux et complexe, l’autisme, tout en rappelant que même si le célèbre syndrome porte son nom, Asperger a été complice de crimes contre l’humanité, notamment en envoyant des enfants dans les « Am Spiegelgrund ». Dans ce monde uchronique, les années 60 à 80 n’ont pas vu que la lutte pour les droits des minorités « raciales », mais aussi celles pour les droits LGBTQIA+ et les droits des autistes. Ces causes ont fini par avancer main dans la main, aboutissant à un « droit à la différence ». Le texte narré par un personnage autiste nous montre que malgré tout, les droits acquis doivent être préservés de hautes luttes et qu’il y aura toujours des intolérants, nous renvoyant directement à la montée du fascisme auquel nous assistons ces dernières années. Éva D Serves réussie à faire ressentir cette différence qui est celle de la narratrice sans entrer dans le cliché, nous fais ressentir cette différence, nous fait ressentir la douleur que ressent la narratrice face à la haine stupide des intolérants. Enfin, elle nous renvoie, comme je l’ai déjà dit, à la montée de l’intolérance et du fascisme dont nous sommes les témoins.
Ralliez-vous à mon panache noir — Marie Ardhuin
« Le 22 juin 1559, au cours d’un tournoi, le roi Henri II est mortellement blessé. Du moins c’est ainsi que nous connaissons l’histoire. Mais supposons seulement que la lance de Montgomery ne se soit pas brisée, et que le roi se soit contenté de mordre la poussière… »
L’un des textes les plus plaisants de l’ouvrage et ce malgré le fait que les uchronies moyenâgeuses ne m’attirent pas plus que ça. Le texte de Marie Ardhuin est très fluide et dynamique, utilise peu de jargons de l’époque et est donc très accessible. On suit avec plaisir le destin alternatif d’Henri II : alliances, manigances politiques, sa gestion des guerres de religion, sa gestion des problèmes de successions, sa douleur à la mort de sa bien-aimée. Le texte est plausible, prenant, touchant. On a l’impression d’être dans un film ou une minisérie et ça se termine sur une petite pointe de féminisme, à la fois plausible et porteuse d’espoir.
L’ombre de Gambetta — Jean-Claude Renault
« En 1866, l’attentat contre Bismarck réussit, mais celui-ci n’empêche pas la Prusse d’entrer en guerre contre l’Autriche, au contraire. L’Autriche vaincue sera durement traitée, à l’opposé des projets de Bismarck. En 1870, c’est la Prusse qui déclare la guerre à la France. Mais la Bavière et les principautés du sud de l’Allemagne se désolidarisent de la Prusse et Guillaume Ier signe l’armistice. La France choisit alors de ne pas humilier la Prusse en ne réclamant qu’une réparation modérée des dommages de guerre : le décor est posé. »
Malgré ce que laisse entrevoir le résumé, le texte de Jean-Claude Renault mêle thriller policier et espionnage. L’inspecteur Marcus Lohr est réclamé pour venir identifier un corps à la morgue, celui du comte de Kératry, promu général de brigade par Gambetta lui-même, qui, à la tête de l’armée de Bretagne, a largement contribué à la victoire française contre la Prusse. Dans la foulée un autre cadavre arrive, accompagné de l’inspecteur Thomazi. D’après ce dernier, le deuxième macchabée, Schranzer, est l’assassin de Kératry. Problème, avant de venir à la morgue Marcus Lohr avait Schranzer sous filature, y compris à l’heure estimée du crime. Il ne peut donc pas être le meurtrier. Lohr navigue alors entre enquête et intrigue politiques pour résoudre l’affaire de manière très surprenante. L’un de mes textes préférés de l’ouvrage.
Loubianka for ever – Pierre Gévart
« S’il faut en croire Pierre Gévart, Neil Armstrong n’est que le héros d’un roman écrit par Milioukov, un auteur russe du genre Fantastika… Mais faut-il vraiment l’en croire ? »
Le patron de Galaxies a décidé de se faire plaisir avec ce texte versant dans « l’uchronie dans l’uchronie » avec pas mal de clins d’œil. Dans cet univers, la course à l’espace a été gagnée par l’URSS, qui a fini par se réformer et se démocratiser (un peu) devenant la première puissance mondiale. Le camarade Milioukov est convoqué à la Loubianka (devenu moins funeste avec le temps) au sujet de son dernier romain, une uchronie qui voit les USA gagner la course à l’espace. Le monde uchronique qu’il décrit dans ce livre est tout simplement le nôtre. Un monde qui parait si cliché au camarade du KGB qui lui demande de retoucher certaines parties de son manuscrit. Le camarade en question n’est d’ailleurs pas un inconnu puisqu’il est au cœur de l’actualité récente. Pierre Gévart nous livrant un texte plaisant, il s’affaire surtout à nous divertir, il s’amuse, mais vous trouverez des uchronies professionnelles ou amateurs plus plausibles ou réalistes.
Globalement, ce numéro 75 de Galaxies nous offre une belle fournée de nouvelles uchroniques. Il y en a pour tous les goûts. Les plumes sont plaisantes. Certains textes sont clairement d’actualité et/ou engagés. Ça se lit vite et bien, certains textes m’ont beaucoup plus et appelle à voir leurs univers s’étendre (je pense notamment à Ichbiliya, 1206 A.H). Et si certains textes m’ont moins plu, c’est aussi et surtout que j’ai des attentes et des goûts très précis en matière d’uchronie. Ma préférence se porte sur « Mort et Apothéose de Joseph Vissarionovitch Djougachvili, dit Staline », « Retour sur place espoir », « Ralliez-vous à mon panache noir » et « L’ombre de Gambetta ». Si vous aimez l’uchronie ou voulez découvrir ce genre, ce numéro de Galaxies s’y prête parfaitement grâce au court format des textes (pratique par exemple pour lire dans les transports ou pendant la pause repas) et le dossier en première partie d’ouvrage est une bonne porte d’entrée en matière pour les novices. Le tout pour une poignée d’euros.
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« Ce n’est que devant l’épreuve, la vraie, celle qui met en jeu l’existence même, que les hommes cessent de se mentir et révèlent vraiment ce qu’ils sont. »
Alexandre Lang.
Au Bord de l'Abîme et au-delà
Collectionneur aime ce message
Re: Galaxies N° 75 : Uchronies
Très intéressant je ne connaissais pas merci !
Flosgon78- Messages : 289
Date d'inscription : 19/03/2019
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Thomas aime ce message
Re: Galaxies N° 75 : Uchronies
De rien.Flosgon78 a écrit:Très intéressant je ne connaissais pas merci !
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