[CTC 42]Le "discours des imposteurs" ou la révolution de Louis XVI

« L’adresse de Louis XVI à ses sujets » ou « discours des imposteurs » est l’un des documents les plus importants de l’histoire de France.

Après des années d’échecs de ses réformes, le trône de Louis XVI semblait largement affaibli. Selon certains, sans les ressources du commerce indien, le royaume aurait été contraint à la banqueroute après l’échec de la réforme Calonne et de l’assemblée des notables. Le prestige de la victoire dans la guerre d’Amérique et la récupération du Canada, les succès du peuplement de la Louisiane, avaient apporté un surcroit de popularité au roi, mais celui-ci semblait fondre au fur et à mesure que la situation politique semblait coincée dans une impasse.

Pourtant, Louis XVI avait entrepris une série de voyages à travers la France pour se montrer à son peuple à partir de l’année 1790. D’abord en direction de Lyon et Marseille, puis dans les villes de l’ouest et enfin sur les frontières de l’Empire. De l’avis de tous les observateurs, ces voyages avaient transformé le souverain, qui jusque-là était resté reclus à Versailles et ne s’était déplacé qu’à Reims, pour son sacre, et à Cherbourg. L’idée avait germé, dans l’esprit du roi, que le problème venait de la cour elle-même, où les coteries et autres groupes d’intérêt paralysaient la direction du royaume.

Aussi, prétextant des raisons de salubrité et la mise à l’abri de sa famille face aux épidémies, il avait annoncé, le 10 août 1792 quitter momentanément la cour et s’était installé avec ses plus proches collaborateurs à Metz, l’ancienne intendance de Calonne, lequel était rappelé aux affaires. C’est de là que, le 21 janvier suivant, il avait fait imprimer et lire sa fameuse adresse au peuple de France.

"Nous, Louis le seizième, roi de France et de Navarre, avons prononcé la suivante adresse et ordonné qu’elle soit imprimée, placardée et lue publiquement dans chaque bourg et village de France, et donné à tous nos sujets l’obligation de l’entendre ou de la lire, afin que soient connues de tous mes volontés."

« Peuple français,

Après qu’en raison des médisances de quelques imposteurs prétendant décrire la vérité du gouvernement, de fausses idées se soient répandues dans l’opinion, j’ai décidé d’user de mon droit souverain pour m’adresser directement à tous les sujets, expliquer ma politique et rappeler la vérité.

On a prétendu que j’ai tyranniquement cherché à m’en prendre aux pouvoirs des Parlements. Rien n’est plus faux, je les ai rétablis dès le début de mon règne. Certains de leurs membres, il est vrai, m’ont reproché avec ingratitude de chercher simplement à ce qu’ils n’outrepassent pas leur rôle, et n’abusent pas de leur pouvoir qui est tout entier une émanation de la puissance royale.

On a prétendu que je voulais écraser d’impôts le tiers-état pour mon bon plaisir. J’ai au contraire cherché à répartir avec équité les impôts entre tous les ordres, en levant les exemptions des privilégiés parmi eux.

Lorsque mon illustre aïeul Charles le Sage a établi pour la première fois les tailles, tous les sujets sans distinction y furent astreints. Les nobles n’en furent plus tard exemptés que parce qu’ils entretenaient sur leurs propres deniers les châteaux nécessaires pour résister aux ennemis du royaume. Mais aujourd’hui, forteresses et armées sont toutes entretenues par l’argent de l’Etat.

Faudrait-il alors que, alors que nos finances doivent être assainies, ce que je m’emploie à faire depuis mon premier jour sur le trône, certains échappent sans arrêt à l’impôt, laissant la charge aux plus misérables et aux plus industrieux des sujets ?

Peuple, ce n’est pas juste ! Monsieur Necker, et Monsieur Calonne après lui, ont proposé de judicieuses réformes auxquelles les privilégiés se sont opposés. Les imposteurs qui se font passer pour la voix du peuple ont entraîné quelques personnes égarées dans des révoltes contre mon autorité. J’ai pardonné aux humbles, comme c’est le devoir d’un roi.

Les mêmes imposteurs ont répandu sur moi-même et sur ma famille des insultes et des calomnies vulgaires qui ne seraient pas dignes de l’antique cour des Miracles, et que la décence m’oblige à ne pas répéter ici.

Peuple ! Les sages réformes ont attendu trop longtemps. C’est pourquoi je me suis établi loin de la cour pour y former mon gouvernement et au décidé de m’adresser directement à mes bons sujets.

J’annonce que la réforme Calonne prend effet aujourd’hui, que les impôts seront réduits dans l’égalité proportionnelle de leur répartition et dans la simplification de leur recouvrement. Des assemblées élues par les propriétaires seront établies à tous les échelons du gouvernement pour associer les sujets à la gestion du royaume. Les droits des parlements seront respectés et garantis dans le strict respects de leurs prérogatives de cours de justice.

Car tel est mon bon plaisir et mon devoir de roi,

J’ai dit,

Louis le Seizième, roi de France et de Navarre »

Avec cette proclamation, Louis XVI fait un véritable « coup d’Etat royal » qui égale et dépasse même le début du règne personnel de Louis XIV. Il abolit de fait la vie de cour et rabaisse la noblesse au profit de la monarchie administrative qui triomphe définitivement sous son règne.

Suivront l’émancipation des Juifs, l’abolition de la traite et la liberté des ventres (la célèbre loi Grégoire-Robespierre), l’ouverture d’écoles d’officiers ouvertes aux roturiers et, surtout, la mise en place des départements.

En 1815, Louis XVI laisse le pouvoir à son fils avec le titre de Prince-régent et entreprends la visite de ses colonies de Canada et de Louisiane, puis celle des Indes.

Il meurt en 1824, entouré de l’amour de ses sujets et vu par les philosophes comme le plus grand de tous les despotes éclairés. Quand, une trentaine d’années plus tard, l’extinction de la branche ainée des Bourbons et l’éphémère union personnelle avec les Bourbons d’Espagne entraîne la Révolution française, les dirigeants de la nouvelle République ne manqueront pas de citer la révolution louis-seizième comme une source d’inspiration et de saluer le monarque comme un précurseur.