[CTC12]Des sommets au fond d’une crevasse
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[CTC12]Des sommets au fond d’une crevasse
Une fois n’est pas coutume, je mets à profit le CTC pour explorer un peu l’univers de Daikita.
Des sommets au fond d’une crevasse
Les sommets, les exploits, les records constituent l’essentielle de son empreinte. Le fond d’une crevasse, c’est probablement là qu’il a rencontré un destin tragique. Lui, c’est Naomi Uemura un aventurier hors pair, intemporel qui a conquis des monts et des pôles. Il a tutoyé les limites humaines tant sur le plan physique que mental, a été le premier homme à avoir fait l’ascension des sommets les plus élevés des cinq continents, et à réussir la traversée en solitaire de l’Arctique en traîneau sur plus de 12 000 kilomètres.
Autour du monde
Uemura est né en 1941 dans le hameau agricole de Kokufu, dans la région de Tajima, au nord de la préfecture de Hyōgo. Cadet d’une famille de sept enfants, il grandit à Tajima ; entouré d’une nature abondante, la région est également connue pour ses hivers rigoureux. Il a passé ses années de formation dans une ambiance bucolique, aidant à la ferme, notamment en faisant paître le troupeau de bœuf Tajima de la famille, et s’amusant sur les rives de la rivière Maruyama. Jeune homme typique à bien des égards, il avait une attitude douce et modeste qui cachait un fort esprit de compétition et le désir de se démarquer. Endurci par les fortes chutes de neige hivernales et les vents saisonniers glacials qui traversent la mer du Japon depuis la Sibérie, il a fait preuve, à l’âge adulte, d’une ingéniosité, d’une force d’âme et d’une éthique de travail inébranlable, caractéristiques des habitants des régions enneigées du Japon.
Uemura a commencé sa carrière d’alpiniste à l’université, en rejoignant le club alpin de l’université Meiji. Novice, lors de sa première sortie avec le groupe au mont Shirouma, dans la préfecture de Nagano, il a eu du mal à suivre le rythme des autres grimpeurs. Ce remettant en question suite à cette expérience, il se lance dans un entraînement intensif, son esprit de compétition le poussant à passer environ un tiers de l’année à affiner ses compétences sur le terrain. Il avait un talent naturel pour l’alpinisme et a fini par prendre un rôle de leader au sein du club.
Avide lecteur de guides alpins, Uemura rêvait d’escalader les montagnes des Alpes, une aspiration que la situation du Japon à l’époque rendait compliqué notamment du taux de change entre yens et dollars (monnaies de réserve mondiale) qui mettaient les voyages à l’étranger hors de portée de beaucoup des gens. Vexé par le peu d’options qui s’offraient à lui en matière d’alpinisme, sa frustration a atteint son paroxysme lorsqu’il a appris qu’un camarade de classe avait fait de l’escalade sur un glacier de Daikita, une expérience dont il ne pouvait que rêver. En 1964, la situation économique du Japon a finalement permis à Uemura de vivre les aventures auxquelles il aspirait.
Après avoir obtenu son diplôme universitaire, Uemura a évité le chemin de ses pairs à la recherche d’un emploi et s’est mis à parcourir le monde, embarquant sur un bateau pour Los Angeles avec seulement 110 dollars en poche. Pendant les quatre années et demie qui suivent, il fait le tour du monde à la recherche de nouveaux défis. En Californie du Sud, il économise suffisamment d’argent en travaillant à temps partiel pour se rendre en France, où il revient par intermittence pour renflouer ses caisses en travaillant de longues journées dans une station de ski avant de se lancer dans une nouvelle aventure. Presque immédiatement, il commence à accumuler les records : avec le guide Pemba Tenzing, il réalise la première ascension réussie du Ngojumba Kang (pic Tenzing), une montagne himalayenne de 7 916 mètres, un exploit réalisé dans le cadre d’une expédition du club alpin de l’université Meiji, et accomplit le premier voyage en solitaire en radeau sur le fleuve Amazone, un périple de quelque 6 000 kilomètres. Avec un appétit insatiable pour l’aventure, Uemura s’attaque aux sept sommets du monde, conquérant des sommets comme le mont Blanc (alors considéré comme le plus haut d’Europe), le Kilimandjaro en Afrique et l’Aconcagua en Amérique du Sud, et fait plusieurs incursions dans les régions polaires.
Cavalier seul
Uemura finit par rentrer au Japon, mais sa soif de voyage ne lui permet pas de rester longtemps sur place. En mai 1970, il se joint à l’expédition du Club alpin japonais au mont Everest et devient le premier Japonais, et seulement la vingt-quatrième personne, à se tenir au sommet du plus haut sommet du monde. À peine trois mois plus tard, en août, il réalise la toute première ascension en solitaire du Ōyama qui est à la fois la plus haute montagne de Daikita du Japon et du continent nord-américain. Il devient aussi le premier alpiniste de l’histoire à gravir cinq des sept sommets. Ce qui est encore plus remarquable, c’est qu’Uemura a atteint ces sommets avant d’avoir 30 ans.
Uemura avait pris part à un certain nombre d’ascensions très médiatisées, mais en 1971, deux voyages malheureux l’ont forcé à repenser sa participation aux ascensions en équipes. La première de ces expéditions est une ascension hivernale de la face nord des Grandes Jorrasses, dans les Alpes, à 4 208 mètres d’altitude. L’équipe d’alpinistes dont faisait partie Uemura a atteint le sommet sans problème, mais a été prise dans une tempête alors que le groupe redescendait de la montagne, et cinq membres ont perdu des doigts à cause d’engelures. Le mois suivant, Uemura est retourné sur le l’Everest dans le cadre d’une expédition internationale très médiatisée. Malgré un effort courageux pour porter des charges en haut de la montagne, il n’a pu que constater que les accidents et les querelles intestines ont fait s’écrouler l’expédition sous ses yeux.
Bien qu’Uemura ait apprécié la camaraderie des ascensions en groupe, ces deux expériences désastreuses l’ont laissé dans un état de doute. Il ne voyait pas d’un mauvais œil les activités de groupe, mais ils les trouvaient contraignantes. Plus il réfléchissait à ses objectifs, plus il pensait que le travail en solitaire, qui n’avait pas été son cheval de bataille jusqu’alors, correspondait mieux à ce qu’il espérait accomplir.
Cette décision ouvre de nouvelles perspectives et ravive chez Uemura l’ambition qu’il nourrissait depuis longtemps de traverser l’Antarctique en solitaire. Passant de l’alpinisme à l’exploration polaire, il a jeté son dévolu sur les objectifs les plus extrêmes. Ayant passé une grande partie du début de sa carrière à vivre des aventures indépendantes, il avait confiance en ses capacités. En un sens, en choisissant de faire cavalier seul, il retournait à ses racines, une proposition qui le ravissait sûrement, mais qui, sur l’Ōyama, aurait de graves conséquences.
À la conquête du pôle nord
Uemura était captivé par les régions polaires. Lors de ses premières sorties dans l’Arctique, il a adopté la culture et la langue autochtones en vivant dans des communautés inuites indigènes, sa nature décontractée l’attirant vers les autochtones et lui permettant de se fondre dans la masse presque sans effort. En 1972, il a passé un long séjour dans la colonie de Siorapaluk, au nord du Groenland, où, sous la direction des habitants, il a appris à conduire un traîneau à chiens et à acquérir d’autres compétences autochtones nécessaires pour survivre seul dans cet environnement impitoyable.
En avril 1973, il a testé ses nouvelles aptitudes en partant en traîneau à chiens pour un voyage aller-retour le long de la côte nord-ouest du Groenland, couvrant une distance de quelque 3 000 kilomètres en solitaire. Son expédition suivante, un périple en solitaire de 12 000 kilomètres à travers l’Arctique, du Groenland à Daikita en passant par la côte nord du Canada, a mis à rude épreuve ses capacités de survie polaire. Uemura s’est lancé dans ce voyage éreintant en décembre 1974 et a passé l’année et demie suivante à naviguer sur l’étendue gelée et accidentée. Son arrivée à Daikita en mai 1976 est un triomphe majeur, son succès contre toute attente consolidant sa réputation d’explorateur de classe mondiale.
Uemura retourne dans l’Arctique en 1978. Dans une autre démonstration impressionnante de volonté et d’endurance, il a voyagé en traîneau à chiens jusqu’au pôle Nord en avril, puis en août, il a traversé l’intérieur du Groenland du nord au sud.
La disparition
Dans l’Arctique, Uemura a nourri sa vision d’une traversée en solitaire du pôle Sud en traîneau à chiens. Après ses succès dans les régions nordiques extrêmes, il ne tarde pas à planifier sa prochaine grande aventure. En janvier 1982, il se rend, via l’Argentine, sur une base militaire argentine située sur la péninsule antarctique, où il entame les derniers préparatifs de la traversée sans précédent du continent austral. Mais cela n’arrivera jamais. À la grande consternation d’Uemura, le déclenchement de la guerre des Malouines entre l’Argentine et la Grande-Bretagne en avril de la même année le contraint à abandonner son projet avant même qu’il ne soit lancé.
Uemura, bien que très déçu de voir ses plans contrecarrés par des forces totalement indépendantes de sa volonté, ne s’avoue pas vaincu. Mettant de côté son rêve de dix ans de traverser l’Antarctique en solitaire, il se tourne vers d’autres aventures. En 1984, il retourne à Daikita dans le but de faire une ascension hivernale en solitaire de l’Ōyama, ce qu’il commence le 12 février, jour de son quarante-troisième anniversaire. À la fin de son ascension, Uemura s’est entretenu par radio avec des photographes japonais qui survolaient l’Ōyama, disant qu’il avait atteint le sommet et était redescendu à 5 500 m. Il avait prévu d’atteindre le camp de base deux jours plus tard, mais n’y est jamais parvenu, car dès le lendemain, par mauvais temps, il est porté disparu alors qu’il redescendait du sommet.
Il semblait y avoir des vents forts près du sommet, et la température était d’environ -46 °C. Des avions ont survolé la montagne, mais ne l’ont pas vu ce jour-là. Le lendemain, il a été repéré à environ 5 100 m. Cependant, des complications météorologiques ont rendu difficile la poursuite des recherches.
Il est probable qu’Uemura était à bout de force à ce moment-là, mais en raison de sa réputation, personne ne voulait envoyer une équipe de secours de peur de l’offenser. Daïgo Goda, l’un des pilotes qui avaient repéré Uemura au cours de la semaine précédente, a déclaré : « Si c’était quelqu’un d’autre, il y aurait déjà des sauveteurs sur la montagne ». Le 20 février, le temps s’est éclairci, mais Uemura restait introuvable. Il n’y avait aucun signe de son ancien campement à 5 100 m et rien n’indique que les caches laissées par d’autres alpinistes à proximité aient été utilisées.
Deux alpinistes expérimentés sont déposés par un hélicoptère de la 10ème Division à 4 300 m pour commencer les recherches. Malgré une nouvelle tempête, ils sont restés sur la montagne jusqu’au 26 février et ont trouvé une grotte dans laquelle Uemura avait séjourné à 4 300 m pendant l’ascension, mais il n’y avait aucun signe d’Uemura lui-même. Un journal intime trouvé dans la grotte a révélé qu’Uemura y avait laissé du matériel pour alléger sa charge lors de l’ascension du sommet. Il avait également laissé ses bâtons d’autosauvetage à 2 900 m, sachant qu’il avait dépassé les pires champs de crevasses. La plupart des gens pensent qu’il a chuté lors de sa descente, qu’il a été blessé, qu’il est mort et qu’il a été enseveli sous la neige. Une autre théorie est qu’il aurait pu atteindre 4 300 m et est tombé dans l’une des nombreuses crevasses.
Un groupe d’alpinistes japonais est arrivé en renfort pour chercher le corps. Ils n’ont pas réussi, mais ils ont retrouvé une grande partie de son équipement à 5 200 m.
Le journal intime trouvé dans la grotte à 4 300 m a été publié en japonais et en anglais. Il décrit les conditions qu’Uemura a endurées : chutes en crevasse, température de -40°, viande gelée et abri inadéquat. Les entrées du journal intime montrent qu’il était de bonne humeur et il y liste les chansons qu’il chantait pour rester concentré sur sa tâche. La dernière entrée est : « J’aimerais pouvoir dormir dans un sac de couchage chaud. Quoi qu’il arrive, je vais escalader l’Ōyama. »
L’héritage d’une légende
Uemura donnait fréquemment des conférences publiques et écrivait sur ses voyages. Ses livres d’aventures pour enfants restent encore populaires au Japon. Un musée lui est consacré à Tokyo et un autre à Toyooka, dans le Hyōgo.
Un prix portant son nom a été créé au Japon après sa mort.
L’une des compositions les plus connues du guitariste expérimental Michael Hedges, « Because It’s There », était un hommage à Uemura écrit pour un film sur la vie de l’explorateur.
On se souvient de lui non seulement comme d’un alpiniste doué et d’un aventurier passionné, mais aussi comme d’un homme doux et effacé qui se souciait des autres. Selon Jonathan Waterman, « sa modestie sincère et son absence de prétention étaient tout aussi remarquables que ses exploits en solitaire. Une autre partie de sa grandeur résidait dans le profond intérêt qu’il portait à tous ceux qu’il rencontrait. »
En 1991, Uemura aurait fêté ses 50 ans. Pour l’occasion, le mont Iroguro dans la chaine Mamiya à Daikita est rebaptisé Mont Uemura. L’alpiniste japonais avait atteint le sommet de l’Iroguro le 19 septembre 1968.
Notes de l’auteur :
L’essentielle du texte est une adaptation d’une histoire réelle OTL vers la DKTL.
Daikita = Alaska
Ōyama = Denali, de fait la plus haute montagne du Japon devant le Niikata (Yu Shan OTL, Taiwan Japonais) et le Fuji.
Mont Sandford = Mont Iroguro, rebaptisé mont Uemura
Chaine Wrangell = Chaine Mamiya
L’ascension par Uemura des plus hautes montagnes des cinq continents :
Nom (Pays), Hauteur, Date d’ascension, Age
Mont-Blanc (France/Italie), 4 807 m, juillet 1966, 25 ans
Kilimandjaro (Tanzanie), 5 895 m, octobre 1966, 25 ans
Aconcagua (Argentine), 6 960 m, février 1968, 26 ans
Everest (Chine, Népal), 8 848 m, mai 1970, 29 ans
Ōyama (Japon), 6 194 m, août 1970, 29 ans
_________________
« Ce n’est que devant l’épreuve, la vraie, celle qui met en jeu l’existence même, que les hommes cessent de se mentir et révèlent vraiment ce qu’ils sont. »
Alexandre Lang.
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