[CTC 43] Les transformations d’un Empire : l’Outre-mer français après 1941
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[CTC 43] Les transformations d’un Empire : l’Outre-mer français après 1941
Les transformations d’un Empire : l’Outre-mer français après 1941
Dans un contexte d'optimisme général, de triomphe de la technocratie réformatrice et d'apogée de l'idée impériale, le "chambre de la victoire" hérite de possessions coloniales qui revendiquent de plus en plus une reconnaissance de leur participation aux deux guerres mondiales. Les réformes sont voulues à la fois par les leaders du monde coloniale et par les hauts-fonctionnaires conscients depuis plus d'une décennie de l'obsolescence du Pacte coloniale, mais se heurtent à de puissants intérêts ainsi qu'aux vicissitudes du parlementarisme de la IIIe République. Nous traiterons dans ce texte de l'Empire colonial en excluant l'Algérie, qui est un cas à part.
La création par l’amiral Darlan, ministre de la marine et des colonies du gouvernement Mandel, du Conseil de l’Empire, est une déception : sensé être un véritable exécutif du monde colonial, il ne possède en réalité que très peu de pouvoir et se borne à conseiller et appliquer la politique décidée par le Parlement, et, surtout, il est composé des gouverneurs coloniaux et des représentants des seuls citoyens français des colonies, auxquels s’ajoutent une poignée de représentants des élites locales, sous la présidence du président de la République française. Le Conseil n’aura pratiquement aucun accomplissement à son actif, hormis la promotion de certaines personnalités comme Felix Eboué, guyanais et gouverneur du Tchad, ou l’homme d’Etat franco-ivoirien Félix Houphouët-Boigny.
Un autre changement à noter, bien qu’il soit là aussi surtout symbolique, concerne la réunion du Tonkin et de l’Annam en un unique royaume du Vietnam. Cette réforme que Mandel, alors ministre des affaires étrangères, avait refusé au jeune Bao Daï, est désormais acceptée comme un moyen de couper l’herbe sous le pied des nationalistes en renforçant le prestige de la monarchie pro-française.
Avant 1948, les véritables changements sont économiques : si, à partir de 1942, les investissements français dans l’Empire diminuent, les effets de la crise de 1929 s’atténuant, les déceptions concernant la création d’un maché unifié européen et la libéralisation du commerce international conduisent les capitalistes français à se tournent à nouveau vers l’Empire, l’investissement privé augmentant de nouveau à partir de 1948. Les investissements publics, eux, augmentent selon un rythme soutenu dès l’après-guerre. Le principal enjeu reste, comme dans la décennie précédente, l’affrontement entre les tenants d’une stratégie autarcique, rassemblés derrière l’industrie cotonnière, et les partisans d’une industrialisation de l’empire, qui a la préférence des technocrates et des grandes sociétés coloniales comme la Banque d’Indochine, gênés dans leur développement par les mesures protectionnistes. La première option, jusqu’ici dominante, perd progressivement du terrain. Une note du syndicat de l’industrie de l’automobile de 1945 marque un tournant, avec le changement de position de cette industrie jusqu’ici partisane de la stratégie autarcique : les professionnels considèrent désormais que la branche est suffisamment forte pour conserver ces marchés malgré une concurrence étrangère, et que la fin du protectionnisme serait un signal positif donnés à d’autres pays.
L’année suivante, une série de législations consacre la fin de la stratégie autarcique au nom de la modernisation économique de la France et de ses colonies. Grande perdante, l’industrie cotonnière périclite ; seules quelques entreprises survivent en montant en gamme ou en investissant directement dans les colonies productrices de coton.
Le second front populaire et la Fédération française
L’arrivée au pouvoir de l’alliance entre les socialistes et les radicaux et son projet mêlant réformes sociales et acceptation de l’Etat technocratique entraîne un certain nombre de transformations politiques dès les premiers mois. Dès 1946, Lamine Gueye et Félix Houphouët Boigny obtiennent la fin du travail forcé et de l’indigénat.
La transformation du cadre politique de l’Empire prend, quant à elle, beaucoup plus de temps, et déchaine les passions au sein de la Chambre. En 1948 est finalement votée la Loi de réorganisation de l’Outre-mer français. Comme indiqué dans son nom, cette nouvelle législation abandonne le terme d’empire colonial. Vielle revendication, l’assimilation des « vielles colonies » (Antilles, Guyane, Réunion) en tant que départements d’outre-mer est enfin effective. Le reste des possessions coloniales est transformé en Fédération française, pensée comme un ensemble de territoires qualifiés de « territoires d’outre-mer fédérés », et dotée d’un budget propre ainsi que, dans l’esprit de l’époque, un fonds commun d’investissement destiné à soutenir et encourager les investissements privés. Chaque territoire est doté d’un parlement et d’un chef de gouvernement issu du pays. Dans les faits, cette promotion est limitée : l’assemblée est élue selon un principe de double collège, les citoyens français (colons ou naturalisés) comptant pour la moitié des représentants. Le trucage des élections par l’administration concernant les votes des indigènes reste monnaie courante, l’administration elle-même continue de fonctionner selon les mêmes principes, en dépit de la volonté affichée d’intégrer les élites locales.
Les années 1950, entre blocages politiques et transformations économiques
L’Indochine, un cas à part
L’année 1951 constitue, pour beaucoup de spécialistes, un tournant historique au moins aussi important que la défait de l’Allemagne nazie une décennie plus tôt, avec le triomphe des fascistes de Subhas Chandra Bose en Inde et celle des communistes de Mao Zedong en Chine. Naissance de contre-modèles anticoloniaux, ces événements sont avant tout pour les autorités françaises le début d’une vaste crise migratoire. Parti-prenante des accords de paix dans les deux cas, la France s’est engagé à prendre en charge une partie des réfugiés fuyant l’un ou l’autre des régimes. Dans un contexte où les communautés chinoises sont déjà vues comme possédant un pouvoir économique démesuré, l’arrivée de dizaines de milliers de chinois au Vietnam manque de provoquer des émeutes généralisées et oblige les autorités de l’Union indochinoise à séparer strictement les nouveaux arrivant du reste de la population puis à les déplacer rapidement hors de la péninsule. Si certains s’établissent en métropole, donnant naissance aux quartiers chinois des grandes villes françaises, une dizaine de milliers d’anciens partisans de Tchang-Kaï Tchek s’installe en Guyane, où ils marqueront profondément l’économie et la politique locale.
Sur le plan politique, l’exemple indien inspire dès 1950 une tentative de rébellion armée des anciens partisans de Cuong Dê au Vietnam et de ceux de Phetsarath ; cette tentative échoue néanmoins rapidement : le climat économique n’incite pas à la révolte. Le Vietnam est en effet appelé « nouveau Japon », voire « Texas de l’Asie », et cette image attire un flot continu d’investissements français et étranger. Aux côtés des grosses affaires coloniales, une nouvelle bourgeoisie formée d’entrepreneurs vietnamiens, sino-vietnamiens ou issus du petit colonat émerge. L’ambiance est à l’optimisme.
Preuve que l’Indochine est désormais perçue comme différente des autres territoires français, un transfert de compétence de l’administration coloniale à celle des quatre Etats indochinois est opéré dès 1953 et le système du double collège est pratiquement abandonné, seuls quelques sièges demeurant réservés aux citoyens français à l’Assemblée de l’Union indochinoise. La dernière pomme de discorde demeure le statut de la Cochinchine, vue comme partie intégrante du Vietnam par les nationalistes et comme un Etat autonome constitutif de l’Union indochinoise par Paris. Après des années de bras de fer et une série de grèves menées par les nationalistes, les autorités coloniales cèdent : Bao Daï peut entrer à Saïgon en tant que souverain du pays dès 1955. Deux ans plus tard, la Cochinchine est officiellement réintégrée dans le Vietnam unitaire. Le Laos et le Cambodge déclarent la même année leur volonté de mettre fin à l’Union indochinoise, face au poids démesuré pris par le voisin vietnamien, et déclarent leur volonté de traiter sans médiation avec la Fédération.
L’Afrique subsaharienne
La fin des aspects les plus arbitraires et violents de la colonisation française avec le second Front populaire, et la création de la Fédération avait pour un instant mis convaincu les élites de l’Afrique francophone et modéré les revendications nationalistes. Cependant, la lenteur des évolutions du cadre fédéral, l’ascendant conservé par les colons et la petite minorité de naturalisés entrainent un regain de contestation qui ne cesse de croitre tout au long de la décennie. Régulièrement débattue, la question voit sa résolution sans cesse remise à plus tard. En 1958 enfin, une loi-cadre fédérale est votée dans l’idée de transférer des compétences aux administrations locales et d’évoluer vers un ensemble d’Etats égaux. La loi provoque néanmoins une forte déception parmi les élites et la jeunesse africaine : les territoires fédérés voient bel et bien l’abolition du double collège, mais la « balkanisation » des Etats africains est maintenue. Leopold Sedar-Senghor et Ahmed Sékou Touré dénoncent une loi qui vise à créer des élites facilement vassalisées par la métropole. Ces questions restées en suspend convainquent les mandats SDN du Togo et du Cameroun de proclamer leurs indépendances pleines et entières, respectivement en 1961 et 1962.
Au sein de la Fédération, Senghor et son lieutenant Mamadou Dia cherchent à conjurer le problème de la balkanisation en posant les fondations d’une fédération ouest africaine. C’est le début d’un long duel entre Senghor et Houphouët-Boigny, gouverneur de la riche Côte d’Ivoire, qui voit d’un mauvais œil l’idée de partager un fardeau avec les territoires de l’intérieur des terres, Haute-Volta et Soudan occidental.
La décennie 1960 : la Fédération au défi
Deux phénomènes majeurs au début de la nouvelle décennie amènent la Fédération française à accélérer ses transformations. En effet, dès 1961, de nombreux Etats indépendants apparaissent en Afrique, offrant un élément de comparaison avec les pays restés dans l’orbite française. En 1962, la proposition par Kennedy d’un plan d’investissements massifs américains vers les pays indépendants hors des Amériques semble avantager les nations qui ont fait le choix de l’indépendance. Paris est forcé de réagir face à ce nouveau « défi américain ».
Si parmi les politiciens et les hauts fonctionnaires français, plus personne ne défnd de stratégie autarcique, le débat existe toujours entre ceux qui souhaitent liquider l’outre-mer, sur le modèle de ce qu’a fait la Grande-Bretagne, et ceux qui souhaitent conserver un espace de coopération et d’influence privilégié. Résolument dans le deuxième groupe, le nouveau chef de file de la droite, François Mitterrand, entend agir avec force. La prospérité des années 1960 donne heureusement à la France les moyens de ses ambitions : la participation de la métropole aux budgets et fonds fédéraux est revue à la hausse, et le Président du conseil multiplie les démonstrations de bonne volonté. A Dakar, en 1962, il prononce un discours promettant une nouvelle relation sur des bases égalitaires, et lance des consultations pour rédiger de nouveaux statuts. Le processus aboutit trois ans plus tard au traité d’Abidjan qui consacre les transformations de la Fédération : les nations constitutives ont le choix entre conserver le statut de territoire ou accéder à celui d’Etat fédéré, choix que feront la grande majorité des concernés, à l’exception des territoires du Pacifique.
Entre temps, le Vietnam, dont la coalition au pouvoir est dominée par la formation de gauche nationaliste Vietminh, a déclaré juger insatisfaisantes ces évolutions et proclamé sa volonté d’accéder à l’indépendance, ce qui est chose faite en 1963. Le Laos choisit une voix médiane en sortant du cadre fédéral mais en gardant des liens forts avec la France. Le Cambodge, quant à lui, reste dans la Fédération pour encore une décennie.
En Afrique de l’ouest, les partisans de Senghor et Dia obtiennent gain de cause en formant une union entre Sénégal, Soudan occidental, Dahomey et Haute-Volta, qui prend le nom de Fédération du Mali. Sékou Touré refuse quant à lui d’entrer dans la nouvelle union, davantage pour des raisons de problème d’ego avec les autres dirigeants ouest-africains que par idéologie.
La décennie est réellement l’apogée de l’Afrique française : le suffrage universel est une réalité, les populations se politisent, l’économie se développe, donnant le jour aux premières grandes fortunes du monde des affaires africains. L’établissement de régimes autoritaires comme au Togo ou au Kenya, ou l’instabilité politique chronique que l’on peut trouver au Nigéria font offices de contre-exemples et convainquent une large partie des opinions du bon choix qui a été fait avec le développement de la Fédération.
La crise de 1969 et la « confédéralisation de fait »
La dynamique de développement et le climat d’optimisme des années 1960 prend brutalement fin en 1969 avec la crise pétrolière mondiale. Les conséquences sont plus brutales encore sur le continent africain que dans le monde industrialisé : face à la hausse des coûts de l’énergie et à la raréfaction du crédit, de nombreuses entreprises africaines mettent la clé sous la porte.
Dans ce climat, les tensions grandissent entre la France et les républiques fédérées : à la chambre, plusieurs députés mettent en cause l’importance de la contribution française au budget de la fédération, et appellent à la renégocier voire à quitter la structure ; le mécontentement augmente encore lorsque plusieurs Etats encouragent leurs ressortissants à s’installer en France et à y trouver du travail, afin d’assurer un flux de devises. Dans les Etats fédérés africains, à l’inverse, l’amertume grandit devant le refus de la métropole d’étendre la sécurité sociale et les aides des citoyens français aux citoyens fédéraux, au nom de l’autonomie de chacun.
Dans ce climat, Ahmed Sékou Touré créé la surprise en 1971 en déclarant le retrait unilatéral de la Guinée, avec effet immédiat. Au-delà même de l’indépendance, il appelle à rompre tous les accords avec la France et à socialiser l’économie. Un coup d’Etat profrançais qui échoue l’année suivante contribue encore à radicaliser le régime, qui s’érige en République populaire à parti unique. Dans les années suivantes, une guérilla suscitée par le Mali avec la bénédiction de Paris se développe dans l’est du pays, réclamant le retour du pluripartisme et la fusion avec Dakar. Sékou Touré ne conserve son pouvoir que grâce à l’arrivée de milliers de « conseillers militaires » chinois, faisant de la Guinée un véritable « Tanganyka de l’ouest ».
Si la Guinée est le seul pays à basculer, des guérillas marxistes apparaissent à Madagascar et au Cambodge, ou le parti communiste de Saloth Sar déclare reprendre le combat. A Tananarive, une alliance de parti nationalistes mérina et indépendantistes proclame la restauration de la monarchie, sans toutefois rompre avec le cadre fédéral ; Paris, espérant faire barrage aux maoistes, accepte l’état de fait et restitue la couronne de la reine Ranavalona. En 1975, le sort des urnes provoque la chute de Félix Houphouët-Boigny, fidèle soutien de la Fédération, face à une coalition de gauche. A l’inverse, la Fédération du Mali connaît une alternance politique avec le départ de Senghor au profit de Fily Dabo Sissoko, homme de droite à la tête du Parti Progressiste Malien.
Paradoxalement, alors que les statuts ne sont jamais modifiés en profondeur, la pratique politique donne dans les faits de plus en plus d’autonomie aux entités fédérées, amenant certains spécialistes à parler de « confédéralisation de fait ». Les différents Etats développent ainsi, entre autres, leur propre politique étrangère et leur propre politique commerciale, marquée notamment par les rapprochement avec l’Eurasie, dont le blé est jugé particulièrement intéressant. La SDN reconnaît cette évolution en accordant en bloc le statut de membre à part entière aux Etats africains membres ; jusqu’ici, l’organisation avait refusé, craignant donner ainsi un poids démesuré à la France.
Le déclenchement de la guerre civile allemande et la grande crise européenne qui s’ensuit concentre l’attention de Paris sur le vieux continent, remettant à plus tard le règlement des questions liées à la Fédération. En 1984, le président du conseil Chirac relance le processus en prononçant à Ouagadougou un discours dans lequel il déclare que « la Fédération française est devenue de fait une alliance entre Etats souverains, il est temps de traduire cette réalité dans les textes ». L’année suivante, l’Assemblée fédérale de Marseille vote la transformations de la structure en Organisation Confédérale Afrique-Méditerranée. L'Algérie, indépendante l'année suivante, rejoint immédiatement la nouvelle union.
La création par l’amiral Darlan, ministre de la marine et des colonies du gouvernement Mandel, du Conseil de l’Empire, est une déception : sensé être un véritable exécutif du monde colonial, il ne possède en réalité que très peu de pouvoir et se borne à conseiller et appliquer la politique décidée par le Parlement, et, surtout, il est composé des gouverneurs coloniaux et des représentants des seuls citoyens français des colonies, auxquels s’ajoutent une poignée de représentants des élites locales, sous la présidence du président de la République française. Le Conseil n’aura pratiquement aucun accomplissement à son actif, hormis la promotion de certaines personnalités comme Felix Eboué, guyanais et gouverneur du Tchad, ou l’homme d’Etat franco-ivoirien Félix Houphouët-Boigny.
Un autre changement à noter, bien qu’il soit là aussi surtout symbolique, concerne la réunion du Tonkin et de l’Annam en un unique royaume du Vietnam. Cette réforme que Mandel, alors ministre des affaires étrangères, avait refusé au jeune Bao Daï, est désormais acceptée comme un moyen de couper l’herbe sous le pied des nationalistes en renforçant le prestige de la monarchie pro-française.
Avant 1948, les véritables changements sont économiques : si, à partir de 1942, les investissements français dans l’Empire diminuent, les effets de la crise de 1929 s’atténuant, les déceptions concernant la création d’un maché unifié européen et la libéralisation du commerce international conduisent les capitalistes français à se tournent à nouveau vers l’Empire, l’investissement privé augmentant de nouveau à partir de 1948. Les investissements publics, eux, augmentent selon un rythme soutenu dès l’après-guerre. Le principal enjeu reste, comme dans la décennie précédente, l’affrontement entre les tenants d’une stratégie autarcique, rassemblés derrière l’industrie cotonnière, et les partisans d’une industrialisation de l’empire, qui a la préférence des technocrates et des grandes sociétés coloniales comme la Banque d’Indochine, gênés dans leur développement par les mesures protectionnistes. La première option, jusqu’ici dominante, perd progressivement du terrain. Une note du syndicat de l’industrie de l’automobile de 1945 marque un tournant, avec le changement de position de cette industrie jusqu’ici partisane de la stratégie autarcique : les professionnels considèrent désormais que la branche est suffisamment forte pour conserver ces marchés malgré une concurrence étrangère, et que la fin du protectionnisme serait un signal positif donnés à d’autres pays.
L’année suivante, une série de législations consacre la fin de la stratégie autarcique au nom de la modernisation économique de la France et de ses colonies. Grande perdante, l’industrie cotonnière périclite ; seules quelques entreprises survivent en montant en gamme ou en investissant directement dans les colonies productrices de coton.
Le second front populaire et la Fédération française
L’arrivée au pouvoir de l’alliance entre les socialistes et les radicaux et son projet mêlant réformes sociales et acceptation de l’Etat technocratique entraîne un certain nombre de transformations politiques dès les premiers mois. Dès 1946, Lamine Gueye et Félix Houphouët Boigny obtiennent la fin du travail forcé et de l’indigénat.
La transformation du cadre politique de l’Empire prend, quant à elle, beaucoup plus de temps, et déchaine les passions au sein de la Chambre. En 1948 est finalement votée la Loi de réorganisation de l’Outre-mer français. Comme indiqué dans son nom, cette nouvelle législation abandonne le terme d’empire colonial. Vielle revendication, l’assimilation des « vielles colonies » (Antilles, Guyane, Réunion) en tant que départements d’outre-mer est enfin effective. Le reste des possessions coloniales est transformé en Fédération française, pensée comme un ensemble de territoires qualifiés de « territoires d’outre-mer fédérés », et dotée d’un budget propre ainsi que, dans l’esprit de l’époque, un fonds commun d’investissement destiné à soutenir et encourager les investissements privés. Chaque territoire est doté d’un parlement et d’un chef de gouvernement issu du pays. Dans les faits, cette promotion est limitée : l’assemblée est élue selon un principe de double collège, les citoyens français (colons ou naturalisés) comptant pour la moitié des représentants. Le trucage des élections par l’administration concernant les votes des indigènes reste monnaie courante, l’administration elle-même continue de fonctionner selon les mêmes principes, en dépit de la volonté affichée d’intégrer les élites locales.
Les années 1950, entre blocages politiques et transformations économiques
L’Indochine, un cas à part
L’année 1951 constitue, pour beaucoup de spécialistes, un tournant historique au moins aussi important que la défait de l’Allemagne nazie une décennie plus tôt, avec le triomphe des fascistes de Subhas Chandra Bose en Inde et celle des communistes de Mao Zedong en Chine. Naissance de contre-modèles anticoloniaux, ces événements sont avant tout pour les autorités françaises le début d’une vaste crise migratoire. Parti-prenante des accords de paix dans les deux cas, la France s’est engagé à prendre en charge une partie des réfugiés fuyant l’un ou l’autre des régimes. Dans un contexte où les communautés chinoises sont déjà vues comme possédant un pouvoir économique démesuré, l’arrivée de dizaines de milliers de chinois au Vietnam manque de provoquer des émeutes généralisées et oblige les autorités de l’Union indochinoise à séparer strictement les nouveaux arrivant du reste de la population puis à les déplacer rapidement hors de la péninsule. Si certains s’établissent en métropole, donnant naissance aux quartiers chinois des grandes villes françaises, une dizaine de milliers d’anciens partisans de Tchang-Kaï Tchek s’installe en Guyane, où ils marqueront profondément l’économie et la politique locale.
Sur le plan politique, l’exemple indien inspire dès 1950 une tentative de rébellion armée des anciens partisans de Cuong Dê au Vietnam et de ceux de Phetsarath ; cette tentative échoue néanmoins rapidement : le climat économique n’incite pas à la révolte. Le Vietnam est en effet appelé « nouveau Japon », voire « Texas de l’Asie », et cette image attire un flot continu d’investissements français et étranger. Aux côtés des grosses affaires coloniales, une nouvelle bourgeoisie formée d’entrepreneurs vietnamiens, sino-vietnamiens ou issus du petit colonat émerge. L’ambiance est à l’optimisme.
Preuve que l’Indochine est désormais perçue comme différente des autres territoires français, un transfert de compétence de l’administration coloniale à celle des quatre Etats indochinois est opéré dès 1953 et le système du double collège est pratiquement abandonné, seuls quelques sièges demeurant réservés aux citoyens français à l’Assemblée de l’Union indochinoise. La dernière pomme de discorde demeure le statut de la Cochinchine, vue comme partie intégrante du Vietnam par les nationalistes et comme un Etat autonome constitutif de l’Union indochinoise par Paris. Après des années de bras de fer et une série de grèves menées par les nationalistes, les autorités coloniales cèdent : Bao Daï peut entrer à Saïgon en tant que souverain du pays dès 1955. Deux ans plus tard, la Cochinchine est officiellement réintégrée dans le Vietnam unitaire. Le Laos et le Cambodge déclarent la même année leur volonté de mettre fin à l’Union indochinoise, face au poids démesuré pris par le voisin vietnamien, et déclarent leur volonté de traiter sans médiation avec la Fédération.
L’Afrique subsaharienne
La fin des aspects les plus arbitraires et violents de la colonisation française avec le second Front populaire, et la création de la Fédération avait pour un instant mis convaincu les élites de l’Afrique francophone et modéré les revendications nationalistes. Cependant, la lenteur des évolutions du cadre fédéral, l’ascendant conservé par les colons et la petite minorité de naturalisés entrainent un regain de contestation qui ne cesse de croitre tout au long de la décennie. Régulièrement débattue, la question voit sa résolution sans cesse remise à plus tard. En 1958 enfin, une loi-cadre fédérale est votée dans l’idée de transférer des compétences aux administrations locales et d’évoluer vers un ensemble d’Etats égaux. La loi provoque néanmoins une forte déception parmi les élites et la jeunesse africaine : les territoires fédérés voient bel et bien l’abolition du double collège, mais la « balkanisation » des Etats africains est maintenue. Leopold Sedar-Senghor et Ahmed Sékou Touré dénoncent une loi qui vise à créer des élites facilement vassalisées par la métropole. Ces questions restées en suspend convainquent les mandats SDN du Togo et du Cameroun de proclamer leurs indépendances pleines et entières, respectivement en 1961 et 1962.
Au sein de la Fédération, Senghor et son lieutenant Mamadou Dia cherchent à conjurer le problème de la balkanisation en posant les fondations d’une fédération ouest africaine. C’est le début d’un long duel entre Senghor et Houphouët-Boigny, gouverneur de la riche Côte d’Ivoire, qui voit d’un mauvais œil l’idée de partager un fardeau avec les territoires de l’intérieur des terres, Haute-Volta et Soudan occidental.
La décennie 1960 : la Fédération au défi
Deux phénomènes majeurs au début de la nouvelle décennie amènent la Fédération française à accélérer ses transformations. En effet, dès 1961, de nombreux Etats indépendants apparaissent en Afrique, offrant un élément de comparaison avec les pays restés dans l’orbite française. En 1962, la proposition par Kennedy d’un plan d’investissements massifs américains vers les pays indépendants hors des Amériques semble avantager les nations qui ont fait le choix de l’indépendance. Paris est forcé de réagir face à ce nouveau « défi américain ».
Si parmi les politiciens et les hauts fonctionnaires français, plus personne ne défnd de stratégie autarcique, le débat existe toujours entre ceux qui souhaitent liquider l’outre-mer, sur le modèle de ce qu’a fait la Grande-Bretagne, et ceux qui souhaitent conserver un espace de coopération et d’influence privilégié. Résolument dans le deuxième groupe, le nouveau chef de file de la droite, François Mitterrand, entend agir avec force. La prospérité des années 1960 donne heureusement à la France les moyens de ses ambitions : la participation de la métropole aux budgets et fonds fédéraux est revue à la hausse, et le Président du conseil multiplie les démonstrations de bonne volonté. A Dakar, en 1962, il prononce un discours promettant une nouvelle relation sur des bases égalitaires, et lance des consultations pour rédiger de nouveaux statuts. Le processus aboutit trois ans plus tard au traité d’Abidjan qui consacre les transformations de la Fédération : les nations constitutives ont le choix entre conserver le statut de territoire ou accéder à celui d’Etat fédéré, choix que feront la grande majorité des concernés, à l’exception des territoires du Pacifique.
Entre temps, le Vietnam, dont la coalition au pouvoir est dominée par la formation de gauche nationaliste Vietminh, a déclaré juger insatisfaisantes ces évolutions et proclamé sa volonté d’accéder à l’indépendance, ce qui est chose faite en 1963. Le Laos choisit une voix médiane en sortant du cadre fédéral mais en gardant des liens forts avec la France. Le Cambodge, quant à lui, reste dans la Fédération pour encore une décennie.
En Afrique de l’ouest, les partisans de Senghor et Dia obtiennent gain de cause en formant une union entre Sénégal, Soudan occidental, Dahomey et Haute-Volta, qui prend le nom de Fédération du Mali. Sékou Touré refuse quant à lui d’entrer dans la nouvelle union, davantage pour des raisons de problème d’ego avec les autres dirigeants ouest-africains que par idéologie.
La décennie est réellement l’apogée de l’Afrique française : le suffrage universel est une réalité, les populations se politisent, l’économie se développe, donnant le jour aux premières grandes fortunes du monde des affaires africains. L’établissement de régimes autoritaires comme au Togo ou au Kenya, ou l’instabilité politique chronique que l’on peut trouver au Nigéria font offices de contre-exemples et convainquent une large partie des opinions du bon choix qui a été fait avec le développement de la Fédération.
La crise de 1969 et la « confédéralisation de fait »
La dynamique de développement et le climat d’optimisme des années 1960 prend brutalement fin en 1969 avec la crise pétrolière mondiale. Les conséquences sont plus brutales encore sur le continent africain que dans le monde industrialisé : face à la hausse des coûts de l’énergie et à la raréfaction du crédit, de nombreuses entreprises africaines mettent la clé sous la porte.
Dans ce climat, les tensions grandissent entre la France et les républiques fédérées : à la chambre, plusieurs députés mettent en cause l’importance de la contribution française au budget de la fédération, et appellent à la renégocier voire à quitter la structure ; le mécontentement augmente encore lorsque plusieurs Etats encouragent leurs ressortissants à s’installer en France et à y trouver du travail, afin d’assurer un flux de devises. Dans les Etats fédérés africains, à l’inverse, l’amertume grandit devant le refus de la métropole d’étendre la sécurité sociale et les aides des citoyens français aux citoyens fédéraux, au nom de l’autonomie de chacun.
Dans ce climat, Ahmed Sékou Touré créé la surprise en 1971 en déclarant le retrait unilatéral de la Guinée, avec effet immédiat. Au-delà même de l’indépendance, il appelle à rompre tous les accords avec la France et à socialiser l’économie. Un coup d’Etat profrançais qui échoue l’année suivante contribue encore à radicaliser le régime, qui s’érige en République populaire à parti unique. Dans les années suivantes, une guérilla suscitée par le Mali avec la bénédiction de Paris se développe dans l’est du pays, réclamant le retour du pluripartisme et la fusion avec Dakar. Sékou Touré ne conserve son pouvoir que grâce à l’arrivée de milliers de « conseillers militaires » chinois, faisant de la Guinée un véritable « Tanganyka de l’ouest ».
Si la Guinée est le seul pays à basculer, des guérillas marxistes apparaissent à Madagascar et au Cambodge, ou le parti communiste de Saloth Sar déclare reprendre le combat. A Tananarive, une alliance de parti nationalistes mérina et indépendantistes proclame la restauration de la monarchie, sans toutefois rompre avec le cadre fédéral ; Paris, espérant faire barrage aux maoistes, accepte l’état de fait et restitue la couronne de la reine Ranavalona. En 1975, le sort des urnes provoque la chute de Félix Houphouët-Boigny, fidèle soutien de la Fédération, face à une coalition de gauche. A l’inverse, la Fédération du Mali connaît une alternance politique avec le départ de Senghor au profit de Fily Dabo Sissoko, homme de droite à la tête du Parti Progressiste Malien.
Paradoxalement, alors que les statuts ne sont jamais modifiés en profondeur, la pratique politique donne dans les faits de plus en plus d’autonomie aux entités fédérées, amenant certains spécialistes à parler de « confédéralisation de fait ». Les différents Etats développent ainsi, entre autres, leur propre politique étrangère et leur propre politique commerciale, marquée notamment par les rapprochement avec l’Eurasie, dont le blé est jugé particulièrement intéressant. La SDN reconnaît cette évolution en accordant en bloc le statut de membre à part entière aux Etats africains membres ; jusqu’ici, l’organisation avait refusé, craignant donner ainsi un poids démesuré à la France.
Le déclenchement de la guerre civile allemande et la grande crise européenne qui s’ensuit concentre l’attention de Paris sur le vieux continent, remettant à plus tard le règlement des questions liées à la Fédération. En 1984, le président du conseil Chirac relance le processus en prononçant à Ouagadougou un discours dans lequel il déclare que « la Fédération française est devenue de fait une alliance entre Etats souverains, il est temps de traduire cette réalité dans les textes ». L’année suivante, l’Assemblée fédérale de Marseille vote la transformations de la structure en Organisation Confédérale Afrique-Méditerranée. L'Algérie, indépendante l'année suivante, rejoint immédiatement la nouvelle union.
DemetriosPoliorcète- Messages : 1484
Date d'inscription : 05/03/2016
Thomas, LFC/Emile Ollivier, Collectionneur, Rayan du Griffoul et ezaski aiment ce message
Re: [CTC 43] Les transformations d’un Empire : l’Outre-mer français après 1941
Excellent texte. On arrive à éviter les désastreuses guerres coloniales.
Une seule faute de frappe dans
La décennie 1960 : la Fédération au défi
Si parmi les politiciens et les hauts fonctionnaires français, plus personne ne défnd de stratégie autarcique
Une seule faute de frappe dans
La décennie 1960 : la Fédération au défi
Si parmi les politiciens et les hauts fonctionnaires français, plus personne ne défnd de stratégie autarcique
DemetriosPoliorcète aime ce message
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