Le chanteur inconnu

Pablo marchait dans les rues de Lérida. C'était un homme simple le Pablo, vivant une existence tranquille, il avait un travail qui même s'il ne gagnait pas beaucoup le mettait à l'abri du besoin et même si un jour il se retrouvait au chômage les allocations de l'assurance chômage étaient suffisantes pour maintenir un niveau de vie acceptable. Il avait aussi un logement et même si un jour il avait un accident de la vie les lois de la république ne permettrait pas qu'on le jette à a rue en plein hivers comme c'est le cas dans d'autres pays, pas non plus de sans abris, du moins pas pour des raisons économiques, les loyers étaient régulés, certes il y en avait quelques un mais c'était des gens rejeté par leur famille souffrant de problème d'addiction ou mentaux, regrettable mais il y avait certainement une solution, en mettant en place de meilleurs programmes d'assistances se disait il. Oui c'était un quelqu’un de compatissant le Pablo.

Au tournant de rue des Brigades Internationales il relu une plaque. C'était celle en mémoire d'un immigrant africain assassiné par des nazis il y a quelques années. Un crime raciste comme il y en avait tant dans d'autres pays. Ici c'était rare, toute la classe politique avait condamné ce crime. La police avait été diligente pour arrêter les coupables et les juges attaché à la démocratie les avait condamné à une peine exemplaire. Les coupables étaient membre de la Falange Nueva, un groupuscule fasciste amalgamant tout ce qu'il y a de pire en Espagne : néonazis, nostalgiques de Franco, descendants des combattants de la Division Azul. Son nom était repris de cet ancien parti fasciste des années 30, interdit après la victoire des républicains en 1939, fort heureusement ici personne ne tolérait le fascisme, et encore moins l'état espagnol moderne fondé sur la victoire contre le fascisme .

Continuant son chemin il passa devant la mairie, se rappelant que c'était aujourd'hui il y a bien des années que le Front Populaire avait triomphé dans les urnes, des élections qui avaient changé à jamais le destin de l'Espagne. Mais ce changement avait été payé d'un prix très lourd, la guerre civile d'abord avec son cortège d'atrocités comme le bombardement de Guernica ou aussi celui moins connu d'ici même le 2 novembre 1937. Et puis la victoire en 1939, victoire de courte durée certes car les nazis revenant en juillet 1940 par les Pyrénées. Et ensuite le replis jusqu'au Maroc espagnol qui se disait il compensa la perte de Gibraltar. Trois années d’exil du gouvernement mais trois années bien mise à profit quand même : L'armée britannique au Maroc et aux Canaries avaient permis de chasser efficacement les U-Boot dans la zone et le Maroc constitua un bonne tête de pont en Novembre 1942 pour l'opération Torch puis ensuite pour les opérations Bulldog en avril 1943 qui vit le débarquement en Andalousie. En Espagne même les guérilléros ne furent pas inactif, il furent tellement actif que plus tard les soldats de la Wehrmacht surnommèrent la Yougoslavie l'Espagne de l'est du fait des partisans de Tito. Franco installé comme fantoche par les allemands repris la fuite une seconde fois accompagné de Luis Carrero Blanco, une fuite de courte durée, des guérilleros faisant sauter leur voiture, l'envoyant littéralement en orbite. Se remémorant ceci Pablo repensa à toutes ces blagues décrivant Franco et Carrero Blanco sarcastiquement comme les premier astronautes espagnols, il semblerai même que Franco fut envoyé plus haut que Carrero Blanco.

Poursuivant sa route il remarqua un panneau d'information listant les mesures recommandées contre le coronavirus. L'épidémie était assez bien gérée par le gouvernement, grâce au système de santé qui faisait la fierté du pays, un vaccin était d’ailleurs sortit de fabrication nationale, il se disait aussi que dans quelques jour il devrait aller se faire vacciné à l'hôpital. Un vieil hôpital reconstruit après guerre, les nazis ayant fortement endommagé la ville en 1940 lors de leur offensive et aussi lors de leur retraite en 1943, les combats ont été très intenses alors, Lérida fut la tombe du fascisme ! Fort heureusement l'hôpital bien qu'aux mur anciens était moderne dans son équipement. C'était un symbole de cet époque d'essors des années 1950 et 1960, tout le centre ville fut restauré à l'identique, la culture étant une priorité du gouvernement. Toutes ces années virent un progrès dans l'éducation, la mise en place d'organismes toujours en place : sécurité sociale, retraites, santé, éducation, droit des travailleurs, démocratie, autonomie des peuples espagnols, tout ce dont les espagnols avaient été privé durant des siècles.  Il repensa à ce film de cette époque, Bienvenido, Mister Marshall qui relate l'arrivé de l'aide du Plan Marshal dans le village de Villar del Río. Certes le plan fut utile mais il n'aurait pas eu d'effet sans les réformes adoptées par le gouvernement républicain. Gouvernement qui adopta une position neutre durant la guerre froide, étant reconnaissant de l'aide apporté par les États-Unis et l'URSS dans sa lutte contre le fascisme international.

Il passa ensuite devant le restaurant El Ayun, un très bon restaurant Saharaoui, il regrettait de ne plus pouvoir y aller aussi souvent à cause de l'épidémie. Un beau pays se disait il, indépendant depuis 1956, prospère grâce à son exploitation du phosphate, à la pêche et au transit du minerais de fer venant près de Tindouf en Algérie. Ce pays avait eu quelques problèmes avec le Maroc, celui-ci avait même tenté de l'envahir en 1963 lors de la Guerre des sables mais heureusement les troupes marocaines originaire du Rif s'étaient mutinées, ce qui ajouté à la pression du gouvernement espagnol avait freiné l’appétit du Maroc. La République arabe sahraouie démocratique avait même regagné Rio de Oro après un référendum cette même année et la frontière entre l'Algérie et le Maroc fut fixée. Le Rif lui obtint son autonomie, une victoire mêlée de joie mais aussi de tristesse par le décès d'Abdelkrim quelques mois plus tôt juste après son retour d'exil. Le peuple marocain gagnât lui aussi, Hassan II étant contraint à une démocratisation.

S'arrêtant au kiosque pour acheter un journal, il discutât un peu avec le vendeur, un retraité qui continuait a travailler, non pas que sa pension soit insuffisante mais qui souhaitait encore être actif. Regardant les gros titres sur le candidat au trône accusé de corruption, un dénommé Felipe VI, son père Juan Carlos étant mort quelques années plus tôt,  piétiné par un éléphant lors d'un accident de chasse en Afrique, il rigolât avec son ami le vendeur :

"Vois tu Manuel Pérez, après que le père ait tenté de voler les défenses d'un éléphant voilà que le fils tente de voler la caisse"

Manuel lui répondit : "Eh oui Pablo on a bien fait de chasser les Bourbons en 1931. Imagine que ce Felipe VI soit comme son ancêtre Felipe V il aurait peut-être rasé la ville"

Et Pablo pour finir : "Au moins on est en démocratie on peut voter pour choisir notre destin sans risquer des coups de matraques et nos droits sont garantit, imagine si on nous poursuivait comme en Thaïlande pour lèse majesté".

Faisant ses adieux à son ami Manuel, Pablo se dépêchait de rentrer chez lui, il était pressé car deux choses le motivaient, d'abord son chien qui lui ferait la fête à son retour et puis il avait sa passion, la musique. Oh il n'était pas très connu, ses chansons atteignaient rarement plus de quelques dizaines de vues sur YouTube mais il y mettait tout son cœur, toute sa passion. Le succès ne viendrait jamais pensait il mais il ne chantait pas pour l'argent, ni pour la célébrité, il chantait surtout son bonheur de vivre dans ce pays si agréable pour ses habitants qu'est la République Populaire Espagnole. Mais pourquoi aurait il d'ailleurs du succès ? Le bonheur de vivre étant partagé par tant de monde pourquoi s'intéresserait on à ses chansons. Dans ce monde il restera toujours un chanteur inconnu.

Pablo se réveillât, il avait fait un très beau rêve mais la réalité de cette froide prison de Carabanchel le rattrapait. Il n'avait pas fléchit et était toujours resté fidèle à ses convictions de justice sociale armé de ses paroles. Les matins passaient, puis passaient les après midi puis passaient les nuits, puis les semaines passaient et enfin passaient les années où il verrait ses cheveux devenir blancs et son visage se couvrir de rides. Ils aurait tout le temps de composer ses chansons tant redoutées tandis que depuis l'extérieur un cri de plus en plus fort retentissait : ¡ LIBERTAD !



Dédié à ce chanteur et à l'Espagne qu'il a toujours rêvé.