Le vent et l'étalon
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Le vent et l'étalon
Le vent et l'étalon
La vallée, située dans les Apennins, était encaissée. Une rivière étroite et rapide la traversait. Elle tombait d'une série de cascades, avant de rouler ses flots écumeux sous un pont. Puis se déversait dans la plaine en contrebas, en une ultime chute souvent parée d'un arc en ciel par les rayons du soleil.
Par beau temps, ce paysage abrupte, tout en rochers déchiquetés, avait une beauté sauvage difficile à nier. Cependant, il pleuvait... En fait, il pleuvait continuellement depuis des jours. Le ciel hostile était couvert de nuages noirs et bas qui se déchiraient sur les montagnes proches. Les gouttes frappaient les pierres et la rivière gonflée par les précipitations.
Les deux légionnaires qui faisaient les cent pas au sommet de la tour de guet se tournèrent en entendant le bruit d'un éboulement. Des pierres de toutes tailles tombaient, soulevant des éclaboussures lorsqu'elles touchaient l'onde tumultueuse. Gonflé par les précipitations, le flot qui battait la gorge rocheuse sapait et ébranlait les falaises qui se resserraient autour de la chute majestueuse.
Les sentinelles étaient bien armées : un javelot (ou pilum), un court glaive (gladius) et même une dague (pugio). Sous le grand manteau qui les protégeait un tant soit peu de l'averse qui frappait leurs casques à protège-joues, on discernait les lames de métal d'une cuirasse segmentée. Les hommes portaient au bras un bouclier en forme de tuile connu sous le nom de scutum.
Ils étaient les représentants de l'arrogant et triomphal empire romain. Les Romains bâtissaient des villes et des ponts de pierre là où on n'avait connu que le bois comme matériaux de construction. Ils imposaient la civilisation, la seule, l'unique, la leur... Là où on avait adoré des sources et des arbres, ils bâtissaient des sanctuaires où on vénérait des dieux enfantés par les ciseaux des sculpteurs.
Pendant des siècles, les rois barbares avaient fait vivre leurs clients et les clans dans la misère de guerres sans fin. Rome avait offert irrigation et produits nouveaux pour l'agriculture. Des lois écrites, là où des druides rendaient justices par le pouvoir de la parole... et leur seul intérêt. Surtout, la pax romana avait remplacé les raids incessants pour voler des têtes de bétails dans la tribu voisine. Rome, également, avait interdit ces rites de passage qui voulaient qu'un jeune entre nu, seulement paré du bleu de guède, armé d'une lance et d'un bouclier, dans le royaume voisin. Il devait ramener la tête tranchée d'un ennemi pour être reconnu comme adulte.
Des siècles d'obscurantismes étaient sur le point de prendre fin... Et pourtant, Il y avait eu des révoltes... Des barbares aux noms à peines prononçables, vêtus de braies de tartan, le cou serré par des torques d'or, avaient agités les peuples.
L'un d'eux, Ambiorix mok Arth, le rix (roi) des Taurisques avait réussi à rallier des clans conservateurs et à les armer, fortifiant l'oppidum de Noreia (1). D'abord, l'empereur n'avait pas pris très au sérieux ces excités chevelus qui détruisaient les temples au nom des dieux de la forêt et du vent. Deux cohortes de légionnaires appuyés par des auxiliaires avaient été envoyées. Elles avaient été écrasées ! La victoire des rebelles avait heureusement été courte. La Legio II Parthica était entrée en Italie du Nord sous le commandement de Marcus Gaius Germanicus. Il n'y avait même pas eu de bataille. Le général Gaius avait donné de fausses informations au rix Ambiorix, le conduisant à venir à l'oppidum de Segesta avec seulement quelques compagnons. On l'avait fait prisonnier et la rumeur voulait qu'il soit prochainement décapité.
C'était justement le sujet de discussion des légionnaires placés en garnison dans cette tour de guet servant de prison. En ce printemps glacial fait de pluies incessantes, ces échanges tenaient chaud.
Et puis il y avait eu ce bruit d'effondrement, ces rochers qui roulaient au bas de la falaise opposée. Les sentinelles s'étaient précipitées au parapet pour voir ce qui se passait. À ce moment la tour se mit à trembler. La fureur des flots élargissait brutalement la gorge. Comme la paroi glissait dans un bombardement de rochers qui soulevaient des gerbes d'eau, le haut de la tour s'effrita, propulsant dans l'abîme pierres, fragments de créneaux... Romains hurlants.
Cassivelanos avait parfois expérimenté au réveil une migraine comme celle qu'il ressentait. Généralement, il la devait à la consommation de vin grec (2). Il se redressa en tremblant de froid. Le colosse aux cheveux blonds était dans une pièce sombre, tout en pierre... et dégoulinante d'eau... lui-même était trempé.
Cela lui remémora la ruée d'une masse liquide... les cris d'horreur... le sol et les murs qui tremblaient, les pierres qui tombaient et puis... maintenant.
Que s'était-il passé ? Son esprit chercha à renouer les fils dénoués de la tapisserie de sa vie. Il avait été emprisonné par les Romains. Il retournait chez lui après avoir servi comme auxiliaire dans leurs armées. Et soudain la guerre n'avait plus été dans des pays lointains. Les légionnaires saisissaient les suspects et les jetaient en prison. Les "individus louches" l'étaient sur quels critères ? Ils portaient des braies, les cheveux longs ou le torque. Voir tout ça à la fois comme Cassivelanos lui-même. Les Romains disaient qu'il était temps d'éradiquer les vieilles pratiques et les vieilles traditions. Le tyran Ambiorix, les druides et les "barbares" devaient être éliminés de la province de Cisalpine. Les villages brûlés en représailles du massacre des cohortes romaines laissaient un goût amer aux Gaulois.
C'était ça la seule civilisation ? Imposée par la guerre, cultivée par " du pain et l'arène" (3), voilà le vrai visage de la paix romaine. Cassivelanos n'avait jamais entendu parler d'Ambiorix jusque là. Mais, les Romains l'avaient rangé dans le même sac que ceux qu'ils appelaient rebelles ou tyran.
Ayant retrouvé assez de force pour se relever, Cassivelanos se dirigea vers la porte de sa cellule. La vague qui l'avait assommé n'en n'avait laissé que des fragments disjoints. En deux coups de pied, il se ménagea un passage. En haut des marches, il trouva le cadavre d'un geôlier entouré de bûches de bois. Il le fouilla rapidement, ne trouvant qu'un pugio et une hache de bucheron.
Au palier supérieur, les cellules collectives avaient été dévastées.... Cassivelanos vit alors un spectacle terrifiant. Les fantômes des noyés erraient en gémissant... leur mort horrible et injuste leur avait interdit le repos.
On disait que seules les armes magiques pouvaient détruire les spectres. Ce n'était pas exact... heureusement ! Le fer froid les blessait horriblement. Plus encore la volonté des vivants et la chaleur de la vie pouvaient dissiper le lien d'un mort et l'envoyer dans l'Autre Monde.
Comme deux créatures éthérées se précipitaient vers lui, Cassivelanos combattit avec la dague dans une main, la cognée dans l'autre. Ce fut bref, ce fut violent... Le premier fantôme se jeta sur lui en criant sa haine des vivants et se dissipa lorsque les armes de fer traversèrent son corps insubstantiel.
Le second eut le temps de frapper le guerrier - secoué de frisons, glacé- il sentit la vie s'échapper comme sa chaleur était absorbée par le monstre. Dans un réflexe, il frappa... frappa... et le revenant se dissipa, ne laissant qu'un peu de substance ectoplasmique sur le sol.
Un troisième mort vivant errait dans les couloirs. Heureusement, Cassivelanos ne le rencontra qu'après avoir trouvé l'armurerie. Ce fut donc équipé et armé comme ses anciens geôliers qu'il l'affronta. Le duel fut complexe. Le fantôme avait une lance et savait s'en servir. Cassivelanos n'évita de se faire embrocher que par la grâce du scutum dont il s'était muni. L'épaule et le bras endolori, il rompit, frappa l'arme de l'ennemi, mais celui-ci recula... Le non-mort ne voulait pas s'engager dans un combat à courte portée où le gladius du guerrier celte l'aurait avantagé. Attaque, contre-attaque, rupture... nouvelle attaque... Après plusieurs échanges de coups rapides, Cassivelanos chargea en avant. D'un coup de bouclier, il repoussa la lance... avant de plonger le glaive romain dans la poitrine ouverte. Le fantôme hurla perdit forme avant de se dissiper.
L'oppidum de Noreia était bien situé. On l'avait édifié sur une butte aplanie, dans la boucle d'une rivière large et rapide qui le couvrait sur trois côtés. Le quatrième était une montagne escarpée, impossible à escalader. Un pont fortifié permettait d'atteindre des portes massives, couronnées de boucliers et de crânes d'animaux. Dépourvu de tours, l'oppidum était protégé par un mur gaulois. Formé par un rempart de terre autour d'une charpente de troncs d'arbre, il avait un parement extérieur en pierres de taille. Des guerriers chaudement vêtus arpentaient le chemin de ronde et gardaient l'entrée. Ils ne s'éloignaient guère de braseros. Il faisait très froid et le paysage était encore recouvert par la neige. Le printemps avait peut-être déjà commencé dans les plaines Cisalpines. Toutefois, on en était encore loin à Noreia.
La visite de la petite ville fut rapide. Il n'y avait que des huttes rondes au toit de chaumes. Le seul gros bâtiment était le hall du roi des Taurisques, précédé d'une cour entourée par des portiques où étaient exposés les crânes de vaincus. Cassivelanos vendit les peaux de loups qui avaient osé l'attaquer pendant sa traversée des Alpes. Il acheta aussi un peu d'équipement avec l'argent pris aux bandits qu'il avait rencontré. Personne ne put le renseigner sur Ambiorix. Les habitants ignoraient même qu'il avait été capturé. Ils savaient juste que leur roi s'était rendu en Gaule Cisalpine et purent lui indiquer le col qu'il avait utilisé. Après des jours de voyage inutile, Cassivelanos n'était pas très heureux. Il lui fallait partir à l'ouest, traverser une grande partie du territoire des Taurisques et enfin mettre cap au sud par un étroit défilé qui devait être encore pris par les neiges.
Bien sûr, lors du voyage de retour, Cassivelanos s'égara dans la haute montagne et fut attaqué par des loups (encore). Il rencontra même un ours mais réussit à éviter le combat. Ce n'est qu'arrivé dans la plaine du Pô, non loin de Mediolanon (4), que le voyageur s'aperçu qu'il s'était trompé de route. Il partit vers l'Est marchant nuit et jour. Ce qui se révéla une mauvaise idée. Dans les collines, il fut attaqué par des squelettes animés, portant d'antiques armures. Le bruit du combat attira un barde qui campait à proximité. Ce dernier entonna le refrain des lamentations et les morts retournèrent à la tombe.
Le lendemain, une haute colonne de fumée l'attira jusqu'à un oppidum incendié. C'était Segesta. Les maisons étaient réduites à des squelettes de troncs calcinés et des corps carbonisés jonchaient le sol. Le seul bâtiment encore intact était la garnison romaine. On s'était battu dans la prison. Des corps de Romains et de guerriers celtes gisaient au sol. Après de longues recherches, Cassivelanos trouva un survivant. Vanic était un ambacte (5) d'Ambiorix. Une fois soigné, il raconta comment le roi des Taurisques avait été capturé. Alors que le général Gaius voulait le faire décapiter, un fort parti de fidèles avait attaqué la petite ville et en avait submergé les défenses. Si le rix Ambiorix était libre, le mieux était de retourner à Noreia. Un long voyage en perspective... heureusement Vanic connaissait le chemin et était une bonne introduction auprès du chef des révoltés.
Quelques jours plus tard, un manipule de légionnaires et deux unités d'auxiliaires se présentaient devant Segesta pour reprendre l'oppidum. Ils formaient un impressionnant spectacle. L'avance au pas de l'infanterie lourde de Rome avait quelque chose d'implacable. Les deux centuries, encadrées par des lanceurs de javelots, étaient séparées par un porteur d'insigne et un sonneur de buccin qui rythmait la marche. Les boucliers en forme de tuile formaient un mur.
En face, les Gaulois n'offraient pas l'image d'une telle discipline. Ils frappaient de leurs lances leurs boucliers ornés de figures animales, de dessins au compas et de damiers colorés. Vêtus de tartan, le corps souvent peints de dessins au bleu de guèdes, grands et musclés, les guerriers offraient un spectacle coloré et impressionnant. Ils injuriaient les Romains ou... leurs montraient leurs fesses ! D'autres brandissaient des têtes coupées ou sortaient des rangs pour se livrer à d'horribles contorsions. Les carnyxs (6) accompagnaient le tout de longs mugissements à glacer le sang.
Cassivelanos avait rejoint la masse des simples cinges (guerriers) groupés autour de l'enseigne ornée d'un sanglier de leur drungos (bataillon). Leur uellaunos (commandant) ordonna qu'ils se forment phalange et les hommes se resserrèrent pour imbriquer leurs longs boucliers.
L'attaque commença par la charge de la cavalerie légère des Celtes. Ils lancèrent une pluie de javelots, reculèrent, avant d'en lancer d'autres. En face, les auxiliaires commençaient à subir des pertes. Au contraire, leurs propres armes de traits ne trouvaient que rarement leurs cibles étant donné la rapidité des assaillants.
Un ronflement impressionnant fit lever bien des têtes. Les frondeurs gaulois s'étaient mis à tirer. La centurie de tête oscilla, quelques hommes s'effondrèrent mais déjà les légionnaires relevaient leurs scuta. Les tirs suivants rebondirent sur le mur qu'ils formaient.
C'était au tour des Romains d'attaquer. Les trois premiers rangs prirent leur élan et lancèrent leurs pila. Les Gaulois se protégèrent, mais leurs boucliers se retrouvèrent transpercés. Gênés par ces trait de fer et de bois qui alourdissaient leurs bras et s'enchevêtraient les uns avec les autres, les Gaulois furent obligés de jeter leur protection devenue fardeau. Ce fut à ce moment que les Romains lancèrent leurs pila restant. Ce fut une hécatombe dans les rangs celtes.
Gladius au poing, les Romains se formèrent en V pour charger. Cassivelanos lança son propre javelot avant le choc, comme tous ses camarades, et dégaina. La mêlée devint rapidement brutale. L'armure des Romains, leur glaive court et leur bouclier de tour leur donnaient l'avantage. Toutefois, les Gaulois étaient plus forts, plus grands, plus nombreux, et leurs épées étaient plus solides.
Cassivelanos frappait et tuait, un Romain après l'autre, des légionnaires mais aussi des auxiliaires. La superbe ordonnance du manipule s'était effondrée. Profitant d'une pause autour de lui, le guerrier en compris la raison. Tandis que les frondeurs continuaient à matraquer le centre de la formation romaine, la cavalerie légère harcelait l'ennemi sur ses ailes et ses arrières. Mais surtout... Les carnyxs sonnèrent. Une masse de cavaliers chargea, hurlant à plein poumon. Les hommes, bien armés, casqués, portant des cottes de mailles, étaient des adversaires formidables... contrairement aux lanceurs de javelots que leur attaque dispersa. Les survivants poussaient pour se réfugier à l'intérieur des carrés des centuries et en brisaient la formation.
À quel moment les Romains comprirent qu'ils n'arriveraient pas à remporter la bataille ? Longtemps après son commencement, ils étaient opiniâtres... D'autant plus, qu'ils savaient n'avoir aucune chance dans la fuite. Lorsqu'ils commencèrent à reculer, la cavalerie légère sentit venir son heure de gloire et chargea les arrières ennemis. Pris à revers, les Romains se firent massacrer. Les hommes paniquèrent et lâchèrent leurs boucliers. Même délestés de cette charge, ils ne pouvaient battre le galop d'un cheval. Les cavaliers criaient et riaient sabrant de tous côtés, piétinant les fuyards.
C'était la victoire et les Gaulois levaient les bras au ciel pour crier. Un tout petit triomphe, mais la stratégie d'Ambiorix consistait à refuser les grandes batailles et combattre par petites troupes. En bloc, les légions étaient invincibles. Il fallait obliger l'ennemi à se diviser entre plusieurs objectifs. Si le général Gaius tentait de les attaquer simultanément, Ambiorix concentrait ses forces pour obtenir la supériorité locale. Si Gaius regroupait ses forces, Ambiorix divisait les siennes et frappait partout... sauf sur le territoire contrôlé par la Legio II Parthica.
Deux ans s'étaient écoulés depuis la bataille de Segesta. La révolte s'était étendue de l'autre côté des Alpes, à la Gaule Cisalpine. Même la ville grecque de Massilia s'était ralliée au mouvement. De plus, l'affaiblissement des Romains en Italie du nord avait été mis à profit par les Boiens. Ces Germains s'étaient emparés de l'oppidum de Felsina. Les Romains avaient conduit un siège de plusieurs mois pour les en déloger... et avaient été repoussés. On pouvait dire que les choses tournaient fort mal pour l'empereur. Entre les foyers de révolte qui se multipliaient et une invasion extérieure, ses légions accumulaient les défaites.
Pour les Gaulois, les choses se présentaient différemment. Certes, le... "renfort" des Boiens était un soutient appréciable. Cependant, Ambiorix était en fait assez ennuyé. Ces Germains arrogants ne faisaient que prendre les territoires qu'Ambiorix voulait libérer. S'il n'y avait pas eu de conflit jusque là, on le devait aux Romains qui gardaient Gaulois et Germains occupés.
Au printemps, Ambiorix lança l'attaque qu'il préparait depuis longtemps. La Legio II Parthica s'était retranchée autour de Mediolanon. Avec ses alliés de Massilia, Ambiorix marcha sur l'oppidum et l'assiégea. Grâce aux Grecs, les révoltés bénéficiaient de quelques solides phalanges d'hoplites. Toutefois, leur soutien le plus apprécié fut quatre catapultes capables d'ébranler les puissants remparts de la cité. Les assiégeants construisirent des béliers, des tours de sièges et des échelles pour donner l'assaut.
Alors que les projectiles enflammés s'abattaient dans la ville, semant l'effroi et le désordre, des personnages en robes bicolores, portant des couronnes de fer passèrent dans les rangs des Gaulois. Ces druides entourés d'ovates en robe bleue, bénirent les guerriers présents. Ils lancèrent aussi des sortilèges sur quelques volontaires. Ils connurent alors une étrange transformation, prenant la taille de géants. C'est alors que la bataille commença vraiment.
Les affrontements les plus âpres prirent place devant la porte sud. Cassivelanos y participa. Comme ses compagnons, il se rua en direction de la colline où était établie la ville. Cela signifiait traverser une zone mortelle battue par les tirs des frondeurs des Baléares et des archers crétois recrutés par les défenseurs. Malgré les frondeurs et les archers gaulois qui tiraient en représailles, l'avance était coûteuse. Une tour de siège atteignit les remparts non loin de l'entrée et une mêlée sanglante, pleine de fureurs et de cris débuta. Par moment des corps tombaient du mur, mortellement blessés.
Cassivelanos ne leur accorda qu'un regard. Avec d'autres soldures (7), il donnait l'assaut au retranchement romain qui devançait la porte. Il lança un javelot gaulois connu sous le "doux nom" de verutum (l'embrocheur!). Touché au ventre, un légionnaire hurla avant de tomber de la tour.
Le combat tournait en faveur des Gaulois qui ne s'opposaient qu'à des auxiliaires en cotte de mailles et parma (bouclier rond). Leurs rangs s'effondrèrent et les assaillants se déversèrent dans la cour précédant la porte. On s'y étripait de tout côté, mais les guerriers transformés en géants par les druides massacraient les ennemis par dizaines. La magie n'était cependant pas propre aux celtes et Cassivelanos n'eut que le temps de lever son bouclier pour arrêter la charge d'un loup fantomatique. La créature se dissipa sans laisser de trace quand il la transperça de son épée.
Il lui fallut affronter deux auxiliaires puis un centurion portant une cuirasse ornée de phalères avant d'atteindre les tours. Le magicien s'y trouvait. Il invoqua un nouveau loup-esprit... et périt, la tête proprement décollée par l'épée du Gaulois. Les autres soldures arrivaient avec des échelles qu'ils dressèrent contre la muraille de Mediolanon. Leur avance avait été rapide et les Romains étaient assaillis de tout côté. La résistance fut d'abord faible. Toutefois, les défenseurs se raidirent alors qu'ils approchaient de la porte. Si elle tombait, c'était la fin...
Cassivelanos se battit longtemps, les bras endolori à force de donner et recevoir des coups, la bouche sèche. Et puis soudain, il n'y eut plus d'ennemis autour de lui. Les soldures les avaient repoussés. Avec quelques camarades, il arracha les barres qui maintenaient la porte close. Leur victoire fut accueillie avec des cris de joies et la ruée de centaines de cavaliers ! Ils n'eurent que le temps de se pousser pour voir passer la noblesse celte richement vêtue, portant des manteaux colorés et des bijoux d'or. Ils chargèrent au son du carnyx et enfoncèrent les rangs éclaircis des légionnaires.
Tandis que les Celtes redoublaient d'effort pour repousser les Romains, les buccins sonnèrent la retraite. Partout où ils le pouvaient, les défenseurs quittaient les murs, cherchant à se regrouper sur la place centrale.
Cassivelanos combattit dans rues des Romains aussi épuisés que lui, mais qui trouvaient encore la force de résister. Pendant ce temps, les grecs de Massilia avaient réussi à prendre la porte nord et leurs troupes prirent à revers les légionnaires.
Lorsque Cassivelanos atteignit le centre de Mediolanon, les affrontements avaient pris fin. Marcus Gaius Germanicus avait jeté son épée au sol et regardait Ambiorix avec haine.
- Votre rébellion n'a aucun sens ! Un jour les hommes vous reconnaitront pour ce que vous êtes ! Un barbare stupide et rétrograde, si jaloux de son statu de petit roi qu'il a préféré se révolter plutôt que de voir son peuple connaître la paix et la postérité en rejoignant Rome.
- Vous nous traitez de barbares. Vous méprisez nos coutumes et nos lois. Vous détruisez nos sanctuaires. Vous tuez les druides et les bardes. Vous nous imposez votre langue. Vous enlevez nos enfants pour en faire de petits Romains. Tout ça pour quoi ? Pour élever de grandes villes qui font les hommes petits ? Pour votre Sénat qui parle au nom du peuple de Rome, lui volant jusqu'au droit de s'exprimer lui-même ? Dans vos villes, même le vent n'entre pas ! Et vous castrez vos étalons. Un homme est-il encore un homme s'il chevauche un hongre et si la liberté de sentir le vent lui est refusée ? Les Gaulois sont les enfants du vent et de l'étalon. Vous ne nous enfermerez pas ! Vous ne nous castrez pas !
(1) Un peu à l'ouest de Graz en Autriche actuelle.
(2)Les Celtes le consommaient pur... ces rustres. Il faut couper le résiné de dix mesures d'eau pour qu'il soit buvable.
(3) Panem et circences : maxime méprisante de Juvénal à propos des distributions de pain gratuite et des sanglants jeux du cirque, seule passion de nombre de Romains (Satires, X, 81).
(4) L'actuelle Milan (appelée Mediolanum par les Romains), son nom veux dire "forteresse au milieu du territoire".
(5) Le gaulois ambactos signifie "serviteur" ou " envoyé" (littéralement : celui qui est autour). Ce sont des individus qui ont renoncés volontairement au statu d'hommes libres pour se dévouer à servir un chef.
(6) Grande trompette en bronze au pavillon en forme de gueule de sanglier.
(7) Soldures : compagnons d'un chef auxquels ils ont juré amitié, partageant avec lui tous les biens de la vie, mais qui -en échange- font le serment inviolable de le protéger. S'il vient à mourir de mort violente ils doivent combattre jusqu'à périr ou se suicider s'ils survivent.
La vallée, située dans les Apennins, était encaissée. Une rivière étroite et rapide la traversait. Elle tombait d'une série de cascades, avant de rouler ses flots écumeux sous un pont. Puis se déversait dans la plaine en contrebas, en une ultime chute souvent parée d'un arc en ciel par les rayons du soleil.
Par beau temps, ce paysage abrupte, tout en rochers déchiquetés, avait une beauté sauvage difficile à nier. Cependant, il pleuvait... En fait, il pleuvait continuellement depuis des jours. Le ciel hostile était couvert de nuages noirs et bas qui se déchiraient sur les montagnes proches. Les gouttes frappaient les pierres et la rivière gonflée par les précipitations.
Les deux légionnaires qui faisaient les cent pas au sommet de la tour de guet se tournèrent en entendant le bruit d'un éboulement. Des pierres de toutes tailles tombaient, soulevant des éclaboussures lorsqu'elles touchaient l'onde tumultueuse. Gonflé par les précipitations, le flot qui battait la gorge rocheuse sapait et ébranlait les falaises qui se resserraient autour de la chute majestueuse.
Les sentinelles étaient bien armées : un javelot (ou pilum), un court glaive (gladius) et même une dague (pugio). Sous le grand manteau qui les protégeait un tant soit peu de l'averse qui frappait leurs casques à protège-joues, on discernait les lames de métal d'une cuirasse segmentée. Les hommes portaient au bras un bouclier en forme de tuile connu sous le nom de scutum.
Ils étaient les représentants de l'arrogant et triomphal empire romain. Les Romains bâtissaient des villes et des ponts de pierre là où on n'avait connu que le bois comme matériaux de construction. Ils imposaient la civilisation, la seule, l'unique, la leur... Là où on avait adoré des sources et des arbres, ils bâtissaient des sanctuaires où on vénérait des dieux enfantés par les ciseaux des sculpteurs.
Pendant des siècles, les rois barbares avaient fait vivre leurs clients et les clans dans la misère de guerres sans fin. Rome avait offert irrigation et produits nouveaux pour l'agriculture. Des lois écrites, là où des druides rendaient justices par le pouvoir de la parole... et leur seul intérêt. Surtout, la pax romana avait remplacé les raids incessants pour voler des têtes de bétails dans la tribu voisine. Rome, également, avait interdit ces rites de passage qui voulaient qu'un jeune entre nu, seulement paré du bleu de guède, armé d'une lance et d'un bouclier, dans le royaume voisin. Il devait ramener la tête tranchée d'un ennemi pour être reconnu comme adulte.
Des siècles d'obscurantismes étaient sur le point de prendre fin... Et pourtant, Il y avait eu des révoltes... Des barbares aux noms à peines prononçables, vêtus de braies de tartan, le cou serré par des torques d'or, avaient agités les peuples.
L'un d'eux, Ambiorix mok Arth, le rix (roi) des Taurisques avait réussi à rallier des clans conservateurs et à les armer, fortifiant l'oppidum de Noreia (1). D'abord, l'empereur n'avait pas pris très au sérieux ces excités chevelus qui détruisaient les temples au nom des dieux de la forêt et du vent. Deux cohortes de légionnaires appuyés par des auxiliaires avaient été envoyées. Elles avaient été écrasées ! La victoire des rebelles avait heureusement été courte. La Legio II Parthica était entrée en Italie du Nord sous le commandement de Marcus Gaius Germanicus. Il n'y avait même pas eu de bataille. Le général Gaius avait donné de fausses informations au rix Ambiorix, le conduisant à venir à l'oppidum de Segesta avec seulement quelques compagnons. On l'avait fait prisonnier et la rumeur voulait qu'il soit prochainement décapité.
C'était justement le sujet de discussion des légionnaires placés en garnison dans cette tour de guet servant de prison. En ce printemps glacial fait de pluies incessantes, ces échanges tenaient chaud.
Et puis il y avait eu ce bruit d'effondrement, ces rochers qui roulaient au bas de la falaise opposée. Les sentinelles s'étaient précipitées au parapet pour voir ce qui se passait. À ce moment la tour se mit à trembler. La fureur des flots élargissait brutalement la gorge. Comme la paroi glissait dans un bombardement de rochers qui soulevaient des gerbes d'eau, le haut de la tour s'effrita, propulsant dans l'abîme pierres, fragments de créneaux... Romains hurlants.
Cassivelanos avait parfois expérimenté au réveil une migraine comme celle qu'il ressentait. Généralement, il la devait à la consommation de vin grec (2). Il se redressa en tremblant de froid. Le colosse aux cheveux blonds était dans une pièce sombre, tout en pierre... et dégoulinante d'eau... lui-même était trempé.
Cela lui remémora la ruée d'une masse liquide... les cris d'horreur... le sol et les murs qui tremblaient, les pierres qui tombaient et puis... maintenant.
Que s'était-il passé ? Son esprit chercha à renouer les fils dénoués de la tapisserie de sa vie. Il avait été emprisonné par les Romains. Il retournait chez lui après avoir servi comme auxiliaire dans leurs armées. Et soudain la guerre n'avait plus été dans des pays lointains. Les légionnaires saisissaient les suspects et les jetaient en prison. Les "individus louches" l'étaient sur quels critères ? Ils portaient des braies, les cheveux longs ou le torque. Voir tout ça à la fois comme Cassivelanos lui-même. Les Romains disaient qu'il était temps d'éradiquer les vieilles pratiques et les vieilles traditions. Le tyran Ambiorix, les druides et les "barbares" devaient être éliminés de la province de Cisalpine. Les villages brûlés en représailles du massacre des cohortes romaines laissaient un goût amer aux Gaulois.
C'était ça la seule civilisation ? Imposée par la guerre, cultivée par " du pain et l'arène" (3), voilà le vrai visage de la paix romaine. Cassivelanos n'avait jamais entendu parler d'Ambiorix jusque là. Mais, les Romains l'avaient rangé dans le même sac que ceux qu'ils appelaient rebelles ou tyran.
Ayant retrouvé assez de force pour se relever, Cassivelanos se dirigea vers la porte de sa cellule. La vague qui l'avait assommé n'en n'avait laissé que des fragments disjoints. En deux coups de pied, il se ménagea un passage. En haut des marches, il trouva le cadavre d'un geôlier entouré de bûches de bois. Il le fouilla rapidement, ne trouvant qu'un pugio et une hache de bucheron.
Au palier supérieur, les cellules collectives avaient été dévastées.... Cassivelanos vit alors un spectacle terrifiant. Les fantômes des noyés erraient en gémissant... leur mort horrible et injuste leur avait interdit le repos.
On disait que seules les armes magiques pouvaient détruire les spectres. Ce n'était pas exact... heureusement ! Le fer froid les blessait horriblement. Plus encore la volonté des vivants et la chaleur de la vie pouvaient dissiper le lien d'un mort et l'envoyer dans l'Autre Monde.
Comme deux créatures éthérées se précipitaient vers lui, Cassivelanos combattit avec la dague dans une main, la cognée dans l'autre. Ce fut bref, ce fut violent... Le premier fantôme se jeta sur lui en criant sa haine des vivants et se dissipa lorsque les armes de fer traversèrent son corps insubstantiel.
Le second eut le temps de frapper le guerrier - secoué de frisons, glacé- il sentit la vie s'échapper comme sa chaleur était absorbée par le monstre. Dans un réflexe, il frappa... frappa... et le revenant se dissipa, ne laissant qu'un peu de substance ectoplasmique sur le sol.
Un troisième mort vivant errait dans les couloirs. Heureusement, Cassivelanos ne le rencontra qu'après avoir trouvé l'armurerie. Ce fut donc équipé et armé comme ses anciens geôliers qu'il l'affronta. Le duel fut complexe. Le fantôme avait une lance et savait s'en servir. Cassivelanos n'évita de se faire embrocher que par la grâce du scutum dont il s'était muni. L'épaule et le bras endolori, il rompit, frappa l'arme de l'ennemi, mais celui-ci recula... Le non-mort ne voulait pas s'engager dans un combat à courte portée où le gladius du guerrier celte l'aurait avantagé. Attaque, contre-attaque, rupture... nouvelle attaque... Après plusieurs échanges de coups rapides, Cassivelanos chargea en avant. D'un coup de bouclier, il repoussa la lance... avant de plonger le glaive romain dans la poitrine ouverte. Le fantôme hurla perdit forme avant de se dissiper.
L'oppidum de Noreia était bien situé. On l'avait édifié sur une butte aplanie, dans la boucle d'une rivière large et rapide qui le couvrait sur trois côtés. Le quatrième était une montagne escarpée, impossible à escalader. Un pont fortifié permettait d'atteindre des portes massives, couronnées de boucliers et de crânes d'animaux. Dépourvu de tours, l'oppidum était protégé par un mur gaulois. Formé par un rempart de terre autour d'une charpente de troncs d'arbre, il avait un parement extérieur en pierres de taille. Des guerriers chaudement vêtus arpentaient le chemin de ronde et gardaient l'entrée. Ils ne s'éloignaient guère de braseros. Il faisait très froid et le paysage était encore recouvert par la neige. Le printemps avait peut-être déjà commencé dans les plaines Cisalpines. Toutefois, on en était encore loin à Noreia.
La visite de la petite ville fut rapide. Il n'y avait que des huttes rondes au toit de chaumes. Le seul gros bâtiment était le hall du roi des Taurisques, précédé d'une cour entourée par des portiques où étaient exposés les crânes de vaincus. Cassivelanos vendit les peaux de loups qui avaient osé l'attaquer pendant sa traversée des Alpes. Il acheta aussi un peu d'équipement avec l'argent pris aux bandits qu'il avait rencontré. Personne ne put le renseigner sur Ambiorix. Les habitants ignoraient même qu'il avait été capturé. Ils savaient juste que leur roi s'était rendu en Gaule Cisalpine et purent lui indiquer le col qu'il avait utilisé. Après des jours de voyage inutile, Cassivelanos n'était pas très heureux. Il lui fallait partir à l'ouest, traverser une grande partie du territoire des Taurisques et enfin mettre cap au sud par un étroit défilé qui devait être encore pris par les neiges.
Bien sûr, lors du voyage de retour, Cassivelanos s'égara dans la haute montagne et fut attaqué par des loups (encore). Il rencontra même un ours mais réussit à éviter le combat. Ce n'est qu'arrivé dans la plaine du Pô, non loin de Mediolanon (4), que le voyageur s'aperçu qu'il s'était trompé de route. Il partit vers l'Est marchant nuit et jour. Ce qui se révéla une mauvaise idée. Dans les collines, il fut attaqué par des squelettes animés, portant d'antiques armures. Le bruit du combat attira un barde qui campait à proximité. Ce dernier entonna le refrain des lamentations et les morts retournèrent à la tombe.
Le lendemain, une haute colonne de fumée l'attira jusqu'à un oppidum incendié. C'était Segesta. Les maisons étaient réduites à des squelettes de troncs calcinés et des corps carbonisés jonchaient le sol. Le seul bâtiment encore intact était la garnison romaine. On s'était battu dans la prison. Des corps de Romains et de guerriers celtes gisaient au sol. Après de longues recherches, Cassivelanos trouva un survivant. Vanic était un ambacte (5) d'Ambiorix. Une fois soigné, il raconta comment le roi des Taurisques avait été capturé. Alors que le général Gaius voulait le faire décapiter, un fort parti de fidèles avait attaqué la petite ville et en avait submergé les défenses. Si le rix Ambiorix était libre, le mieux était de retourner à Noreia. Un long voyage en perspective... heureusement Vanic connaissait le chemin et était une bonne introduction auprès du chef des révoltés.
Quelques jours plus tard, un manipule de légionnaires et deux unités d'auxiliaires se présentaient devant Segesta pour reprendre l'oppidum. Ils formaient un impressionnant spectacle. L'avance au pas de l'infanterie lourde de Rome avait quelque chose d'implacable. Les deux centuries, encadrées par des lanceurs de javelots, étaient séparées par un porteur d'insigne et un sonneur de buccin qui rythmait la marche. Les boucliers en forme de tuile formaient un mur.
En face, les Gaulois n'offraient pas l'image d'une telle discipline. Ils frappaient de leurs lances leurs boucliers ornés de figures animales, de dessins au compas et de damiers colorés. Vêtus de tartan, le corps souvent peints de dessins au bleu de guèdes, grands et musclés, les guerriers offraient un spectacle coloré et impressionnant. Ils injuriaient les Romains ou... leurs montraient leurs fesses ! D'autres brandissaient des têtes coupées ou sortaient des rangs pour se livrer à d'horribles contorsions. Les carnyxs (6) accompagnaient le tout de longs mugissements à glacer le sang.
Cassivelanos avait rejoint la masse des simples cinges (guerriers) groupés autour de l'enseigne ornée d'un sanglier de leur drungos (bataillon). Leur uellaunos (commandant) ordonna qu'ils se forment phalange et les hommes se resserrèrent pour imbriquer leurs longs boucliers.
L'attaque commença par la charge de la cavalerie légère des Celtes. Ils lancèrent une pluie de javelots, reculèrent, avant d'en lancer d'autres. En face, les auxiliaires commençaient à subir des pertes. Au contraire, leurs propres armes de traits ne trouvaient que rarement leurs cibles étant donné la rapidité des assaillants.
Un ronflement impressionnant fit lever bien des têtes. Les frondeurs gaulois s'étaient mis à tirer. La centurie de tête oscilla, quelques hommes s'effondrèrent mais déjà les légionnaires relevaient leurs scuta. Les tirs suivants rebondirent sur le mur qu'ils formaient.
C'était au tour des Romains d'attaquer. Les trois premiers rangs prirent leur élan et lancèrent leurs pila. Les Gaulois se protégèrent, mais leurs boucliers se retrouvèrent transpercés. Gênés par ces trait de fer et de bois qui alourdissaient leurs bras et s'enchevêtraient les uns avec les autres, les Gaulois furent obligés de jeter leur protection devenue fardeau. Ce fut à ce moment que les Romains lancèrent leurs pila restant. Ce fut une hécatombe dans les rangs celtes.
Gladius au poing, les Romains se formèrent en V pour charger. Cassivelanos lança son propre javelot avant le choc, comme tous ses camarades, et dégaina. La mêlée devint rapidement brutale. L'armure des Romains, leur glaive court et leur bouclier de tour leur donnaient l'avantage. Toutefois, les Gaulois étaient plus forts, plus grands, plus nombreux, et leurs épées étaient plus solides.
Cassivelanos frappait et tuait, un Romain après l'autre, des légionnaires mais aussi des auxiliaires. La superbe ordonnance du manipule s'était effondrée. Profitant d'une pause autour de lui, le guerrier en compris la raison. Tandis que les frondeurs continuaient à matraquer le centre de la formation romaine, la cavalerie légère harcelait l'ennemi sur ses ailes et ses arrières. Mais surtout... Les carnyxs sonnèrent. Une masse de cavaliers chargea, hurlant à plein poumon. Les hommes, bien armés, casqués, portant des cottes de mailles, étaient des adversaires formidables... contrairement aux lanceurs de javelots que leur attaque dispersa. Les survivants poussaient pour se réfugier à l'intérieur des carrés des centuries et en brisaient la formation.
À quel moment les Romains comprirent qu'ils n'arriveraient pas à remporter la bataille ? Longtemps après son commencement, ils étaient opiniâtres... D'autant plus, qu'ils savaient n'avoir aucune chance dans la fuite. Lorsqu'ils commencèrent à reculer, la cavalerie légère sentit venir son heure de gloire et chargea les arrières ennemis. Pris à revers, les Romains se firent massacrer. Les hommes paniquèrent et lâchèrent leurs boucliers. Même délestés de cette charge, ils ne pouvaient battre le galop d'un cheval. Les cavaliers criaient et riaient sabrant de tous côtés, piétinant les fuyards.
C'était la victoire et les Gaulois levaient les bras au ciel pour crier. Un tout petit triomphe, mais la stratégie d'Ambiorix consistait à refuser les grandes batailles et combattre par petites troupes. En bloc, les légions étaient invincibles. Il fallait obliger l'ennemi à se diviser entre plusieurs objectifs. Si le général Gaius tentait de les attaquer simultanément, Ambiorix concentrait ses forces pour obtenir la supériorité locale. Si Gaius regroupait ses forces, Ambiorix divisait les siennes et frappait partout... sauf sur le territoire contrôlé par la Legio II Parthica.
Deux ans s'étaient écoulés depuis la bataille de Segesta. La révolte s'était étendue de l'autre côté des Alpes, à la Gaule Cisalpine. Même la ville grecque de Massilia s'était ralliée au mouvement. De plus, l'affaiblissement des Romains en Italie du nord avait été mis à profit par les Boiens. Ces Germains s'étaient emparés de l'oppidum de Felsina. Les Romains avaient conduit un siège de plusieurs mois pour les en déloger... et avaient été repoussés. On pouvait dire que les choses tournaient fort mal pour l'empereur. Entre les foyers de révolte qui se multipliaient et une invasion extérieure, ses légions accumulaient les défaites.
Pour les Gaulois, les choses se présentaient différemment. Certes, le... "renfort" des Boiens était un soutient appréciable. Cependant, Ambiorix était en fait assez ennuyé. Ces Germains arrogants ne faisaient que prendre les territoires qu'Ambiorix voulait libérer. S'il n'y avait pas eu de conflit jusque là, on le devait aux Romains qui gardaient Gaulois et Germains occupés.
Au printemps, Ambiorix lança l'attaque qu'il préparait depuis longtemps. La Legio II Parthica s'était retranchée autour de Mediolanon. Avec ses alliés de Massilia, Ambiorix marcha sur l'oppidum et l'assiégea. Grâce aux Grecs, les révoltés bénéficiaient de quelques solides phalanges d'hoplites. Toutefois, leur soutien le plus apprécié fut quatre catapultes capables d'ébranler les puissants remparts de la cité. Les assiégeants construisirent des béliers, des tours de sièges et des échelles pour donner l'assaut.
Alors que les projectiles enflammés s'abattaient dans la ville, semant l'effroi et le désordre, des personnages en robes bicolores, portant des couronnes de fer passèrent dans les rangs des Gaulois. Ces druides entourés d'ovates en robe bleue, bénirent les guerriers présents. Ils lancèrent aussi des sortilèges sur quelques volontaires. Ils connurent alors une étrange transformation, prenant la taille de géants. C'est alors que la bataille commença vraiment.
Les affrontements les plus âpres prirent place devant la porte sud. Cassivelanos y participa. Comme ses compagnons, il se rua en direction de la colline où était établie la ville. Cela signifiait traverser une zone mortelle battue par les tirs des frondeurs des Baléares et des archers crétois recrutés par les défenseurs. Malgré les frondeurs et les archers gaulois qui tiraient en représailles, l'avance était coûteuse. Une tour de siège atteignit les remparts non loin de l'entrée et une mêlée sanglante, pleine de fureurs et de cris débuta. Par moment des corps tombaient du mur, mortellement blessés.
Cassivelanos ne leur accorda qu'un regard. Avec d'autres soldures (7), il donnait l'assaut au retranchement romain qui devançait la porte. Il lança un javelot gaulois connu sous le "doux nom" de verutum (l'embrocheur!). Touché au ventre, un légionnaire hurla avant de tomber de la tour.
Le combat tournait en faveur des Gaulois qui ne s'opposaient qu'à des auxiliaires en cotte de mailles et parma (bouclier rond). Leurs rangs s'effondrèrent et les assaillants se déversèrent dans la cour précédant la porte. On s'y étripait de tout côté, mais les guerriers transformés en géants par les druides massacraient les ennemis par dizaines. La magie n'était cependant pas propre aux celtes et Cassivelanos n'eut que le temps de lever son bouclier pour arrêter la charge d'un loup fantomatique. La créature se dissipa sans laisser de trace quand il la transperça de son épée.
Il lui fallut affronter deux auxiliaires puis un centurion portant une cuirasse ornée de phalères avant d'atteindre les tours. Le magicien s'y trouvait. Il invoqua un nouveau loup-esprit... et périt, la tête proprement décollée par l'épée du Gaulois. Les autres soldures arrivaient avec des échelles qu'ils dressèrent contre la muraille de Mediolanon. Leur avance avait été rapide et les Romains étaient assaillis de tout côté. La résistance fut d'abord faible. Toutefois, les défenseurs se raidirent alors qu'ils approchaient de la porte. Si elle tombait, c'était la fin...
Cassivelanos se battit longtemps, les bras endolori à force de donner et recevoir des coups, la bouche sèche. Et puis soudain, il n'y eut plus d'ennemis autour de lui. Les soldures les avaient repoussés. Avec quelques camarades, il arracha les barres qui maintenaient la porte close. Leur victoire fut accueillie avec des cris de joies et la ruée de centaines de cavaliers ! Ils n'eurent que le temps de se pousser pour voir passer la noblesse celte richement vêtue, portant des manteaux colorés et des bijoux d'or. Ils chargèrent au son du carnyx et enfoncèrent les rangs éclaircis des légionnaires.
Tandis que les Celtes redoublaient d'effort pour repousser les Romains, les buccins sonnèrent la retraite. Partout où ils le pouvaient, les défenseurs quittaient les murs, cherchant à se regrouper sur la place centrale.
Cassivelanos combattit dans rues des Romains aussi épuisés que lui, mais qui trouvaient encore la force de résister. Pendant ce temps, les grecs de Massilia avaient réussi à prendre la porte nord et leurs troupes prirent à revers les légionnaires.
Lorsque Cassivelanos atteignit le centre de Mediolanon, les affrontements avaient pris fin. Marcus Gaius Germanicus avait jeté son épée au sol et regardait Ambiorix avec haine.
- Votre rébellion n'a aucun sens ! Un jour les hommes vous reconnaitront pour ce que vous êtes ! Un barbare stupide et rétrograde, si jaloux de son statu de petit roi qu'il a préféré se révolter plutôt que de voir son peuple connaître la paix et la postérité en rejoignant Rome.
- Vous nous traitez de barbares. Vous méprisez nos coutumes et nos lois. Vous détruisez nos sanctuaires. Vous tuez les druides et les bardes. Vous nous imposez votre langue. Vous enlevez nos enfants pour en faire de petits Romains. Tout ça pour quoi ? Pour élever de grandes villes qui font les hommes petits ? Pour votre Sénat qui parle au nom du peuple de Rome, lui volant jusqu'au droit de s'exprimer lui-même ? Dans vos villes, même le vent n'entre pas ! Et vous castrez vos étalons. Un homme est-il encore un homme s'il chevauche un hongre et si la liberté de sentir le vent lui est refusée ? Les Gaulois sont les enfants du vent et de l'étalon. Vous ne nous enfermerez pas ! Vous ne nous castrez pas !
(1) Un peu à l'ouest de Graz en Autriche actuelle.
(2)Les Celtes le consommaient pur... ces rustres. Il faut couper le résiné de dix mesures d'eau pour qu'il soit buvable.
(3) Panem et circences : maxime méprisante de Juvénal à propos des distributions de pain gratuite et des sanglants jeux du cirque, seule passion de nombre de Romains (Satires, X, 81).
(4) L'actuelle Milan (appelée Mediolanum par les Romains), son nom veux dire "forteresse au milieu du territoire".
(5) Le gaulois ambactos signifie "serviteur" ou " envoyé" (littéralement : celui qui est autour). Ce sont des individus qui ont renoncés volontairement au statu d'hommes libres pour se dévouer à servir un chef.
(6) Grande trompette en bronze au pavillon en forme de gueule de sanglier.
(7) Soldures : compagnons d'un chef auxquels ils ont juré amitié, partageant avec lui tous les biens de la vie, mais qui -en échange- font le serment inviolable de le protéger. S'il vient à mourir de mort violente ils doivent combattre jusqu'à périr ou se suicider s'ils survivent.
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Le champ de bataille ne fait que révéler à l'homme sa folie et son désespoir, et la victoire n'est jamais que l'illusion des philosophes et des sots. William Faulkner
Anaxagore- Messages : 2234
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Re: Le vent et l'étalon
J'aime beaucoup comme tu mêle histoire et mysticisme.
Les fantômes et esprits paraissent être stupidité et obscurantisme pour l'Homme du 21ème siècle, mais imprégnait la réalité de l'Homme de cette époque.
Les fantômes et esprits paraissent être stupidité et obscurantisme pour l'Homme du 21ème siècle, mais imprégnait la réalité de l'Homme de cette époque.
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« Ce n’est que devant l’épreuve, la vraie, celle qui met en jeu l’existence même, que les hommes cessent de se mentir et révèlent vraiment ce qu’ils sont. »
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