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L'alchimie et la Gnose

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L'alchimie et la Gnose Empty L'alchimie et la Gnose

Message par Anaxagore Dim 25 Aoû - 12:35

Première partie :

La pensée hermétique
Alchimie et Gnose dans l’antiquité


La Table d’Emeraude (traduction de l'auteur) a écrit:
Ceci est vrai, sans mensonge, certain et plus que véritable
Que ce qui est en dessous est semblable à ce qui est en dessus
Et ce qui est en dessus est semblable à ce qui est en dessous
Pour accomplir les miracles d’une seule chose

Et autant toutes choses ont été et proviennent de l’Unique
Ainsi toutes choses sont nées de cette simple chose par adaptation

Le Soleil est son père, la Lune est sa mère
Le vent l’a porté dans son ventre, la Terre est sa nourrice
Le père de toutes les perfections, le Thélème (de Telesma, « volonté ») de la totalité du monde est là

La force ou le pouvoir est entier s’il est tourné en Terre
Il est celui qui sépare la Terre du Feu, le subtil du grossier, doucement, avec grande ingéniosité

Il s’élève depuis la Terre jusqu’au Ciel et à nouveau descend dans la Terre
Et il reçoit ainsi les forces des choses supérieures ou inférieures
Par ce moyen tu recevras la gloire de la totalité du monde, par conséquent toute obscurité s’enfuira de toi

C’est la force de toutes les forces,
Elle vaincra toute chose subtile et pénétrera tous les solides

Ainsi le monde a été façonné

De là est et a procédé l’admirable adaptation dont les moyens sont là

Dans cette connexion, je suis appelé Hermès Trimégiste
Ayant les trois parts de la philosophie de la totalité du monde
Cela est fini ce que j’ai dis de l’opération du Soleil.


Comme je l’ai dit dans l'article sur la kabbale, ce texte étrange et difficile à comprendre daterait du IIème siècle de notre ère. Testament de la pensée gnostique, il est à l’origine du mot « hermétique » désignant à l’origine une pensée difficile à appréhender et qui – par glissement de sens successif- à fini par désigner un emballage imperméable à l’air.

Définition de l’hermétisme :


Qui est ce fameux « Hermès Trimégiste » cet Hermès Trois Fois Grands ? Hermès est le dieu grec protecteur des orateurs, inventeur de l’alphabet, de la musique, de l’astronomie, des poids et des mesures (ce qui fait aussi de lui le dieu des commerçants). On dressait ses statues aux carrefours car, messager des dieux, il était un grand voyageur et donc le patron de ceux qui passaient leur temps sur les routes. En tant que messager et intermédiaire, il était également le Psychopompe, celui qui conduits les âmes des morts dans l’autre monde.
Après l’avènement du Christ, ce dieu amical et très aimé continua à patronner les alchimistes. A cette époque, on ne voyait plus en lui un dieu mais plutôt un ancien roi d’Égypte qui aurait donné à l’homme l’écriture et rédigé de sa main 300 000 livres !
Mais Hermès Trimégiste n’es pas à proprement parler l’Hermès grec. Il s’agit en fait d’une identification entre ce dieu olympien nouveau-né et une divinité bien plus ancienne : Thot ou plus exactement Thot aâ aâ aâ ur, c’est à dire Thot, grand, grand, très grand.

Cette répétition du terme « grand » n’a à l’origine d’autre but que de souligner le haut degré de puissance et de sagesse du dieu. Comme on le dit parfois : « Abondance de biens ne saurait nuire ». Cependant, ce sens devait progressivement s’altérer. A l’époque ptolémaïque, un texte attribué à Manéthon explique qu'Hermès Trimégiste aurait fait partie d’une lignée de sages. Hermès-Thot aurait eu pour fils Aghathodémon, père de Tat. On devait au grand-père la conservation des écrits datant d’avant le déluge, au fils leur traduction en grec, au petit fils leur transmission. Une autre tradition explique qu'Hermès Trimégiste se serait réincarné trois fois en Egypte. Au terme de cette transmigration de l’âme, le dieu se serait « reconnu lui-même » et se serait « souvenu de lui ».

Ultérieurement, les Gnostiques donneront à ce « Trois Fois Grands » une interprétation typique de leur pensée. La triple réincarnation d'Hermès Trimégiste lui aurait permis d’explorer les trois formes d’ascendances de l’hypostase divine, l’Inengendré, l’Autogène et l’Engendré. Cette idée se retrouve également dans l’église orthodoxe byzantine car il aurait découvert que « le nom ineffable du créateur comporterait trois très grandes hypostases divines ». Passé par l’intermédiaire des chrétiens d’Orient, cette connaissance se communiquera aux alchimistes qui expliqueront que « Hermès fut nommé Trimégiste, c’est à dire auteur d’une triple doctrine, parce qu’il imputa à Dieu trois attributs essentiels, l’être, la sagesse et la vie ».

Mais quel est ce savoir hermétique que la Table d’Émeraude prétend donner à ceux qui la comprendront ?
Les antiques légendes prêtent à Thot l’écriture d’un livre interdit (on parle parfois de trois). D’après le papyrus de Turin, une conspiration magique fut un jour montée contre Pharaon. Au moyen de figurines de cire le représentant lui et ses conseillers, on chercha à le détruire par envoûtement. S’en suivit une féroce répression qui conduisit à la mort de quarante officiers et de six hautes dames. Les incantations ayant été tirées du livre de Thot, on ordonna donc sa destruction par le feu.
Le livre devait refaire son apparition, bien des siècles plus tard, entre les mains de Khaumas fils de Ramsès II. Il s’agissait non d’une copie de scribe mais de l’original couché sur le papyrus par la main de Thot. On dit que ce livre permettait de voir le soleil en face, donnait pouvoir sur la terre, l’océan et les corps célestes. Celui qui le lisait acquérait le langage secret des animaux. Il pouvait aussi ressusciter les morts et même permettre à celui qui le tenait d’agir à distance.
Les textes égyptiens sont contradictoires sur le devenir du livre de Thot. On dit qu’il fut brûlé par Khaumas. Cependant, d’autres textes soulignent que « né du feu, le livre est indestructible par le feu ».
En tout cas, le livre de Thot refait sa réapparition sur la stèle Metternich. Découverte en 1828, elle daterait de 360 avant J.C. Pour l’essentiel, cette stèle mentionne les noms et les descriptions de trois cent dieux, leurs pouvoirs et leurs attributs. Dans le texte consacré à Thot, le dieu annonce qu’il a fait brûler son livre et qu’il a chassé le démon Set et les sept maîtres du mal.
L’hellénisation de l’Égypte commence vers 300 avant notre ère. Progressivement, Thot va laisser la place à Hermès Trimégiste. Les premiers écris alchimistes grecs qui lui sont attribués remontent au deuxième siècle avant J.C. Pendant au moins sept cent ans, Alexandrie sera au centre d’une diffusion de ce genre particulièrement florissant.
Mais, en fait, tout semble commencer par le Discours d’Isis la prophétesse à son fils Horus. L’auteur inconnu s’est inspiré du Livre d’Hénoch. Isis dévoile à son fils comment elle a appris à Ormanouthi (c’est à dire au temple d’Horus à Edfou) les secrets du Grand Art, obtenu auprès d’un ange concupiscent dont elle aurait repoussé les avances. Dans un autre livre, la Pupille du Monde, la prophétesse transmet à son fils la doctrine secrète que son aïeul Kaméphis apprit d’Hermès, le mémorialiste qui relate tous les faits (…) quand il l’honora du nom du Noir Parfait.

Ce paragraphe mérite quelques explications. D’abord parce que la formule présentant Isis comme une prophétesse dévoilant les mystères du monde à un groupe de personnes choisies devait faire florès dans les siècles à venir. De nos jours encore « Isis dévoilée » est synonyme de révélation. Ensuite, qu’est-ce que ce Noir Parfait dont parle la Pupille du Monde ? Le nom Égypte est d’origine grecque. Les autochtones nommaient la vallée du Nil, fertilisée par ses limons, « Terre Noire » par opposition à la « Terre Rouge » (et infertile) du désert. Cette Terre Noire symbolisait la vie et par extension, le Noir Parfait désignait la matière originelle indifférenciée dont était issue le monde. En Égyptien, Terre Noire se disait kêmé ou kêmi. A l’époque de l’invasion arabe, le mot copte encore en usage était khêmi. Les Arabes lui rajoutèrent un préfixe et le prononcèrent el-kimyâ. Mot qui passa en Europe sous le nom d’alchimie.
A la même époque que ces prémices d’alchimie, Alexandrie devient le principal centre d’expansion de la culture magique. Les papyri grecs inspireront aussi bien le courant gnostique que la kabbale. Bien entendu la figure d’Hermès-Thot sera associée aux plus importants de ces ouvrages. C’est dans ces écrits que l’on trouve les premières traces du Logos, la parole divine dispensatrice de vie.
L’apogée de la philosophie hermétique est comprise dans les premiers siècles de l’ère chrétienne. Intégrant l’astrologie, les sciences occultes au côté de spéculations métaphysiques alexandrines où l’apport de la philosophie grecque est aussi important que la tradition égyptienne et la mystique juive, l’hermétisme est un savoir en action. Abandonnant le discours de l’être aux philosophes et aux chrétiens, il cherche des réponses à appliquer au présent. Conformément à la religion égyptienne qui représente toujours ses dieux en mouvement, l’hermétique est un homme en marche.
Pendant longtemps, l’origine de cette lecture du monde a été controversée. Cependant, la découverte en 1995 d’un Livre de Thot en démotique a permis d’en reconstituer la genèse. Issue de la tradition égyptienne, l’hermétisme a progressivement intégré la glose grecque en se nourrissant de tous les débats philosophiques qui l’ont engendré.
La quintessence de l’hermétisme sera résumée au Vème siècle dans le Corpus Hermeticum. Cette somme regroupe plusieurs textes d’importances comme l’Asclepius, le Korè Kosmou et le Poimandres. A l’époque, les courants gnostiques sont sur le point de disparaître et peu en sera conservé. Une légende devait cependant apparaître au cours du quinzième siècle. Le Livre de Thot aurait été vulgarisé sous la forme d’une sorte de résumé ou de fichier aisément accessible. D’après Antoine Court de Gébelin (in Le monde primitif, ouvrage en neuf volumes publié de 1773 à 1783), un ancien livre égyptien qui avait échappé à la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie « contenait leur enseignement parfaitement conservé sur les sujets les plus intéressants. Ce livre de l’ancienne Égypte est le jeu des tarots, nous l’avons sous forme de cartes à jouer. ». Le mot tarot dériverait même de celui de son créateur : Thot. A l’origine, le jeu s’appelait nabi, mot qui vient de l’italien et signifie prophète. Selon certaines fables, son apparition -vers 1100- serait du fait de l’Ordre du Temple ce que rappellerait son tirage en croix (Je m’étonne d’ailleurs de mentionner seulement maintenant les pauvres chevaliers du christ, il est impossible de parler d’ésotérisme sans les rencontrer).
Selon certaines interprétations, le Livre de Thot et la Table d’Émeraude d’Hermès Trimégiste ne seraient qu’un seul et même texte. C’est bien possible. The Wisdom of the Egyptians de Brian Brown, raconte comment – 1300 ans avant notre ère- le prince Nefer-Ka-Ptah retrouva la trace du Livre de Thot et réussit à s’en emparer. Seulement Thot se vengea, tua sa famille puis le voleur. Le profanateur fut enseveli avec le livre. D’après la légende gnostique, la momie de Nefer-Ka-Ptah fut retrouvée par Apollonios de Tyane, serrant toujours le Livre de Thot entre ses mains.
Or, d’après une autre légende – hermétique cette fois-, la Table d’Emeraude fut trouvée dans la tombe d’Hermès Trimégiste serrée dans la main de l’ancien roi. La correspondance entre les deux histoires est trop étroite pour être le seul fruit du hasard.

L’Orphisme :

L’Orphisme est un courant de pensée très ancien (VIIème siècle avant J.C). Sa cosmogonie est proche de l’Égypte. Le monde est né d’un Œuf d’Or qui dans le langage alchimique postérieur viendra à désigner le matras, le vase dans lequel nait la pierre philosophale, la Materia Prima étant souvent désigné sous le nom « d’embryon de l’Œuf d’Or ». L’orphisme influencera l’alchimie et la Gnose. L’origine de l’homme selon l’orphisme est divine. Il serait issu de Dionysos-Zagreus. Fils de Zeus, il aurait reçu de son père l’empire du monde. Mais les Titans se révoltèrent et le dévorèrent. Vengeur, Zeus les pulvérisa alors de sa foudre. De leurs cendres naquirent les hommes. Nés par l’esprit de Dionysos-Zagreus, quelque chose en eux les entraînaient à s’élever au-dessus de la matière. Mais ils étaient poussés au mal parce que façonnée à partir de la matière des Titans.
Bien qu’ancien, le culte d’Orphée ne connut guère de succès durant l’antiquité. Refusant le sacrifice sanglant des animaux, il fut combattu par la religion officielle. De plus, bon nombre d’initiateurs orphiques n’étaient que des charlatans. Bientôt, l’orphisme se mua en religion à mystère. Clandestine, elle connut cependant un notable rayonnement par l’enseignement qui filtra d’elle dans les textes de Pythagore et de Plotin.
Paradoxalement, c’est le christianisme qui devait lui permettre de s’exprimer en plein jour. Les chrétiens virent en Orphée une préfiguration du Christ et firent de lui le « Bon pasteur » figure souvent interpolée avec celle de Jésus.
Les gnostiques reprirent à leur compte l’idée selon laquelle la matière dont serait né l’homme serait mauvaise mais que son esprit serait divin. Comme on la vue plus haut, l’alchimie identifie symboliquement la création de la pierre philosophale avec celle du monde orphique.
Longtemps oublié et dégradé, le mythe orphique devait réapparaître au XVème siècle, grâce à la publication des Hymmes orphiques dans la Théologie de Platon de Marcile Fircin (1482). A la même époque, on le montait sous forme de pièce de théâtre, devenu deux siècles plus tard un opéra…


Le Gnosticisme :



Après des années d’études de la Gnose, j’ai développé un système particulier de classification. Traditionnellement, on la divise en un certains nombre d’écoles, voir de sectes. Certains en comptent 24, d’autres 42, Epiphane de Salamine détenant la palme avec son Panarion qui en décrit 80.
Bref, ce système est une véritable auberge espagnole et multiplie les problèmes d’identification. Le cas le plus connu est celui des Cathares. Certains auteurs considèrent que Parfaits et Bogomiles sont une seule et même secte, alors que d’autres les comptent séparément.
Ma méthode est plus simple. Je parle de courants gnostiques que je regroupe à partir des idées et des régions d’origine.
Pour moi, il en existe deux principaux.
La Gnose Syriaque : est née en Palestine, c’est la sœur ennemie de la kabbale. Elle se nourrit de judaïsme traditionnel, de kabbale et de philosophie grecque. Le courant messianique, le christianisme, les apocalypses juives et chrétiennes, le Livre d’Hénoch, les Esséniens et le manichéisme l’influencent beaucoup.
La Gnose Égyptienne : est née en terre d’Egypte, je la nomme aussi Gnose Alexandrine parce qu’elle est issue du brassage de culture que représente cette ville. On y trouve les mêmes influences qu’en Syrie. Toutefois, le manichéisme n’y est pas aussi fortement prononcé. La doctrine de Mani étant compensée par un monisme élevé issu de l’hermétisme. De plus, la religion égyptienne antique – encore très vivante- participa à l’élaboration de cette Gnose.

Pour expliquer le pourquoi de telles fusions à l’époque du Christ, il faut revenir en pensée à cette période.

1) Situation religieuse de l’Empire Romain :

En s’étendant à l’intégralité de la Méditerranée, Rome a donné jour à un mouvement que nous connaissons fort bien : la mondialisation (ou plutôt, dans ce cas de figure une "méditerranisation"). Cette internationalisation de la culture a joué à de multiples niveaux : art, échange de biens et de monnaies, coutumes, construction, langages et bien sûr, croyances.
Le culte romain est une religion d’état dotée d’une spiritualité pratiquement inexistante. Lorsque Rome s’ouvrit vers l’extérieur, elle absorba en premier la mythologie grecque, au point qu’il est maintenant impossible de séparer les deux. Ceci marque bien la faiblesse innée de cette religion sans mythe. La plupart des dieux romains sont allégoriques et furent créés pour des raisons d’opportunité politique. Leur assimilation sert le même but. Si Cronos devient Saturne pour les Romains, c’est que cela est utile à leurs ambitions. Cronos chassé de son trône par son fils s’est réfugié dans le Latium. Là, devenu divinité champêtre, il répand les secrets de l’agriculture. Le message politique est évident. Les paysan-soldats de Rome sont les élus de Cronos-Saturne, leur arrivée en Grèce préfigure le retour du dieu et donc celui de l’Âge d’Or.
Les Romains n’étaient pas totalement dénués de sens spirituel. Si beaucoup se moquaient éperdument de cet aspect des choses, il y avait cependant une frange de la population qui avait besoin de croire en autre chose que la politique. Cette soif fut en partie étanchée par l’arrivée des religions orientales. D’abord combattues par les autorités romaines et surtout des exaltés, tel Caton d’Utique, qui se faisaient les chantres des « vrais » Romains, elles furent ensuite acceptées, bon gré, mal gré. Des cultes comme celui d’Isis ou de Mithra réussirent à convertir des Empereurs. Même les Juifs furent tolérés en dépit de leur refus de sacrifier au culte de Caesar.
L’une de ces « religions orientales » s’imposa même si bien qu’elle chassa toutes les autres. Le christianisme romain n’est cependant pas le christianisme primitif. Comme toutes les religions romaines, elle est le résultat d’un phénomène de syncrétisme. Si les évangiles font juger deux fois le christ, une fois par le sanhédrin et une autre par Ponce Pilate. Puis, s’ils montrent le procurateur de Judée se laver les mains du sort de Jésus, c’est pour faciliter la conversion des Romains. En rejetant la faute de crucifixion sur les Juifs, on veut exonérer Rome. L’évangile apocryphe de Pierre va plus loin, remportant la compétition des lèche-bottes en supprimant toute mention des Romains pour faire du roi Hérode l’auteur unique du supplice.
Ce syncrétisme du monde romain se nourrissait cependant des particularités locales. Si Rome vit naître le catholicisme, les autres mégapoles : Carthage, Byzance et Alexandrie eurent leurs propres grands mouvements. Si l’orthodoxie a survécu, c’est parce qu’elle fut soutenue par les Empereurs d’Orient. L’Arianisme né à Carthage et le Gnosticisme d’Alexandrie n’eurent pas la chance d’avoir de tels patrons.

2) Les doctrines de la Gnose :


C’est dans cette situation conflictuelle qu’apparaît le mouvement gnostique. A la différence de l’Eglise catholique, les gnostiques prêchent une foi personnelle. De nombreux hérésiologues ont souligné le manque d’organisation de cette doctrine. Ils n’ont pas compris que tout gnostique est un prêtre mais aussi le temple de Dieu. Cependant, leur enseignement est réservé à une élite.
Le salut des catholiques passe par une croyance aveugle dans une suite de dogmes et la répétions mécanique d’une série de rites : baptême, eucharistie, confirmation, messes etc… C’est un salut de masse, mais aussi une doctrine rigide, traitant la pensée personnelle comme un crime. De même que la religion polythéiste qu’il a supplantée, le christianisme romain est un instrument de pouvoir. Au temps des derniers empereurs ont pouvait lire sur leurs bannières : « Un empire, Un empereur, Un Dieu ». Plus tard, en l’absence d’empereur universellement respecté, les papes tentèrent d’en imposer un, puis de prendre sa place . Cette conception de l’Eglise comme héritière de l’empire romain perdura très longtemps. Devant La Rochelle, Richelieu ne dit-il pas : « La pourpre cardinale est celle des empereurs ». Le mot empereur étant ici à prendre dans son sens étymologique d'Imperator ou général en chef.
A contrario, la Gnose ne demande pas seulement la foi, elle demande la connaissance (gnosis en grec). Croire ne suffit pas, il faut comprendre. Pour comprendre, il faut expérimenter dans ce monde mais aussi par l’extase mystique.
Quelles sont nos sources sur la Gnose ?
Elles sont de deux ordres, d’abord les écris anti-gnostique des Pères de l’Église. Pour mieux réfuter l’enseignement de la Gnose, ils en citent des passages. Ensuite vient les livres que les archéologues ont exhumés depuis le XVIIIème siècle.
Les premiers ne sont pas vraiment neutres, écris pour contrer les thèses des gnostiques, ils montrent très rarement la Sapience sous un jour favorable. Les principaux reproches se retrouvent pratiquement systématiquement d’un livre à l’autre. La multitude d’écoles gnostiques se retrouve présentée comme étant de vastes lupanars, ou la recherche de l’esprit saint se feraient dans des orgies. Les femmes seraient à tout le monde et l’amour partagé de frère à frère ou entre gens de sexes différents se feraient de manière littérale. En particulier, certaines écoles, comme les Archontites, sont exhibés professant des rites innommables. Prenant au pied de la lettre l’eucharistie, ces Gnostiques pilleraient des nouveaux nés avec du miel et du poivre pour manger le « corps du christ » !
Ce genre de dénonciation de mœurs dissolues et de rituels immondes est classique dans les guerres de religions. On trouve exactement les mêmes reproches dans les écrits des auteurs païens dénonçant les premiers chrétiens.
D’autres polémiques sont plus fondées. Les auteurs catholiques soulignent que certains gnostiques (comme Valentin) chercheraient en priorité à convertir les femmes lettrées et donc fortunées. Ce qui est bien entendu interprété comme une volonté du gourou de s’entourer de compagnes et de mettre la patte sur leurs économies. Valentin semble plutôt avoir écris aux femmes parce qu’il estimait que le mode de vie plus libéral des gnostiques devait leur apparaître tentant en comparaison de celui des chrétiens. Comme leur doctrine est complexe, elle n’est pas non plus destinée à des gens incapables de la comprendre. C’est pourquoi Valentin écrivait à des femmes de hautes naissances. Bien entendu, aux yeux des Pères de l’Église, universellement misogynes, toute femme sortant à l’extérieur du gynécée est une prostituée.
Ce vieux fond de livres anti-gnostiques a longtemps été la seule source sur laquelle on pouvait s’appuyer pour comprendre leur croyance. Toutefois, l’archéologie, notamment avec la découverte des manuscrits de Nag Hammadi, a suppléé au manque de témoignage de première main.
La Gnose se répartit entre plusieurs grands mouvements.
Gnose valentinienne : Professé par Valentin à partir du deuxième siècle, ce courant d’origine égyptienne gagne Rome. Valentin eut au moins quatre grands disciples : Ptolémée, Héracléon, Marc le Mage et Théodote. Leur école subsiste jusqu’au milieu du quatrième siècle. J’expose en détail sa doctrine, plus bas.
Gnose basilidique : Basilide est un contemporain de Valentin. Son école d’origine égyptienne n’eut pas la renommée de celle de son rival. On ne lui connaît qu’un disciple, Isidore. Son œuvre n’a laissé que quelques traces dans les écrits du Père de l’Eglise Clément d’Alexandrie. Selon son courant, Jésus ne serait mort qu’en apparence sur la Croix. Il aurait en fait laissé mourir à sa place Simon de Cyène. L’école basilidique est cependant profonde, marquée par l’emprise du mal sur ce monde et par la souffrance humaine.
Gnose de Carpocrate : On ne sait presque rien de ce mouvement. Penseurs moralistes, ils ne croient pas qu’une action puisse être bonne ou mauvaise. Ce fut généralement compris comme une absence de morale alors qu’il s’agissait plutôt d’une remise à plat.
Les Séthiens : Ces gnostiques juifs appartiennent à la Gnose syriaque, ils étaient dirigés par le même Elisha Ben Abuya dit Aher dont on parle dans la Tosephta Haggigah.

La doctrine gnostique est particulièrement complexe, ce qui explique qu’elle ne soit jamais développée que dans des milieux ayant un solide bagage intellectuel. L’influence de la philosophie grecque, particulièrement du néo-platonisme est fondamentale.
Afin d’éviter que la tête de mon lecteur n’explose, je vais m’essayer à un résumé –succinct- de la cosmologie et la cosmogonie de l’univers. Du point de vue philosophique, cette création du monde est un mélange à la fois pédant et obscur de moyen-platonisme et d’apocryphes zoroastriens avec des emprunts aux grands textes platoniciens et aux préceptes pythagoriciens.
L’apparition de la Terre est le corollaire de l’inclinaison du monde produit antérieurement à l’univers sensible. Le vrai monde est le monde des âmes, inaccessible à l’homme matériel, il l’est tout autant aux forces de corruption. Ce sont les puissances qui en éclairant le monde idéal ont fait apparaître le modèle dont est issu l’ensemble des réalités qui constituent le monde sensible. La Terre n’est pas le seul reflet de ce monde parfait. Il existe d’autres lieux similaires appelés Colonies, Répliques et Mutations.
La Terre parfaite (aérienne) sert de résidence aux âmes des défunts et assurent leur protection. Emboîtées les unes dans les autres, se trouvent en dessous une Colonie, une Mutation, puis des Répliques aériennes, ces répliques engendrant elles-mêmes des répliques plus terrestre et enfin un lieu céleste connu sous le nom de Source d’eau vive. C’est ici que se tiennent les puissances gardiennes du modèle.
Lors de la migration des âmes post-mortem, l’âme quitte la Terre puis traverse les Répliques aériennes, puis les Colonies et les Mutations.
L’inclinaison qui a créé le monde est le résultat d’un grand dommage. La Sophia (l’âme du monde) s’est penchée sur la ténèbres/matière et l’a éclairé. Il est alors apparu un reflet (eidôlon). Ce « reflet hylique » est la mère. La mère engendra à son tour un Reflet de reflet (eidôlon eidôlou) qui est le Démiurge. Par la suite, le démiurge se sépara de sa mère (ce reflet initial) et créa le monde où nous vivons.
Ce monde imparfait, créé par le Démiurge est une prison de matière. L’âme de l’homme lointain reflet de la Sophia est d’une nature spirituelle. Pour échapper au démiurge, il lui faut se détacher de la matière et s’élever spirituellement.

Si la Gnose valentinienne présente une Sophia extérieure au monde et donc épargnée. Certains courants plus tardifs s’inspirant de l’Apocalypse de Saint Jean présentent la Sophia comme une prisonnière ou une fugitive traquée par Idalbaoth, le premier archonte, le Démiurge.
Au premier rang, des ouvrages ayant participé à la formation de la doctrine gnostique, on compte aussi le Livre d’Hénoch. Dans la Gnose, le Démiurge aurait envoyé ses anges tenter les humains par la chair puis par les métaux précieux pour détourner leurs esprits des sphères supérieures.
Il est à remarquer que loin d’être des doctrines d’un haut degré philosophique, les thèses gnostiques sont souvent l’œuvre d’étudiants ! L’étude moderne des textes permet de se rendre compte que leur inspiration ne vient pas de livres philosophiques proprement dit, mais de manuels scolaires ! Les témoins de l’époque soulignent également le fait. Plotin, philosophe païen, dénonça leurs théories non pas par amitié des chrétiens (il était orphiste) mais parce qu’il ne supportait plus les Gnostiques qui venaient « squatter » ses cours !

La Gnose hermétique :


A proprement parler, l’hermétisme est une philosophie. La Gnose, mouvement syncrétique, s’est nourrie des ressemblances superficielles entre des données religieuses et philosophiques hétérogènes, les dénaturant et les vidant de leur substance. Il était normal qu’Alexandrie vit ces deux mouvements se croiser avec l’alchimie.
Le résultat ne fut pas ce fatras de croyances contradictoires ravaudées entre elles à grosses coutures comme dans les autres Gnoses.
Réceptacle d’une culture religieuse très ancienne, l’Egypte ne vivait pas sa première intégration d’une civilisation étrangère. Alexandrie, métropole polyglotte, vivait harmonieusement son métissage.
De son nom complet, la capitale de l’Égypte ptolémaïque s’appelait Alexandrie-près-de-l’Égypte. Construite comme une ville grecque avec ses institutions, ses gymnases, ses temples, elle était destinée à imposer ce modèle. Cependant, sa construction ne pouvait se faire sans la contribution de la main d’œuvre locale. Alors même qu’Alexandrie n’était encore qu’un gigantesque chantier, il fallu loger les ouvriers égyptiens. Aux portes de la ville grecque s’éleva une seconde ville avec ses temples monumentaux, ses officines d’embaumeurs, ses nilomètres.
Minorité ethnique dans le pays dont ils étaient « pharaons », les Ptolémées accueillirent avec joie les Juifs quittant leur pays. Ceux-ci étaient déjà hellénisés. Comme tels, ils furent conviés à s’installer dans la ville grecque avec un statut à peine inférieur à celui des citoyens hellène. A tel point, qu’à l’époque de la naissance du Christ, Alexandrie était la première ville juive, bien loin devant Jérusalem. Cette population souffrait quelque peu de l’éloignement de la terre promise. Lorsqu’il devint évident que l'hébreu n’était plus maîtrisé par la population juive, ce fut Ptolémée Philadelphe (285-247) qui ordonna la traduction de la Torah en grec. La septante – née, d’après la légende, du texte identique de soixante-dix rabbins- servit plus tard à l’élaboration de la vulgate, la Bible en latin. Son successeur, Ptolémée Evergète Ier (247-222) alla même jusqu'à offrir un sacrifice au Temple de Salomon, lors d’un passage à Jérusalem. Ce respect leur valu le soutient des Juifs. Réciproquement cet appui fit la fortune de ces derniers.
Le rayonnement des Juifs d’Alexandrie est particulièrement visible dans la description de La Grande Synagogue (détruite par Trajan). Dans le Talmud de Jérusalem il est dit : « Qui n’a pas vu la double colonnade d’Alexandrie, n’a jamais vu la splendeur d’Israël. (…) Il y avait soixante-dix cathèdres d’or incrustées de pierre précieuses et de perles pour les soixante-dix anciens et chacune reposait sur vingt-cinq myriades de deniers d’or. »

Longtemps, les souverains macédoniens se comportèrent avec méfiance, voir avec mépris envers le peuple du pays qu’ils dirigeaient. Mais les rapprochements étaient inévitables. Désirant se décharger de la fonction de grand prêtre qui faisait partie de celle de pharaon, les Ptolémée créent un poste de ministre des cultes égyptien qui fut accordé à un égyptien de souche. Le plus connus d’entre eux, Manéthon écrivit une histoire de l’Egypte qui familiarisa ses maîtres avec le passé complexe de son pays. Le système imaginé par ce prêtre continue encore d’être utilisé de nos jours. Car c’est lui qui inventa la notion d’ancien, moyen et nouveau royaume, la division en dynastie et même l’habitude de numéroter les souverains !
Avec Manéthon, l’Égypte ancienne pénétra dans le palais des rois macédonien. A la fin de l’époque ptolémaïque, les Lagides en étaient venus à rendre culte aussi bien aux dieux olympiens qu’à leurs confères du Nil. Cette politique de rapprochement fut encore une fois initiée par les pharaons lagides. Comme plus tard les Romains, les rois macédoniens traitèrent la religion sur une base purement politique. Ils créèrent de toute pièce un dieu qu’ils baptisèrent Sérapis, si son nom est la fusion d’Osiris et d’Apis, ses attributs seront empruntés à Zeus, Hélios, Esculape et Dionysos (certains disent Hadès). La population grecque, puis romaine le révéra dans toute la Méditerranée.
On ne peut cependant nier l’échec fondamental de Sérapis en Égypte même. Divinité artificielle destinée à remplacer la religion locale et créée par des envahisseurs étrangers, elle ne connut guère de succès.
Mais il y eut cependant une véritable fusion religieuse, plus longue à venir, plus insidieuse. Elle vint de l’apprentissage de la philosophie grecque par les prêtres égyptiens. L’archéologie a en particulier relevé des traces d'assimilation dans des fragments de textes. Ceux-ci, sans doute destinés à être présentés au cours d’une fête religieuse, montrent Thot expliquant les mystères du monde aux autres dieux. L’inspiration hellénistique de ces écrits – rédigés en démotique mais portant des commentaires en grec- est évidente.
Cette intégration de la philosophie grecque par les Égyptiens put se faire sans heurt parce qu’il était aisé de la présenter comme un retour d’enseignement. En effet, dans le Timée de Platon, c’est un prêtre de Saïs en Égypte qui raconte l’histoire de l’Atlantide à Solon. Il n’est guère étonnant que le philosophe grec puise en Égypte la source de son inspiration. Car c’est dans ce pays – à l’instar de Solon, son modèle – qu’il est venu parfaire ses connaissances en astronomie et religion. Platon étudia également les institutions de ce pays, dans le cadre de sa recherche du gouvernement parfait. Il arriva à la conclusion que les Égyptiens se rappelaient le lointain passé, qu’ils en gardaient le récit écris bien avant le déluge. Leurs monuments sont des vestiges de ces époques lointaines. Comme le dit le prêtre de Saïs : « Vous autres Grecs, (…) vous ne serez jamais que des enfants ! Nul Grec ne devient jamais vieux. »
Pour la même raison, l’enseignement des rabbins d’Alexandrie fut accueilli avec indulgence. Après tout, le savoir de Moïse ne venait-il pas de ses années passées en Égypte? Josué n’avait-il pas été vizir de Pharaon ? Salomon, leur plus grand roi, n’avait-il pas épousé la fille d’un de leurs anciens monarques?
Les Égyptiens n’avaient pas cette réaction de rejet que beaucoup de religions ressentent face à des cultes étrangers. Sûrs de la pureté de leur savoir, de son ancienneté, comme de sa place prééminente, rien ne les empêchait d’apprendre des autres.
C’est ainsi que l’hermétisme apparaît aux abords des « Maisons Pures », les temples d’Égypte. Sorti de la bouche des prêtres, il fut recueilli par les gens qui œuvraient en son sein, les mathématiciens surveillant la route des étoiles et les artisans.
Les premiers, recoupant les antiques savoirs de l’Égypte avec les travaux de leurs confrères grecs, créèrent un système de divination encore utilisé de nos jours, l'astrologie.
Les seconds travaillaient à embellir la maison des dieux. Ils passaient pour avoir le pouvoir de créer l’or. Dans l’Égypte antique, la plupart des statues de dieu étaient en bois recouverts de feuille d’or. Pour le peuple crédule et superstitieux d’Égypte, les statues -une fois dorées- paraissaient bel et bien avoir été transmutées en or. Les successeurs des artisans des temples seront les alchimistes.
C’est donc dans ce creuset qu’apparaît les premiers alchimistes à la fin du troisième siècle avant notre ère. Ce premier âge de l’Ars Magna durera jusqu’au cinquième siècle de notre ère. Cultivé dans le secret, il prit un tour de plus en plus ésotérique au fur et à mesure de la montée de l’intolérance des autorités religieuses.
Juifs, chrétiens et païens se côtoyaient pourtant sans heurt dans cette communauté partageant le même illuminisme exalté et une théosophie similaire. Ce fut aussi la seule période qui vit massivement des femmes s’adonner à l’alchimie. Parmi les plus connues, il y avait Cléopâtre la Copte et Théosébie « sœur hermétique » de Zozime.
Les grands noms de cette époque sont Zozime de Panopolis, la « couronne des philosophes » dont les écrits furent en grande partie conservé jusqu’à nos jours. Maria d’Alexandrie dite Marie la Juive, la seule femme à avoir accédé au panthéon restreint des grands alchimistes. On lui doit la cuisson au « bain-marie ». Synésius qui fut peut-être le même Synésius qui fut évêque de Ptolémaïs en Cyrénaïque. Élève de la philosophe néo-platonicienne Hypatie, c’est lui qui coucha par écris le massacre de son maître, découpée en morceau à coup de coquillages. Bien que chrétien, c’était un homme pétris des idéaux de l’hermétisme. Écœuré par le fanatisme des autorités religieuse, il s’indigna que l’on ait pu faire subir un tel traitement à une vierge, belle et douce, tolérante et qui n’avait jamais nuit à quiconque. Nul ne l’écouta. Alexandrie la bienveillante était morte. Durant les siècles qui suivirent, les seuls rapports que connurent les religions furent des rapports de force. La Méditerranée se transforma en champ de bataille où les idées reculèrent devant l’idéologie.
L’art d’Hermès est déjà pour l’essentiel ce que nous imaginons en parlant d’alchimie. Le secret de la transmutation des métaux en or ou en argent grâce à la pierre philosophale et la panacée qui permet une jeunesse éternelle sont déjà professés. Mais le but ultime est la recherche du Bonheur parfait au sein de la Divinité.
Cet art est éminemment gnostique. Tirant le meilleur de cet enseignement, il réussit à aplanir, voir à gommer ses pires côtés. L’art d’Hermès ne prend pas le visage d’une véritable religion. Refusant l’idéologie qui est la seule et véritable idolâtrie, l’hermétisme gnostique prône le monisme. Il n’y a qu’une seule réalité mais autant de perception différente qu’il y a de personnes pour regarder. Ce courant de pensée met en avant la tolérance de chacun, mais n’a pas vraiment de doctrine. La piété et l’intuition de l’existence d’un Tout sont les bases requises. L’initiation a pour but de permettre de « regarder le soleil en face » la vérité étant considérée comme si éblouissante que nul ne peut la voir sans aide. Quelques livres, parfois contradictoires, servent de guides.
On y trouve un Hermès portant un vibrant hommage de la Terre d’Egypte « image du ciel » « temple de l’univers », rapporté dans l’Asclépius. Portrait complété par l’Écrit sans titre du Codex II de Nag Hammadi. Trimégiste y décrit longuement la nature grandiose, les animaux sans pareil. Pour lui l’Égypte est « l’image du paradis de Dieu ».
Cette prose sert en fait de contre-attaque aux écrits de Philon d’Alexandrie. Le Père de l’Église y présente les Égyptiens comme le peuple le plus impie de la Terre. Le culte de la terre, placé au dessus du ciel, est pour lui l’une des pires espèces d’athéisme. La célébration de la crue du Nil n’est pour Philon que le symbole de « la parole grossière, sans instruction et, pour ainsi dire, sans âme ».
La survenue des « barbares » brisant l’équilibre cosmique symbolisé par le maat est un événement que Thot-Hermès avait prédis depuis très longtemps. D’antiques prophéties étaient gravées sur ses temples depuis l’époque intermédiaire (2190-2070 av. J.C.). En 130 av. JC. elles furent traduites en grec dans l’Oracle du Potier.
Selon ce texte, des étrangers viendraient en Égypte pour empêcher les cultes traditionnels. Le cœur et l’esprit bouleversé, les hommes se détourneraient des dieux, provoquant l’assèchement du Nil, l’ébranlement de la terre et du monde entier. Rejetant la pensée d’Hermès et l’admiration naturelle de l’homme pour la création, les étrangers pousseront les Égyptiens à voir le monde comme un fardeau. Leurs valeurs morales détruites, les hommes alors ne vivrons plus qu’en attendant la mort. Méprisant les choses de l’âme, ils interdiront alors les cultes les plus sacrés. Alors, le Créateur reviendra sur Terre et exterminera les méchants par divers fléaux. Puis, il relancera la roue circulaire du temps. Le monde rénové, les hommes l’adorant à nouveau, à son tour l’Artisan connaîtra la renaissance.

L’hermétisme décrit aussi le voyage des âmes après la mort. Ce cheminement très classique – bien qu’influencé par le néo-platonisme- ne présente qu’une particularité comparé aux mythes chrétiens. En effet, le discours parfait décrit un enfer céleste se trouvant sur la voie menant à Dieu. Comme dans la mythologie égyptienne, l’homme est jugé avant de pouvoir poursuivre sa route. Les mauvais restent dans le royaume du « Grand Démon » et de ses serviteurs, les Étrangleurs.
La principale différence entre le christianisme et la Gnose hermétique ne se situe pas là. En effet, Hermès enseigne la réincarnation. L’homme est sans cesse renvoyé à une nouvelle vie matérielle tant qu’il n’est pas gagné par la lassitude du corps, la nostalgie de l’immatériel.
L’Ogdoade et l’Ennéade (littéralement « le huitième ciel et le neuvième ciel ») décrit le terme du voyage des âmes délivrées du fardeau de la chair. Les sphères supérieures sont le domaine des êtres parvenus à l’illumination et des anges de Dieu. De retour sur Terre, l’adepte qui a été guidé par Trimégiste entreprend la construction d’un monument pour commémorer l’événement au beau milieu de l’esplanade du temple d’Hermès (Thot) à Disopolis. La réalisation est de pur style égyptien. Il s’agit bien sûr, d’un bout à l’autre, d’un texte symbolique caractérisé par une foi en un Dieu unique commandant des légions d’anges mais aussi par le respect de l’antique religion égyptienne. Les deux étant représentées en quelque sorte à égalité.
Pourquoi une telle juxtaposition ? Les raisons purement politiques ne doivent pas échapper à un lecteur attentif. Disons simplement que les Hermétiques ratissaient large pour trouver de nouveaux adeptes. Mais, il y a également des raisons de religiosité profonde. Toutes les révélations, les nouveaux visages de Dieu, se confondent dans les sphères supérieures. Le monisme enseigne qu’il n’y a qu’une seule réalité. Dans la littérature gnostique, le temple symbolise l’âme de l’homme. Si l’auteur de L’Ogdoade et l’Ennéade bâtis un temple égyptien, c’est parce qu’il est Égyptien. L’Hermétisme est une philosophie de l’acte. Ce qui marche est bon. Si une maison est solide, je ne la raserais pas pour bâtir la mienne. Si une religion est bien implantée, je l’aménagerais aux nouvelles révélations. Le monde continue sa course depuis la nuit des temps. Pourquoi l’homme – cet éphémère- se donne-t-il le droit de condamner ce qui existe depuis toute éternité ?


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Le champ de bataille ne fait que révéler à l'homme sa folie et son désespoir, et la victoire n'est jamais que l'illusion des philosophes et des sots. William Faulkner
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Message par Anaxagore Mer 28 Aoû - 14:10

L’alchimie et la Gnose
de
l’époque arabe à nos jours


  Lorsqu’en 391 Théodose interdit les cultes païens dans l’empire, il prit les mesures les plus draconiennes quant à l’application de son décret à Alexandrie. Tout d’abord, il ordonna que l’on brûle le temple de Sérapis. Également appelé Sérapeum, c’était un des trois bâtiments constituant la Grande Bibliothèque, on y regroupait tous les ouvrages religieux, soit quelques 50 000 manuscrits. C’est ainsi que disparurent des ouvrages poétiques irremplaçables, comme l’Héracléide de Panyaris œuvre de neuf mille vers louée par Quintilien et qui célébrait Héraclès. Disparues aussi Les Arimaspée écrites par Aristéas de Proconnèse, magicien et poète du VIIème siècle avant notre ère. Ouvrage qui raconte en vers le transport du thaumaturge saisis du délire apollinien jusqu’à l’extrême nord du monde connu par les Grecs.
     C’est aussi ainsi que des ouvrages historiques, tel le Babyloniaka de Bérose (356–261 av J.C.), disparurent. Contemporain d’Alexandre le Grand et de Ptolémée 1er Sôter, Bérose aurait été prêtre de Bel-Marduck à Babylone. A la fois historien, astrologue et archéologue, le Babylonien aurait créé le cadran solaire semi-circulaire et écris une théorie sur le conflit entre les rayons lunaires et solaires. On lui doit également la traduction en grec de l’épopée de Gilgamesh, racontée dans les Babyloniaka.  L’« Histoire du monde » que Bérose rédigea, décrit la rencontre entre les hommes et d’étranges créatures aquatiques protégées par des sortes de scaphandres. Ces êtres, que Bérose appelle Apkallus, auraient enseignés les premières connaissances scientifiques aux hommes. (A noter, cette étrange histoire a servi de base pour un scénario de la série de science-fiction Stargate saison 1, l’épisode 12, titré Le feu et l'eau).
    On prête aux envahisseurs arabes l’incendie de la Bibliothèque d’Alexandrie. Sans doute l’auraient-ils détruite si elle avait encore existé à leur époque. En l’occurrence, elle n’était plus depuis longtemps que cendre. Mais cette légende noire décrit assez exactement les motivations de ceux qui détruisirent cette merveille du monde. On raconte que le conquérant arabe demanda des instructions à La Mecque, désirant savoir ce que l’on devait faire de la Bibliothèque. Il lui fut répondu: «  Si ce qui y est écris se trouve aussi dans le Coran, brûlez-la, car elle nous est inutile. Si ce qui y est écris ne se trouve pas dans le Coran, brûlez-la car elle est blasphématrice. »
  A l’autodafé de tous les livres religieux, Théodose joignit tous les ouvrages traitant du « travail de l’or ». Bon nombre d’historiens se méprirent sur le sens de cet ordre. Certains comprirent que l’empereur voulait punir les Alexandrins de leur peu de fidélité au christianisme en les privant des connaissances d’orfèvreries.  Ces livres du « travail de l’or » étaient en fait des livres d’alchimie. C’est la pensée mystique de l’Hermétisme que Théodose voulait détruire.
  Les livres d’art et de philosophie furent momentanément épargnés. Toutefois, après le règne de Théodose, on les mentionna de moins en moins souvent. Il est aujourd’hui admis que la Bibliothèque ne fut pas détruite en une seule fois par un conquérant ou un fanatique religieux. Elle fut abandonnée progressivement. Une autre légende raconte que ses écrits servirent durant des mois à alimenter les feux chauffant les 4000 bains publics de la ville !  
   Jamais sans doute n’utilisa-t-on pour une besogne aussi triviale un carburant aussi précieux. Un demi-million d’écrits disparurent ainsi. Seule quarante-quatre tragédies grecques survécurent au carnage. A lui seul, Sophocle en avait rédigé 123, 90 autres avaient été  couchées par la main d’Eschyle, 92 par Euripide. On peut également ajouter les 54 comédies d’Aristophane, les Eléments du mathématicien Euclide, les travaux de l’astronome Appolonios de Perga sur les ellipses et les sections de cône. D’autres points culminants de la science ne trouvèrent pas plus de compréhension. On brûla les dessins de la vis sans fin d’Archimède. La démonstration d’Aristarque de Samos (qui affirmait que la Terre tourne autour du Soleil et que l’alternance de jour et de nuit vient de sa rotation sur elle-même) ne fut pas épargnée. En cendre aussi l’œuvre du médecin Hérophile qui faisait du cerveau le siège de la raison. Un même destin pour Ératosthène qui, mathématicien, astronome, géographe et philosophe, calcula la circonférence de la Terre et avait encore assez de temps libre pour écrire des poèmes et s’adonner à la critique littéraire. Qu’est-ce qui permis encore de chauffer les fesses de nos « vrais croyants » ? Rien de moins que le catalogue des constellations d’Hipparque. Par chance, il avait été aussi gravé dans l’albâtre de la sphère céleste qu’Atlas portait sur son dos. Et quoi d’autre ? Les travaux de Hiéron d’Alexandrie sur la machine à vapeur !    
   Tout ce savoir irremplaçable brûlé comme combustible de chaudière. Qu’on me parle de sacrilège ! Goethe avait raison, là où on brûle des livres, on finit toujours par brûler des hommes. La différence est maigre. Ces livres étaient ce qui restait de ceux qui les avaient écris. C’était l’œuvre de leur vie qu’on détruisait, leur mémoire qu’on profanait. En brûlant ces livres, c’est comme si on avait tué leurs auteurs une seconde fois.
   Les périodes d’intolérances prennent toujours fin un jour. Rome s’effondra, ne laissant derrière elle qu’un chaos de principautés barbares en proie aux préjugés fanatique et à l’ignorance. Dans cet âge de ténèbres, brillait encore une lumière sur Byzance.
   L’héritage de Rome y était puissant et, durant un temps, il fut aussi celui de la tolérance.  Interrogé sur son indulgence religieuse, Justinien le Grand eut ses mots : «  Tolérant ? Comment voulez-vous que je ne le sois pas ? Je suis catholique, ma femme est orthodoxe. J’ai appris la philosophie auprès de maîtres païens. Je confie ma vie à des gardes du corps qui sont arianistes. Ce sont des banquiers juifs qui m’avancent les sommes nécessaires au gouvernement de l’empire. Tous les jours, je reçois des ambassadeurs sassanides qui prient Zoroastre. On ne peut pas vivre à Byzance en étant intolérant ! »
    Cela dit, c’est Justinien qui ferma ces mêmes écoles de philosophie païenne qu’il se vantait de protéger. Le néo-platonisme réussit cependant à survivre à Alexandrie et se transmit ainsi aux arabes lors de la conquête.
   L’alchimie bénéficia de cette période de paix. Elle reçut même le soutient de l’empereur Héraclius. Bien sûr, cette époque prit rapidement fin. Alors que les difficultés extérieures morcelaient l’empire, le « bon peuple » se tourna vers les « ennemis de l’intérieur ». Le refrain est connu, la recette souvent appliquée. L’Alchimie survécue cependant assez longtemps pour être encore un art vivant au moment des invasions arabes.

L’alchimie et mysticisme arabe :

 
Si le principal mérite de l’alchimie byzantine est d’avoir existé, l’influence des maîtres arabes est fondamentale. On ne peut parler d’alchimie et oublier qu’il s’agit d’un mot de leur langue, comme alcool, athanor, alambic, élixir et bien d’autres encore.
   Si on s’en tient aux récits légendaires, l’alchimie aurait pénétré très tôt les plus hautes strates de la société arabe. Dès le VIIème siècle, le prince omniade Chalid ibn Jasid (dit Calid), maître de l’Egypte, aurait appris l’art sacré auprès d’un ermite du nom de Morien. Ce Romain vivant à Alexandrie tenait ses connaissances d’un philosophe chrétien du nom d’Adfar. Du point de vue historique, le passage de l’alchimie aux arabes se fit par l’intermédiaire de la conversion des Coptes. Leurs savants, imprégnés de sagesse alexandrine transmirent leur savoir aux mystiques arabes, déjà ouverts aux influences du néo-platonisme et de la Gnose.
  En dépit du combat acharné des protecteurs de la stricte orthodoxie, la pensée arabe était un terreau fertile et l’art d’Hermès s’y répandit de manière à enflammer toute la Méditerranée.
   Le Chiisme a beau professer l’existence d’une divinité inconnaissable, insondable et ineffable, son discours emprunte beaucoup dans sa forme aux Gnostiques (dont le Logos) mais aussi au néoplatonisme et même au christianisme. Les grands noms du Chiisme sont, dans cette optique, bien plus que de fugitives apparitions historiques mais bien des représentations au niveau terrestre du plérome de lumière. Cette doctrine, déjà riche spirituellement, ouvre la voie à une interprétation ésotérique qui mûrit dans le courant soufi.
   Le nom de Soufi vient à la fois de sûf (laine), pauvre étoffe tissant leur vêtement et symbolisant leur détachement du monde, et de safâ (pureté). En réaction à l’Islam officiel, les Soufis prêchent un retour à la pureté primitive et une interprétation du Coran sur un mode spirituel et même ésotérique. Le rôle religieux des Soufis fut immense, mais on néglige souvent l’étude de leur influence politique. Leurs critiques acerbes du calife Yâzid (un ivrogne débauché) précipitera la chute des Omeyyades et l’avènement des Abbassides (en 750).
   La nouvelle dynastie fondra Bagdad. Les Soufis y installeront, se livrant à une recherche des fondements de la foi et du discours de Dieu entretenu par de longs dialogues avec les chrétiens et par une relecture des néo-platoniciens. Persécuté, le mouvement finit par s’éteindre et… par renaître se nourrissant de poésie, de philosophie, de Gnose et même de l’héritage de l’antique perse.
  C’est dans cet âge où les arabes oscillaient entre mysticisme et répression que vécurent Geber et Avicenne.
    Geber, de son vrai nom Jâbir ibn Hayyân, fut un grand savant. Il essaya d’appliquer les connaissances mathématiques de son époque pour approfondir sa compréhension du cosmos. En tant qu’alchimiste, on lui doit la création d’un certain nombre de nouveaux corps dont l’eau régale, l’acide sulfurique et l’acide azotique. Son œuvre principale, la Summa perfectionis magisterii n’existe plus que par sa traduction latine. Ce soufi était surtout un grand mystique. Il est le premier à présenter la création de la pierre philosophale comme une opération de moderne chimie. Mais les composants qu’il utilise, le mercure, le soufre et le sel ne sont pas ce que l’on pourrait croire. Comprenant que l’on ne peut laisser le savoir des initiés à portée de main des imbéciles, il a recourt à un langage codé.
   Geber disait que les propriétés des métaux s’expliquaient par leurs teneurs en soufre et mercure. Plus le métal contenait de mercure, plus il était précieux.
   Pour comprendre ce passage, il faut avoir des notions d’arabe.
• le soufre se de dit kibrit, homonyme de kibirat : grandeur, noblesse
• le sel se dit milh, homonyme de milh : bonté, savoir
• le mercure se dit zibaq, racine similaire au mot signifiant «  ouvrir une serrure »
• le tout forme  la pierre philosophale qui se dit Azoth, mot signifiant « pierre, chose cachée, défendue, » et venant de l’arabe el dhat signifiant « essence » ou « réalité intérieure ».
  L’âme humaine, dans sa version aboutit d’Azoth ou de pierre philosophale, a des propriétés ou plutôt une élévation qui dépend de sa teneur en grandeur, noblesse, bonté et savoir. Plus l’âme « ouvre sa serrure », répandant autour d’elle noblesse et bonté, plus elle s’élève.
  Avicenne ou plutôt Abu’Ali al Hosayn ibn Sîna  était un médecin dont les traités connurent un net succès en occident. Mais il fut aussi vizir et consacrait ses soirées (voir même ses nuits) à l’étude et l’enseignement. Chiite et proche des Ismaéliens, il était très croyant.
   Outre des ouvrages médicaux, Avicenne est l’auteur de l'Almahad (le retour) qui raconte le voyage de l’âme dans l’au-delà. Alchimiste, il soutint que la transmutation n’était qu’un changement d’apparence et non de substance. Philosophe, il fut très influencé par Aristote et le néo-platonisme. Sa doctrine s’inscrivit dans la continuité de l’Ennéade de Plotin.
  C’est au milieu du douzième siècle qu’apparaît Muhyî al-din Abû Abdallâh Muhammad ibn Ali ibn Muhammad ibn al-Arabî al-Hâtimi al-Tâ’î.
   Au départ, rien ne prédestinait ce jeune homme de bonne famille, très cultivé, à devenir un des maîtres de la Sapience. Après une maladie lui ayant fait frôler la mort, il se remit totalement en question. Abandonnant ses biens et se hautes fonctions dans l’administration almohades, il pratiqua l’ascèse dans une stricte retraite. Là, il connaîtra l’extase mystique à un niveau qu’il n’hésitera pas à comparer aux apparitions de l’ange Gabriel au Prophète.
   Devenu pèlerin, Ibn’Arabî visita l’Espagne et le Maghreb. Une vision lui enjoignit ensuite de se rendre à Jérusalem puis à La Mecque. Sa renommée le précéda, et il fut accueilli par un puissant cheikh iranien. Épris de sa fille, Nizâm, Ibn’Arabî lui dédia l’Interprète des ardents désirs, un des chefs d’œuvre de la poésie arabe. Célèbre, entouré de disciples, il continua son pèlerinage dans tout l’Orient. Sollicité par les princes, il fut perpétuellement combattu par les Docteurs de la Loi.
   Il faut dire que son interprétation de l’Islam avait de quoi les inquiéter. Sa doctrine dépasse le monde musulman. Ses ambitions sont universelles et nourriront l’organisation comme les doctrines du soufisme, les régénérant complètement. Auteur de 300 livres (dont moins de la moitié sont parvenus jusqu’à nous), c’est un métaphysique et un spiritualiste. C’est aussi un moniste (héritier de l’esprit d’Hermès comme de toute la Gnose). Pour lui, l’enseignement de Dieu est incolore. C’est l’âme de l’homme qui tel un prisme lui donne une coloration. Chacun voit donc Dieu comme il s’attend à le voir. « La réalité n’est qu’une seule chose apparue sous des formes multiples ». Il en résulte que l’homme lui-même n’est qu’un archétype de Dieu. L’homme est l’objet de la Connaissance, Dieu en est le sujet et le témoin transcendant. Pour connaître Dieu, l’homme doit se connaître lui-même en son essence spirituelle. Il ne peut cependant y parvenir que par le référant universel lui-même, c’est à dire Dieu.
   Ibn’Arabi mourut à Damas. Près de trois siècles après sa mort, sa tombe se trouva enclose par une mosquée. Honoré, «  le plus grand des Maîtres » ne fut pourtant jamais accepté par le canon officiel de l’Islam. Sa pensée reste cependant très vive, souvent abordée en période de conflit, elle reste la doctrine non-orthodoxe la plus reconnue des penseurs musulmans.
   La légende veut qu’Ibn Arabi ait rencontré Djalâl Ad-Dîn Rûmi, le fondateur des derviches tourneurs, alors encore dans l’enfance. Le voyant marcher derrière son père, lui-même un grand mystique, il se serait alors écrié «  Louange à Dieu, voici un océan qui marche derrière un lac ». Résumer les derviches à des exaltés tournant sur eux-mêmes, serait négliger le fond philosophique et mystique qui se tient derrière le Sâmâ, leur danse. Leur ronde est celle des planètes. En dansant, ils cherchent à devenir le monde, à toucher l’amour divin mais aussi la totalité des hommes et même l’ensemble des êtres vivants. Panthéiste convaincu, Rûmi – bien que musulman fervent- n’hésita pas à proclamer l’égale valeur de toutes les religions. Dans ses livres, il alla même jusqu’à puiser dans les paraboles chrétiennes pour soutenir son jugement. Son plus grand enseignement est l’inexistence du mal, partout, en nous, autour de nous, il n’y a que l’œuvre de Dieu.
  Rûmi disait souvent : « Je ne suis ni chrétien, ni mazdéen, ni musulman, ni d’Orient, ni d’Occident, ni de la mer, ni de la terre, ni des cieux en rotation, ni des mines de la Nature ».
   Il disait n’être qu’extase et amour, il n’appartenait qu’à Dieu, il n’aspirait qu’à le rejoindre.
   Rûmi est le plus grand des mystiques, le plus grand des soufis.

  Rûmi vivait pourtant au crépuscule d’un monde. Né à Balkh, il dut fuir sa ville natale menacée par les hordes du Grand Khan. A nouveau, les barbares submergeaient la civilisation. Arrachant les livres aux bibliothèques, ils les jetaient au sol pour servir de couches à leurs chevaux. Profanant les mosquées, brûlant des villes, ils transformèrent le brillant Khârezm en désert.  
    En occident, la Reconquista était en train de détruire al-Andalou aidé par les barbares d’Afrique du Nord, musulmans incultes retaillant la religion à la mesure de leurs préjugés.
    En Grèce, l’empire Byzantin n’en finissait plus d’agoniser. Brutalisé par les croisés, dépecé, il devait recevoir le coup de grâce de la part des Turcs ottomans.  
   

L’alchimie et le mysticisme dans la chrétienté médiévale :


  Le renouveau spirituel que devait connaître l’Occident durant la deuxième partie du moyen âge puisait ses sources chez les Arabes.
  L’Espagne musulmane ouvrit des universités qui connurent un important rayonnement dans le bassin méditerranéen. Dans Les piliers de la Terre de Ken Follet, on voit un architecte anglais incapable de terminer une cathédrale partir pour l’Espagne afin d’apprendre les connaissances qui lui faisaient défauts. S’en suit une description idéalisée – mais trop rapide- de la vie à cette époque.
   Malheureusement, cette vision pacifique, est battue en brèche par la réalité. Une faible partie des étudiants était constituée d’européens du Nord. Les Juifs eurent plus d’impact en traduisant les traités arabes en latin. Mais, on la vu plus haut, cela ne changea rien à leur condition et Philippe le Bel devait détruire cette source de savoir.
   Les croisades devaient faire beaucoup plus pour ramener la lumière de la connaissance à l’Occident, mais dans quelles conditions !
   L’époque n’était guère à la douceur et à la conciliation. A peine rassemblés, les chrétiens se livrèrent à un grand carnage des Juifs qui avaient le malheur d’être sur leur chemin. Puis, arrivés en terre d’Islam, l’horreur fut totale.
   Rapidement, catholiques et orthodoxes devaient voir leurs routes diverger. D’abord alliés, Byzantins et « Latins » devaient se transformer en ennemis irréductibles. Lorsqu’en 1204 les croisés prirent Constantinople, le fossé fut définitivement creusé.
   Durant leur voyage vers Jérusalem, les Occidentaux furent de toutes les ignominies. A la prise de la cité trois fois saintes, «  le lieu de paix » (c’est le sens de son nom en hébreux) était rouge de sang. Les croisés avaient massacré tous les musulmans – ce qui à la rigueur peut se comprendre- les Juifs – mais ça, c’était habituel- et même les chrétiens d’Orients ! A par les envahisseurs, il ne restait plus rien de vivant. Mais les croisés étaient content, certains que cet épouvantable massacre était agréé par Dieu et venait de leur ouvrir les portes du paradis.
  L’addition fut donc plutôt salée. Mais, somme toute, le savoir qui devait mettre fin à l’âge noir et barbare qui avait suivi la chute de Rome ne pouvait atteindre un prix trop élevé.
   L’enseignement des connaissances conquises en Orient commença cependant sous les plus mauvais auspices. Les mêmes causes qui avaient arrêtés le savoir pendant des siècles s’abattirent sur la toute jeune université de la Sorbonne. Enseignant Aristote à leurs élèves, les magistères en chaire avancèrent que le philosophe proclamait l’éternité du monde. Hérésie ! L’archevêque de Paris trancha dans le vif. Tout professeur enseignant les 219 points de l’œuvre d’Aristote qui divergent de la pensée chrétienne serait excommunié et destitué ; le même traitement étant réservé aux étudiants qui participeraient à ces cours « hérétiques ».
   Cela aurait pu être le début d’une nouvelle époque de stagnation. Toutefois, la conquête de la Terre Sainte avait ouvert les yeux aux hommes de ce temps. Ils avaient vu des choses différentes, des réalisations techniques, scientifiques et philosophiques qui dépassaient tout ce qui existait chez eux. Ils avaient vus les palais des sultans, leur culture raffinée. Ils avaient aussi compris que pour les rois d’Orient ils n’étaient que des barbares « qui ne se lavent pas sous les aisselles ».
   De retour chez eux, les croisés reconnurent leurs villes pour ce qu’elles étaient : des taudis minuscules, crasseux, puants. Leurs châteaux n’étaient que des forteresses froides et dépourvues de tout confort. Personne n’aime être traité de barbare. Mais c’est encore pire de s’apercevoir que c’est la vérité.  
   Les hommes qui avaient vus l’Orient stimulèrent la curiosité intellectuelle des gens de l’époque en adoptant certaines innovations venues de ces terres lointaines. De la sorte, ils initièrent un mouvement de renouveau.
    Comme l’avait prédis Hermès Trimégiste, la roue du temps longtemps bloquée se remit à tourner.
    Pour contourner la philosophie d’Aristote il n’y a que deux solutions, la réfuter ou l’amender. Bonaventure entreprit de concilier la philosophie et la foi par la première méthode. Cependant, c’est Thomas d’Aquin qui remporta le débat. Soutenant que « être créé » ne veut pas dire «  avoir un commencement » mais «  dépendre d’un autre par son être », il parvint à la conclusion que Dieu avait engendré un univers qui pouvait tout aussi bien être éternel comme avoir un commencement temporel. Comme la vérité ne peut être démontrée, c’est à la foi de trancher.
  Par la même, les philosophes se retrouvèrent dans une situation intéressante. Pouvait-il exister deux vérités ? Boèce de Dacie permettra une troisième lecture du problème. Dieu appartenant à un domaine qui dépasse le champ d’investigation de la physique, rien n’empêche que les deux théories soient vraies. Les observations ne concernant que le monde observable, rien n’empêche que Dieu – qui n’y appartient pas - ait créé un monde en apparence immuable. Le paradoxe qui résulte de cette explication en deux temps est peut être encore plus captivant que la question elle-même. En effet, si aux yeux de Dieu –être illimité- la Terre a une origine et une fin. Aux yeux de l’homme –être limité- elle est éternelle. C’est la controverse de Parménion et Héraclite. L’univers est-il limité ou illimité ? Si l’univers est clôt par un mur, sur quoi repose-t-il ? S’il s’achève sur un rien, un néant, qu’est-ce qui m’interdit d’y étendre mon bâton ?
    Hermès aime les controverses, comme deux pierres frappées l’une contre l’autre les sujets de polémique font jaillir les étincelles d’où naît le feu de la connaissance.
   Presque mille sept cent ans après le débat qui avait divisé les philosophes pré-socratiques, l’Europe médiévale était retourné au même point. Il lui restait maintenant à inventer sa propre réponse.  
    A la suite de la sagesse antique, les philosophus per ignem (les philosophes par le feu, surnom des alchimistes) devaient faire leur entrée en Occident.
    Le premier livre d’alchimie autochtone à marquer l’Europe médiévale est la Turba philosophorum (tourbe des philosophes). L’influence arabe de ce texte est très marqué dans les noms donnés aux philosophes à qui on l’attribue : Ixidimus (Anaximène) ; Pandolfus (Empédocle) ;  Frictes (Socrate) ; Ascabofen (Xénophane). L’ouvrage, très obscur, dépeint un cénacle où le vocabulaire de l’alchimie est fixé par les grands sages de la Grèce.
     C’est à cette époque (XIIème siècle) que la Table d’Émeraude fait sa réapparition, entouré de toute sa légende. Dans le monde chrétien, le patron des alchimistes devenant par le fait même « Saint » Hermès Trimégiste. Un saint non-officiel qui aura pourtant ses confréries parmi les alchimistes, du moins aux époques de tolérance.
   Car bien sûr, l’Église réprimera le mouvement. Toutefois, en son sein des voix s’élèveront pour défendre cette discipline. Thomas d’Aquin n’y voyait rien de répréhensible, à partir du moment où l’Ars Magna n’abordait pas la magie… et surtout laissait les questions de religion à l’Eglise.
    Mais la préoccupation religieuse transparaît dans toute l’œuvre alchimique. Le Livre des XXIV philosophes, attribué à Hermès, ne manque point de toucher au sujet interdit affirmant par une citation demeurée célèbre que  Dieu est un « cercle dont le centre est partout, la circonférence n’est nulle part ».
  Cependant, la plus grande partie des alchimistes s’efforcera à une parfaite orthodoxie religieuse. Lorsque leur ouvrage touchera au divin, ils l’entoureront des attributs les plus chrétiens qui soient.
   Parmi ces alchimistes, on peut citer (saint) Albert le Grand (1193-1280) qui fut le maître de Thomas d’Aquin. Selon la légende, Albert le Grand avait été destiné par son père a étudié la théologie, mais cette science ne l’enthousiasmait guère. Aussi, lorsque la Vierge Marie lui apparu et lui offrit de le distinguer dans une science, il demanda qu’elle l’aide à devenir un grand philosophe. La Vierge l’exhaussa mais le réprimanda de ne pas avoir choisit la théologie. Elle le mit en garde en lui disant qu’il le souhaite ou non, il serait obligé de consacrer une partie de son intelligence à la théologie.
Ayant rejoint l’ordre des dominicains et devenu un grand philosophe, Albert le Grand il occupa la chaire de « magister » de philosophie à la Sorbonne. Ses cours étaient suivis d’un tel nombre d’élèves qu’il devait les faire en plein air, aucune salle n’étant assez grande pour tous. Son De l’Alchimie en cinq tomes devait rester un des livres de l'Ars Magna parmi  les plus lu du moyen âge.
   Frappé d’apoplexie au cours du concile de Lyon, il resta jusqu’à la fin de sa vie dans un état végétatif ; certains y virent la punition de la Vierge pour n’avoir pas consacré une partie de son temps à la théologie. Incapable de se défendre de ses ennemis, il fut condamné pour sorcellerie. Ironie de l’histoire, il sera canonisé en 1941 en tant que protecteur des sciences. D’après Thomas d’Aquin, qui l’aurait vu faire, Albert le Grand était capable de transformer les métaux vils en or.  
   Plus intéressant, Roger Bacon  né en 1220 (ou 1214)  mort en 1292, fut moine. Bien que né au moyen âge, il frappe par sa modernité. On lui doit une lettre adressée au pape Clément IV, le priant d’engager à une réforme du calendrier Julien dont les défauts lui paraissaient intolérables. L’une de ses œuvres les plus connue est son « Traité d’Optique et de perspectives », daté de 1250, qui parle déjà de microscopes et de  télescopes. On a souvent fait de lui l’Alchimiste par excellence. Une légende allant même jusqu’à lui attribuer l’invention de la poudre à canon, arrivée en fait en Europe dans les bagages de Gengis Khan. On oublie trop souvent que ses intuitions en matière de navires propulsés par des moteurs, automobiles et machines volantes sont stupéfiantes. Son savoir sur les engins mécaniques autopropulsés fut rédigé en secret dans l’Opus Magis au côté de recherches en matière de mathématiques, d’astronomie ou d’alchimie.
  On lui doit aussi un traité nommé : «  L’épître sur les œuvres secrètes de l’art et la nullité de la magie ». Une profession de foi contre le charlatanisme qui se révèle aussi comme un essai sur la cryptographie.
  Malgré la protection du pape Clément IV, Roger Bacon poussa la roue trop loin en prétendant que la transmutation des métaux était possible. A la mort de son protecteur, son successeur, Nicolas III, le fera emprisonner pendant dix ans. Il en ressortit, vieux infirme et sévèrement diminué.
  Persécuté, emprisonné, incompris, Bacon eut ces mots amers peu avant sa mort: « Je me repends de m’être donné tant de mal dans l’intérêt de la science ».
  Quand il décéda, les moines de son couvent clouèrent au mur tout ses livres et manuscrits comme œuvre infâme de la sorcellerie !
   Arnaud de Villeneuve (1245 – 1313) bénéficia de l’amitié et la protection du pape d’Avignon Clément V. Soucieux du niveau spirituel de l’alchimie, il puisa à différentes sources (dont la Kabbale et l’astrologie) pour la revivifier. On lui doit en particulier la notion de Spiritus. Le Spiritus serait l’intermédiaire entre le corps et l’âme. Lié aux astres, ce Spiritus sera plus tard nommé « corps astral » ou « corps éthérique » et fera la joie des illuminés de tout bord. Villeneuve et pourtant loin d’être un « rigolo ». La tradition fait de lui l’élève de  Raymond Lulle «  le docteur illuminé ». Personnage étrange et fantastique qui passa pour alchimiste – et ne l’était probablement pas- c’était surtout un mystique rationnel qui par la raison chercha à convertir juifs et musulman à la « Vraie Foi ». Sa méthode est assez unique, puisqu’il s’appuya sur des machines logiques, des disques de cartons sur lesquels sont inscrits des grands principes. On fait bouger les différents cadrans et la réponse apparaît dans le dernier.
   Avant de passer aux alchimistes du XIVème siècle, je vais faire un petit tour du côté de Toulouse pour parler des Cathares.
   Les Cathares sont une secte gnostique qui nous est essentiellement connue par les textes des catholiques. Au IXème siècle, dans l’empire Byzantin, apparu les Pauliciens.  Bien que chrétiens, ils opposaient à l’existence de Dieu – celui dont le fils est mort sur la croix- un Créateur du monde visible, dieu du mal, identifié avec le dieu de l’Ancien Testament. Cette doctrine courante dans le gnosticisme fut interprétée comme manichéenne (ce qui est exacte au sens commun de ce terme, mais ne l’est pas du point de vue doctrinal).
   Déportés en Bulgarie, les survivants de la secte se trouvèrent un nouveau chef en la personne du prêtre Bogomile. Sous son influence, les hérétiques devinrent une véritable religion qui domina la Serbie et la Bosnie au XIIème siècle. Plus tard, lorsque les Hongrois catholiques voulurent convertir ces régions qu’ils venaient de conquérir, ils s’y prirent de manière si brutale que les derniers bogomiles se firent musulmans et demandèrent l’aide des Turcs.
   Entre-temps, les missionnaires bogomiles avaient gagné l’Europe occidentale. Lorsqu’en 1167, un concile cathare présidé par l’évêque bogomile Nikita se tint près de Toulouse, le  Saint-siège sentit ses assises trembler.
   A la décharge du pape Innocent III, on en peut nier qu’il chercha à éviter un conflit, préférant des moyens de reconquête pacifique. Pour le malheur du pape comme des cathares, les envoyés du Saint Siège (l’évêque d’Osma et son assistant Dominique Gûzman) se mirent d’accord avec Arnaud Amaury, Abbé de Cîteaux, pour déclarer que les négociations avaient échoué. En fait, elles ne commencèrent jamais. D’Osma et Gûzman étaient des fanatiques religieux qui croyaient que les bûchers étaient la seule médecine capable de soigner l’hérésie. Ils trouvèrent un allié de choix en la personne d’Amaury. L’Abbé était d'avantage un homme d’épée que d’Eglise, de plus il menait grand train et avait besoin d’argent pour l’entretenir.
   Une alliance fut rapidement conclue entre ces peu ragoûtants personnages. Elle devait trouver un appui des plus sûrs en la personne de Simon de Montfort. A la tête des éléments les plus avides de la noblesse du nord, encore barbare, il déferla sur les terres de la brillante Occitanie. Envieux jusqu’aux limites de la haine, ils se livrèrent à une répression effroyable. Les populations de villes entières furent passées au fil de l’épée, les cathares bien sûr, mais les catholiques de même. La « croisade des Albigeois » brûla les livres et les hommes.
   On raconte qu’un sergent d’arme en charge des défenseurs malheureux d’une forteresse occitane vint demander conseil à Gûzman. Il était ennuyé. Ses prisonniers étaient un mélange de catholiques et de cathares, mais il ignorait qui était qui. Glacial, Gûzman répondit : « Brûlez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ».
   La doctrine des cathares est assez classique de la Gnose. Sa seule particularité, c’est que pour elle le Dieu « d’en haut » n’est pas tout-puissant. En fait, dans notre monde (celui du démiurge) il est même pratiquement impuissant. Tant que des hommes naîtront, ils seront esclaves du dieu du mal. La réponse des Cathares est lapidaire. Puisque ce monde est mauvais, fruit du mal et dans son entièreté agent de tentation, il faut le réfuter. Les « Parfaits » vivent donc une ascèse complète qui peut aller jusqu’à la privation de nourriture et donc à la mort par inanition. Ayant refusé ce monde illusoire, ils sont certains de gagner le paradis. De plus, ils s’interdisent toute procréation pour ne pas offrir de nouveaux esclaves au Démiurge. Une telle doctrine n’était évidemment pas pratiquée par l’ensemble de la population. Les simples « Bonhommes » vivaient une vie plus normale.  
   Au XIVème siècle, l’apparition d’une littérature théosophique, dont le Roman de la Rose n’est que l’exemplaire le plus connus, provoqua un choc parmi les alchimistes. Au siècle précédent, leur art avait été traité de manière aride et rigoureuse comme le sont les sciences modernes. L’Hermétisme, de sous-jacent, devint central dans la recherche du Grand Œuvre. Il y eut une véritable explosion de symboles hérités de la mythologie grecque, et même animale issue de l’Égypte des dieux-animaux. Ce courant dépassa d’ailleurs le cadre simple de l’alchimie pour atteindre son sommet – dantesque- dans la Divine Comédie.
   
    Au XVème siècle, la situation de l’alchimie se dégrade ; l’illuminisme professé par ses pratiquants la coupe de tout soutient ecclésiastique. Dans cette époque troublée par les hérésies et les guerres, l’alchimie devient un mouvement secret, souterrain. Le plus célèbre alchimiste de cette époque, Basile Valentin, n’a probablement jamais existé. Son œuvre serait même postérieure de cent à deux cent ans à cette époque. Mais sa légende le fait vivre dans le couvent bénédictin d'Erfut vers 1413. C’est à Valentin que l’on doit la fameuse explication du sens du mot VITRIOL. Ce terme ne désigne pas tant l’acide sulfurique que la pierre philosophale. Ce serait une formule acrotypique. Visita Interiora Terrae Rectificandoque Invenies Occultum Lapidem. Ce qui se traduit  par : visite l’intérieur de la terre et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée. Considéré comme le plus gnostique des alchimistes, il pratiquait aussi la magie et son apport est souvent comparé à celui de Paracelse.

Alchimie et mysticisme à la Renaissance

   La Renaissance opère un mouvement simultané de rationalisation de l’alchimie (qui deviendra progressivement la chimie) et- en même temps-  laisse la bride sur le cou des penseurs les plus débridés.
   Alors qu’un Georg Agricola, écris le De Re Metallica, le premier ouvrage de minéralogie, une science ésotérique unique naît de la fusion du néo-platonisme, du néo-pythagorisme, de la Kabbale, de l’alchimie, de la magie et du théosophisme. Ces penseurs totaux qui refusent la différenciation des sciences sont représentés à leur apogée par Parcelse.
    J’ai longtemps cherché à « pondre » une biographie que je pourrais insérer à cet endroit. Cependant, la tâche aurait été démesurée. Paracelse est inclassable. Je crois que pour le définir comme lui aurait aimé qu’on le fasse, il faudrait tout simplement dire qu’il était médecin. Pour lui, ce terme contenait déjà l’idée de philosophe, donc le rajouter serait faire une sorte de pléonasme. La plupart des biographes rajouteraient ensuite des dates. Pourquoi ? Le médecin disait à ses ennemis que mort, il serait plus que jamais vivant pour les juger. Et le fait est qu’on parle plus souvent de lui maintenant qu’on le faisait au XVIème siècle lui donne raison. Son nom complet ? Il s’appelait Phillipus Aureolus Theophrastus Bombastus von Hohenheim, dit Paracelsus.  On cherche souvent à traduire son surnom, je ne le ferais pas. Quant à son nom de famille, Bombastus, en anglais il a donné l’adjectif « bombastic » qui désigne un style lourd et exagéré. Il écrivait comme cela, ce qui ne fait que rajouter à la difficulté de lecture.
    On dit qu’il a été philosophe, théosophe, médecin, alchimiste, élémentaliste, magicien, théologue… Lui dirait simplement qu’il a recherché des remèdes là où ils se trouvaient, dans la nature.
   Je cois que pour le définir, il faudrait le représenter non pour ce qu’il était, mais bien par ce qu’il n’était pas. Il était l’anti-Descartes. Pour lui, la nature était sainte, elle contenait toutes les solutions. L’homme en fait partie et doit se rapprocher d’elle pour comprendre. Rien ne le désolait plus que de voir l’avènement de « l’âge de la raison » qui – il le comprenait bien- allait amener les sciences à se spécialiser, et par là même, à réduire leurs perspectives. Coupées les unes des autres, il les pressentait déjà ne mener à des impasses. Il comprenait aussi qu’en coupant l’homme de la nature, en le gargarisant d’une prétendue supériorité, on allait vers l’exploitation du vivant, sa destruction. Paracelse c’est aussi l’homme qui soutenait les pauvres contre les riches, les rebouteux contre les grandes écoles de médecines, parce qu’ils avaient raison et que c’était le seul combat juste que d’être à leur côté.  
   John Dee (1527- 1608) est un personnage bien réel dont l’historicité est certaine. Pourtant, il est de ces êtres qui semblent plus avoir en commun avec le monde du fantastique que le quotidien de son époque. Ainsi, il apparaît plus fréquemment dans les œuvres de fiction de Jean Ray, Gustave Meyrink et H. P. Lovecraft que dans des biographies.
  On aura pratiquement tout raconté sur cet homme, jusqu’à en faire un espion qui se serait ri du surnaturel . Peut-être bien, mais je crois l’homme très différent que ce que l’on dit généralement de lui. Avant toute chose, John Dee était un mathématicien et, grand ami de Mercator, il fit connaître son œuvre en Angleterre. Il fut aussi le père du méridien universel de Greenwitch et un des hommes de son temps les plus au fait des secrets de la navigation.  
   Beaucoup montent en épingle son renvoi de l’université de Cambridge pour sorcellerie. C’est oublier bien vite que la « sorcellerie » en question était la création d’automates. Les autres activités « magiques » de Dee sont aussi peu caractéristiques. S’il gagna sa vie en tant qu’astrologue ce fut plus par dénuement que par conviction. Quant à sa participation au « complot magique » contre la reine Marie Tudor, il ne prouve pas grand-chose non plus. Dee fut aussi le traducteur d’Euclide en anglais et l’auteur de recherches sur l’utilisation militaire de télescopes et de lunettes.
   L’œuvre de John Dee reste en grande partie inconnue. En 1597, la populace de Londres incendia son appartement, brûlant ainsi quatre mille ouvrages rares et cinq manuscrits (dont, sans doute, un exemplaire complet de la Stéganographie). Persécuté malgré la protection de la reine Elisabeth, c’est un homme brisé qui décède en 1608.
  De lui nous retenons deux images qui s’excluent l’une l’autre. D’un côté, nous avons le travailleur infatigable capable de rester à sa table vingt-deux heures par jour, l’homme doté d’une incroyable culture classique, le grand lecteur, l’excellent traducteur et déchiffreur de code. De l’autre nous avons le naïf, le crédule qui s’acoquine avec cet escroc de Kelly. Cet homme qui se veut alchimiste et qui ruine sa santé et sa réputation dans de sordides affaires.
  Ces deux hommes n’ont rien en commun, le véritable John Dee est l’homme qui a écris La monade sephirotique, celui qui vécu avant de tomber sous l’influence de Kelly.
 La monade séphirotique est un livre extraordinaire dans le sens qu’il sort complètement de l’ordinaire. Pourtant l’ouvrage reste à ce jour non décodé. Les rares passages traduits dans La véritable relation de Casaubon frisent parfois la démence la plus totale… ou l’illumination dans son sens le plus profond. Avec plusieurs siècles d’avance sur ces contemporains, John Dee franchit les limites des mathématiques traditionnelles. Le traducteur d’Euclide évoque même les espaces non-euclidiens et la superposition d’univers parallèles dans le même espace physique, alignés dans des dimensions différentes. Il mentionne aussi la possibilité de construire des machines autosuffisantes. Néanmoins, ce qui contribue le plus à nous éloigner de la sorcellerie et de l’astrologie c’est encore les incroyables intuitions mathématiques que révèle Dee. Il dit –et cela fut démontré à notre époque moderne- que la plus importante et la plus compliquée des formes de mathématiques est l’arithmétique. A côté de cela, l’Anglais –toujours très en avance sur son époque- se fend d’interprétations jungiennes des rêves.
   A mon sens, le plus étonnant dans toutes ces confidences n’est pas le texte lui-même. Révélation des « Anges » comme le dit John Dee ou simples extrapolations plus ou moins sensée, elles ressemblent à d’autres documents aussi étranges. Non, c’est le langage dans lesquelles elles sont rédigées qui me paraît le plus intéressant. L’énochien est très proche des langues sémitiques ou de l’éthiopien. Une langue agglutinante fait d’une accumulation d’affixes autours d’une racine monosyllabique.
  D’autre part, l’alphabet lui-même présente une étonnante similitude avec l’écriture cunéiforme des sumériens. En effet, si les lettres énochiennes sont parfois arrondies, elles n’en conservent pas moins l’embase des clous caractéristiques des coins qui achèvent le tracé des lettres cunéiformes.
   La découverte d’autres textes rédigés en une langue apparentée au sumérien, notamment dans les écrits de l’arabe Geber, semble démontrer la survivance de cette langue et des connaissances qui y sont attachées jusqu’à l’aube de la Renaissance.
   Né en 1601, mort en 1680, le jésuite Athanase Kircher fut probablement l’esprit le plus original du XVIIème siècle. Chassé d’Allemagne durant la guerre de Trente Ans, ce professeur de mathématique trouvera refuge à Lyon puis à Avignon avant d’enseigner au Collège Romain. Véritablement passionné de tout, Kircher s’intéressera aux fossiles, à la vulcanologie, à l’alchimie, aux illusions d’optiques, à la paléographie, à la cryptographie, à l’Atlantide, à l’astronomie et au magnétisme… entre autre. Entretenant une correspondance abondante avec les missionnaires jésuites du monde entier, il se fera envoyer un grand nombre d’objets étranges qui donneront vie à son célèbre cabinet des curiosités. Cette collection, d’abord simple marotte, finira par devenir le premier musée des sciences. Lui-même technicien, Kircher perfectionna de nombreuses machines depuis les orgues hydrauliques jusqu’à la harpe éolienne, en passant par la lanterne magique, lointain prédécesseur de notre cinéma. Dans le domaine de la médecine, Kircher passa près de la découverte des germes de la peste qu’il observa au microscope. Malheureusement, il avait deux cent ans d’avance. A côté de son génie manifeste, le père Kircher ne fut malheureusement pas toujours clairvoyant. Ses études de paléographie furent fréquemment parasitées par des blagues de ces élèves qui lui fournirent nombre de textes de leur propre invention à traduire.


   

Et après ?


   En tant que philosophie, art de vivre, pensée, survivance de la Gnose et de l’Hermétisme, l’alchimie devait sans cesse s’appauvrir après la renaissance. Cagliostro était un illuminé ou un charlatan (si ce n'est les deux). La plupart des traités d’alchimie moderne (tel : l’or du millième matin) ne comprennent plus les symboles utilisés, leur origine et leur part caché.
  Du point de vue de la Gnose, il y a quelques personnes intéressantes comme Jakob Böhme. Sans vouloir diminuer l’individu proprement dit, il me semble important de noter qu’il ne professe rien de vraiment nouveau.
  La Rose-Croix ? Les Noces chymiques de Christian Rosenkreutz, compris comme ce qu’elles sont, la recherche de l’or, n’apportent là aussi rien de vraiment nouveau. Le reste de l’enseignement Rose + Croix est un mélange de thèmes déjà abordés et de prémices de la maçonnerie.


Dernière édition par Anaxagore le Mer 28 Aoû - 14:11, édité 1 fois

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Message par Anaxagore Mer 28 Aoû - 14:10

La théosophie :


   Il est difficile de dater clairement l’apparition de la théosophie. Ce vocable est formé de deux mots grecs qui signifient dieu et sagesse. La recherche de la « sagesse de Dieu » est un thème gnostique par excellence,  et c’est aussi à la base de l’hermétisme.
    Toutefois, malgré quelques prédécesseurs intéressants, la doctrine théosophique devient réellement une pensée indépendante avec Helena Blavatsky.
    Helena Pétrovna Blavatsky est née en Russie le 30 juillet 1831. Blavasky a impressionnés et choqués ses contemporains par son aspect. En effet, c’était une grosse femme laide qui se lavait rarement, mal habillée, excentrique, parlant mal l’Anglais, fumant comme un pompier et grossière par-dessus ça. Le seul talent qu’elle prétendait posséder était ses facultés PES  (prescience et hypnose) que même ses adversaires les plus acharnés ne purent nier. Ces dons, malheureusement, paraissaient issus du versant le plus noir de l’occultisme. Toute sa vie, les morts et les événements les plus funestes semblèrent la suivre pas à pas. Ce fut en échappant à un mariage forcé que Mme Blavatsky arriva en Égypte. Elle y rencontra un magicien copte qui lui apprit à consulter par clairvoyance un livre gardé dans un monastère de l’Inde. Ce livre connu sous le nom des Stances de Dzyan reste à ce jour l’un des écrits les plus mystérieux et les plus dangereux de l’ésotérisme. Plus tard, elle réussira -semble-t-il- à se procurer un exemplaire physique. Cependant, pour invraisemblable que soit l’assertion d’une consultation d’un livre par clairvoyance, elle n’est pourtant pas à dédaigner dans ce cas précis. Mme Blavatsky, femme inculte ne possédant que quelques romans bons marchés, était capable de faire des citations exactes de plus de mille quatre cent livres qu’elle n’avait jamais lu ou possédé. Son savoir était véritablement encyclopédique, allant de la linguistique (elle fut la première à s’intéresser à la sémantique du sanskrit archaïque, langue qu’elle maîtrisait à merveille) jusqu’à la physique nucléaire.
  En tout cas, que l’on croie à l’existence de ses dons ou que l’on soit sceptique, l’histoire même de cette femme est troublante. Elle reçoit des menaces, on lui demande de restituer l’exemplaire des Stances de Dzyan qu’elle s’est procurée. Comme elle n’obtempère pas, on se fait un devoir de la ramener à une plus juste vision des choses. Pendant trois ans, elle fuira à travers toute l’Europe. En 1870, alors qu’elle revenait d’Inde en traversant le canal de Suez, son navire explose. La déflagration est si puissante qu’elle désintègre le bateau pour n’en laisser qu’une poudre fine. Mme Blavatsky en réchappe par miracle. Alors qu’elle regagne l’Angleterre, un fou tente de l’assassiner au cours d’une conférence de presse. Interrogé par la police, l’homme défendra qu’une puissance l’aurait téléguidé. Parallèlement, le manuscrit des Stances de Dzyan, qu’elle gardait enfermé dans le coffre-fort de son hôtel, disparaît mystérieusement.
   Mme Blavatsky retourne à New York et entreprend l’écriture de La doctrine Interdite qui cite de nombreux passages des Stances de Dzyan. C’est aussi à cette époque qu’elle fonde la société théosophique. Ce « club des miracles » est créé sur ordre des Maîtres Cosmiques qui en leur temps ont guidé certains des plus grands hommes de l’humanité, c’est du moins se qu’elle prétend. Les Maîtres auraient choisi un successeur à Salomon, Socrate, Platon, Bouddha, et Jésus en la personne du colonel Henry Steel Olcott.
  Ce complice de Mme Blavatky, un peu aventurier, un peu affairiste, est bien sûr flatté. Jusqu’alors son seul titre de gloire avait été sa nomination à la commission d’enquête sur l’assassinat du président Lincoln. Néanmoins, il est aussi surpris des prétentions de son amie. Sur le papier, la société théosophique a pour but de répandre la sagesse et accroître les pouvoirs spirituels de ses adhérents. Malgré cela, Blavasky ne répond en aucun cas à ses propres critères. Elle est même loin d’être un modèle de vertu. Elle est excentrique, colérique, têtue, elle aime blesser les gens et est toujours en quête de sensation. Cependant, le plus grave défaut de Blavasky est qu’elle aime imposer son point de vue et ne supporte pas la contrariété. Olcott, tout « messie » qu’il soit, se retrouve sans cesse en désaccord avec Blavatsky. Sans doute, la Russe souhaiterait que Olcott se contente de son rôle de figure de proue et obéisse aux ordres des soi-disant Maîtres Cosmiques qu’elle est la seule à entendre.
   La doctrine interdite nous renseigne sur l’idéologie de Mme Blavatsky. Elle croit que les Maîtres Cosmiques sont les Atlantes qui, une fois leur île engloutie, se seraient réfugiés dans des vallées secrètes du Tibet. Les Maîtres ne seraient pas des hommes, ils auraient même conçu la race humaine, d’abord les Aryens hindous et en dernier les Juifs. Autant les premiers seraient les récipiendaires de toutes les perfections du fait de la pureté de leur sang, autant les derniers seraient impurs et corrompus. Vous avez l’impression d’entendre un refrain connu ? Vous n’avez pas tort. En 1918, en Allemagne, un ancien théosophe, Karl Haushoffer fonda la Société de Thulé. Sa théorie, la « Géopolitik » est basée sur celle de Blavasky. La nouveauté vient de l’identification des Aryens avec la race allemande. Un des membres de Thulé, Rudolf Hess, deviendra le secrétaire d’Adolf Hitler durant son emprisonnement suite au putsch de Munich. Il se produira alors une sorte d’amalgame entre la judéophobie primaire d’Hitler et les théories fumeuses de Haushoffer. Le résultat sera Mein Kampft.
   Tout ceci nous emmène trop loin. Pour le moment, revenons à Mme Blavatsky.
   Après avoir fondé le mouvement théosophique, la Russe fait savoir qu’un messie allait apparaître au sein des adeptes. Elle finit par reconnaître un enfant qui est confié au soin d’Annie Besant. Une fois ses dix-huit ans atteints, il est prévu qu’il annonce son caractère messianique au monde entier. Ce grand discours de la révélation est attendu avec impatience mais le résultat se révèle très éloigné des attentes de Blavatsky. Le jeune homme qui se nomme Krisnamurti déclare qu’il n’est pas le messie et que nul ne devrait se laisser manipuler par quelqu’un qui décide de ce qu’il est ou n’est pas. Nouvel échec pour la Russe. Quant à Krisnamurti il devint un grand philosophe. Toute sa vie, il affirma qu’il fallait chercher les réponses à ses problèmes par soi-même et par la connaissance de soi.    
   En 1879, c’est une véritable guerre qui s’engage contre Mme Blavatsky, de retour en Inde. On vole ses papiers, son argent, on l’arrête, on perquisitionne, on profère des menaces. Elles seront bientôt suivies d’actions. Le docteur Hodgson rédige un rapport absolument accablant sur son état mental. Pour lui, on a ici affaire à une escroquerie montée par une folle. Sa réputation ruinée, sa vie transformée en un véritable enfer, c’en est terminé pour la pauvre femme. Finalement, c’est une épave brisée qui se rétracte publiquement.
   Après ce résumé assez terrifiant de la vie de Mme Blavatsky, je mettrais tout de même un bémol à la théorie du complot ésotérique. Il y a bien eu complot, certes, mais le champ de bataille de l’ésotérisme semble surtout avoir été choisi pour la décrédibiliser. Après sa mort, il s’est avéré que la cabale montée à son encontre était le fait du gouvernement anglais, du vice-roi des Indes et des missionnaires protestants. Les raisons seraient bien sûr d’ordre politique. Les amis que Mme Blavatsky avait en Inde étaient proches des milieux indépendantistes. La Russe ne cachait d’ailleurs pas son amitié et son soutient à cette cause. Le Mahatma Gandhi serait allé jusqu’à dire que c’est à Mme Blavatsky qu’il devait d’avoir trouvé sa voie.    
    La  théosophie de la Blavatsky est un amalgame de doctrines d’origines diverses mais essentiellement hindoue. Elle se double d’une profonde judéophobie. Ses enseignements sont assez faciles à trouver dans le commerce, puisqu’elle est encore fréquemment rééditée. Ses deux livres les plus célèbres sont La doctrine interdite et Isis dévoilée.
   Une place particulière est à réserver aux Stances de Dzyan.
   A force de recherche, j’ai fini par apprendre deux ou trois choses sur ce livre.
   Il est des kabbalistes qui estiment que les Stances de Dzyan seraient tributaires des pages pompeuses de l’écrit zoharique appelé Siphra Di-Tzeniutha. L’auteur des Stances aurait puisé abondamment dans la Kabbala Denudeta de Knorr von Rosenroth qui contient une traduction latine du Siphra Di-Tzeniutha. Ce serait d’autant plus possible que Mme Blavatsky fait allusion à ce livre dans les premières pages d’Isis Unveiled.
  En tout cas, le nom « Stances de Dzyan » est cité pour la première fois par Louis Jacolliot au dix-neuvième siècle. Néanmoins, certains spécialistes identifient l’ouvrage entre les mains de l’astronome Bailly, un siècle plus tôt. D’autres ésotéristes prétendent que ce serait Apollonios de Tyane qui l’aurait ramené en Occident. Il est vrai que ce grand homme, volontiers célébré par Voltaire, aurait voyagé en Inde à la fin du premier siècle de notre ère. Il en aurait ramené un certain nombre de livres, notamment des exemplaires des Upanishads et de la Bhagavad Gita, qu’il aurait transmis aux gnostiques.
    En tout cas, c’est un livre maudit. La plupart de ses possesseurs (ou de ceux qui prétendent avoir possédé les Stances) furent des gens persécutés, à l’instar de Helena Pétrovna Blavatsky, sa plus célèbre propriétaire.
  Les Stances de Dzyan auraient – d’après Blavatsky- été écrites sur Venus dans une antique langue sacerdotale, le senzar. Elles racontaient que les premiers hommes de la Terre étaient les descendants des Célestes aussi connu sous le nom de Pitris (les pères). Ces Pitris venaient de la Lune. Plus tard, après la fin de l’âge d’Or, d’autres êtres vinrent alors sur Terre. Ils étaient peu nombreux mais étaient vénérés par les humains. Malheureusement, ils se brouillèrent et un groupe parti s’installer dans une autre ville. Leur querelle ne s’améliora pourtant pas avec l’éloignement. En fait, leur haine devint si grande que le plus puissant des groupes détruisit l’autre au moyen d’une « grande lance brillante à cheval sur un rayon de lumière ». Ne dirait-ton pas... un missile ? La destruction de la ville fait étrangement penser à une explosion nucléaire. « Une grande boule de feu monta jusqu’au ciel, presque jusqu’aux étoiles ». Les conséquences de cette explosion ne font que faciliter le rapprochement. « Tous ceux qui étaient dans la ville furent horriblement brûlés, et ceux qui étaient aux environs furent brûlés aussi. Tous ceux qui regardèrent la lance et la boule de feu devinrent aveugles pour toujours. Ceux qui étaient entrés à pied dans la cité tombèrent malade et moururent. Le sol de la cité lui-même fut empoisonné ainsi que les rivières qui la traversaient. »  
   Mme Blavatsky donne quelques citations des Stances de Dzyan dans la Doctrine Secrète :
   «  Les flammes vinrent. Les Feux avec les étincelles. Les Feux-Nocturnes et les Feux-Diurnes. Ils desséchèrent les Eaux troubles et sombres. Avec leur chaleur, ils les épuisèrent. Les Lhas  d’En-haut et les Lhamayin d’En-bas, vinrent. Ils égorgèrent les formes qui étaient à double et à quadruple face. Ils combattirent les Hommes-Boucs, les Hommes à têtes de chien et les Hommes à corps de poissons. » (Stance II, Cool
   «  Ils donnèrent naissance à des monstres. Une race de monstres contrefaits et couverts de poils rouges, qui marchaient à quatre pattes. Une race muette pour que la honte ne fût pas dite. » (Stance VIII, 32)
    «  Ils édifièrent des villes colossales (…) En se servant des feux vomis, de la pierre blanche des montagnes et de la pierre noire, ils taillèrent leurs propres images en grandeur naturelle et à leur ressemblance et ils les adorèrent. » (Stance XI, 43)
   Texte étrange, n’est ce pas ? Personnellement, je trouve qu’il sonne comme le meilleur Lovecraft.
   Mais plus impressionnant se sont les déductions qu’ils inspirèrent à certaines personnes.   Kout Houmi Lal Sing, le maître à penser de Mme Blavatski  aurait échangé des lettres avec son élève. Le sujet en était bien sûr les Stances. En plein dix-neuvième siècle, voilà soudain des gens qui se mettent à discuter du danger des armes fonctionnant sur le principe de l’énergie nucléaire et de la nécessité de les tenir secrètes !
   Plus intéressant encore est le cas du français Louis Jacolliot. Autre lecteur des Stances de Dzyan, elles lui inspirent un livre de science-fiction, Les mangeurs de feu. On y fait notamment allusion à la conversion totale de la matière en énergie.
    Des Stances de Dzyan, je ne peux plus dire grand-chose. En 1915, l’Hermetic Publishing Compagny de San Diégo a bien fait une impression des Stances de Dzyan, préfacée par le docteur A.S. Raleigh. En 1947, Jacques Bergier a pu en consulter un exemplaire à la bibliothèque du congrès. Etrangement, les photocopies qu’il tira du livre disparurent. Comme d’ailleurs disparurent toutes les copies du livre de Dzyan depuis celle de Damis, l’élève d’Apollonios de Tyane.  
    Personnellement, je ne peux trancher sur l’authenticité de la copie détenue à la bibliothèque du congrès. Je ne crois pas aux histoires que je vous ai raconté sur ce livre... même si j'admet qu'en faire la narration me tire un frisson de plaisir (je suis un lecteur assidue de Lovecraft). Mais pour ce qui est des connaissances de la Société Théosophique, j’ai eu accès à un livre écris dans les années vingt par leur branche française. Ce qui y était suggéré m’a mis franchement mal à l’aise. A côté de généralités sur les « corps spirituels » et les « vibrations éthériques » on trouvait aussi des tableaux de persistance des éléments nucléaires, des courbes de datation des transuranides. Toute une science étrangement proche et pourtant très éloignée de ce que l’on pourrait lire dans les manuels de l’époque.
   Laissons le mot de la fin à un écrivain dont le gagne pain était d’écrire des ouvrages qui faisaient peur. Un homme qui se rendit compte du potentiel horrifique du livre de Dzyan au point de le citer au côté du Nécronomicon de l’arabe fou Abdul Al-Hazred.

 
H.P. Lovecraft a écrit: « Les théosophes annoncent des choses qui glaceraient le sang de terreur si elles n’étaient pas énoncées avec un optimisme aussi désarmant que béat. »


 C’est également à la fin du XIXème siècle qu’apparaît le mouvement qui devait donner naissance à la Golden Dawn.
  Tout commence en 1880, lorsque le révérend anglais A.F.A  Woodford se lance dans le décodage d’un livre mystérieux connu sous le nom de manuscrit Mathers. Ce manuscrit est accompagné d’une lettre en allemand qui disait que celui qui réussirait à décrypter l’ouvrage pourrait prendre contact avec la société secrète Sapiens Donabitur Astris (S.D.A.).
  Le révérend Woodford qui est déjà franc-maçon et Rose +Croix, réunit donc quelques amis et se lance dans la quête initiatique qu’on lui propose.
   La S.D.A est une société secrète qui semble avoir réellement existé. On dit que l’université d’Oxford garde dans ses archives un document exceptionnel racontant que Goethe aurait été sauvé d’une maladie incurable par un alchimiste membre de cette société secrète. Plus près de nous, on cite le comte Von Stauffenberg –qui tenta d’assassiner Hitler en 1944 - et le baron  Alexander Von Bernus comme membre de la Sapiens Donabitur Astris. J’ignore si c’est vrai, n’ayant aucun moyen de le vérifier.
   En tout cas, après avoir traduis le manuscrit, les amis de Wooford contactent la dite société et obtient d’elle l’autorisation de fonder un ordre ésotérique extérieur. En 1888, ce sera chose faite, la nouvelle organisation affiliée prendra pour nom : Order of the Golden Dawn of the outer ou Ordre de l’Aube Doré à l’extérieur.
  A partir de 1897, la Golden Dawn sera dirigée par Samuel Liddell Mathers utilisant le titre de comte de Mac Gregor et se prétendant la réincarnation d’une foule de nobles et de magiciens écossais. Etait-ce un fou ou un génie ? Encore une fois, je ne peux trancher. Cependant, sous sa direction, la Golden Dawn devait se révéler comme une véritable pépinière de talent. Le poète Yeats, les écrivains de fantastique Arthur Machen et  Algernon Blakwood, l’historien A.E. Waite et l’actrice Florence Farr en feront parti. J’ai également entendu dire que Bram Stoker (l’auteur de Dracula) en aurait été membre, mais je ne peux le confirmer.
   L’enseignement de Mathers le lie essentiellement à John Dee. L'apprentissage de l’énochien fait parti du cursus de l’ordre. On apprend également l’alchimie, la magie et la « dénomination de soi-même ». Encore une fois, je ne peux qu’admettre ma totale ignorance quant aux origines et les buts de cette « dénomination ».
    Pendant cinq à six ans tout se passe pour le mieux. Mais, soudain, Mathers commence à perdre pied. Il publie un manifeste où il proclame que la hiérarchie visible de l’ordre est dominée par des « surhommes » ayant bus « l’élixir de longue vie ».
   La conséquence la plus préjudiciable de cette publication est l’irruption au sein de la Golden Dawn  d’un individu tristement célèbre et fort peu recommandable: Aleister Crowley.
   Son arrivé en 1900 (en costume écossais et portant un masque noir, se proclamant envoyé de Mathers) provoqua le renvoi de Mathers et de Crowley. En 1903, Waite démissionna suivis en 1905 par Yeats, Machen et Welscott. La Golden Dawn survécut jusqu’en 1915, mais sans l’élan qui lui avait valu sa célébrité. Elle s’éteignit sans bruit.
   Après ce triste épisode, Crowley fonda sa propre société sécrète, l’Argenteum Astrum (qui ne connut guère de succès) et publia les rituels secrets de la Golden Dawn dans la revue Equinox qu’il dirigeait. Crowley mourut en 1947, à Hasting, dans la plus noire des misères.
   Un autre disciple de Mathers, Dion Fortune (de son vrai nom Violet Firth) n’eut guère plus de succès en fondant la Société de la lumière Intérieure.

    La guerre de 14-18 transforma le monde dans une apocalypse de sang, de feu et de boue. Le XIXème siècle s’effaça dans le carnage du Chemin des Dames, de la Somme et de Verdun. Les hommes qui sortirent de cet enfer avaient changé. La civilisation qui devait les accueillir était tout autant bouleversée.
  Le XXème siècle venait de naître. En Russie, la révolution d’octobre avait placé les Communistes à la tête de l’état, annonçant la couleur. Cet âge sera celui des idéologies.
   Un homme devait être destiné à le marquer de son empreinte.
    Fils d’un garde frontière autrichien, étudiant des beaux arts raté, peintre de carte postale à Vienne, il devait fuir la conscription en passant la frontière. Retrouvé par la police allemande, il obtint de ne pas être jugé comme déserteur en rejoignant l’armée du kaiser. Là il se comporta avec courage et ruse, obtenant la croix de fer et le grade de caporal.
   Gazé, il perdit temporairement la vue et sans doute la raison. Jusqu’à la fin de sa vie l’homme devait connaître d’effroyables cauchemars.
    Il s’appelait Adolf Hitler.
    Est-il vraiment utile de m’étendre sur les actes d’Hitler ? Ils sont connus de tous. Le fait est qu’il a remodelé le monde. Outre les destructions proprement dites, la réorganisation des frontières et le triomphe du Communisme, la conséquence principale est plutôt à regarder du côté de l’exode des populations.
   Polonais, Russes et Allemands eurent des pertes humaines se chiffrant en millions. Ils virent aussi leurs territoires se déplacer de milliers de kilomètres vers l’ouest. Ce qui en fait le plus grand bouleversement géopolitique depuis la chute de Rome. Mais c’est surtout le destin des Juifs qui fut transformé. Jamais avant leur massacre n’atteignit de telles proportions. La Shoa est un acte effroyable qui dépasse en horreur tout ce qui a précédé. Elle fut surtout le catalyseur d’un retour du peuple juif sur la terre d’Israël, un événement souvent décris dans les livres saints comme le prologue de l’apocalypse final.
   Tout cela est la conséquence des actes d’Hitler. Mais cela ne les explique pas.
   Il ne s’agit pas que de la folie d’un homme. Cette conclusion trop facile a été souvent avancée mais elle me laisse le sentiment que l'on oublie l'essentiel.
   Hitler se voyait comme l’homme providentiel et d’une certaine manière ce fut vraiment le cas. Homme désigné par la providence, il survint au bon moment. Nanti d’une doctrine fumeuse, Hitler exacerba les rancœurs d’un pays blessé par une défaite et un traité de paix qui n’était qu’une succession d’humiliations. Son Mein Kampft, on l'a vu plus haut, a été influencé par la théosophie et plus précisément par la Société de Thulé dont Rudolf Hess était membre.
   Il est difficile de dire si Hitler croyait dans le gnosticisme du groupe Thulé. D’un côté, il raillait ouvertement les démarches mystiques de l’Ahnenerbe (la société d’étude S.S. pour l’héritage des ancêtres) mais de l’autre, il soutenait lui-même des thèses mystiques.  
   Dans ses délires, il lui arrivait de se comparer au messie, l’homme envoyé par  Dieu pour conduire le peuple élu (ici, les Allemands).
   Dans son discours de Rauschning,  
Adolf Hitler a écrit:« Celui qui ne comprend le national-socialisme que comme un mouvement politique n’en sais pas grand-chose. Le national-socialisme est plus qu’une religion, c’est la volonté de créer le surhomme »
. Ce texte est cité en introduction du  livre d’André Brissaud «  Les Agents de Lucifer ». Une autre citation lui fait pendant. Elle est de John Le Carré et ne fait que marquer l’originalité du nazisme. «
John Le Carré a écrit: Un sentiment, qui ne fera que se préciser plutôt que de se dissiper, d’être devant un mystère, l’impression d’avoir une vue incomplète, d’être devant un paradoxe démesuré. »
   A nouveau, je ne peux prétendre savoir ce que j’ignore. Ce qui se tramait vraiment à l’intérieur de cette ruche en folie qu’était l’Allemagne des années 30 restera un mystère, quoi qu’il arrive. La plupart des gens qui savaient ce qui se passait vraiment sont morts pendant la guerre ou au terme du procès de Nuremberg.
  Ce que je sais par contre, c’est qu’Hitler avait interdit toutes les sociétés secrètes en Allemagne. Même Thulé ne fut pas épargnée ; nombre de ses membres rejoignirent la S.S.
   Un mot sur les S.S.
   On les identifie aux soldats des divisions comme Das Reich ou les gardes des camps de concentration. C’est à la fois vrai et faux. Les Waffen S.S. étaient des soldats politisés qui n’avaient aucun accès à la doctrine S.S. Quant aux gardes des camps, ils étaient méprisés par les vrais S.S.
   On n’en sait plus rien. Durant l’ère hitlérienne, les S.S. prenaient des enfants correspondant aux critères « aryens » et les amenaient dans des Burgs. Ces centres de formation S.S. avaient pour but de créer la nouvelle génération de l’Ordre Noir. On ignore ce qui s’y passait, ils furent tous détruits par l’Armée Rouge.
   On dit qu’ils pratiquaient une religion gnostique et qu’ils célébraient des rites étranges. Mais la vérité, c’est qu’il ne reste rien de leur enseignement. Tout laisse penser que ceux qui savaient ce qui se passait dans les Burgs sont tous morts. Personne n’a jamais rien raconté. Tout ce que nous savons vient de récits de seconde main. Ce silence est absolument assourdissant. Parfois, lorsqu’il m’arrive d’y réfléchir trop longtemps, un sentiment de malaise me prend le ventre.
   Il s’est passé quelque chose en Allemagne.
   Je ne sais pas quoi, mais les résultats sont connus de tous. Comment les Nazis ont procédé, nous le savons. Pourquoi est un peu plus compliqué à expliquer, mais ce n’est pas vraiment un mystère. Seule la question qui n’a pas de vraie réponse. Qui étaient les Nazis ? Un parti politique ? Bien sûr, la plupart des Nazis se voyaient comme membres d’un mouvement  politique. Ce n’était pas le cas d’Hitler qui était un mystique dément. Pas plus que les membres de l’Ordre Noir. Et, en fait, on ne sait rien de ce qui les poussait à agir comme ils le faisaient. La folie d’un homme, ou même de plusieurs, n’est pas une explication qui résiste à une analyse approfondie. Il y a autre chose. Il y a forcément autre chose. Quoi ? Je l’ignore ! Je n’ai rien trouvé ou des rumeurs si nébuleuses qu’elles sont inexploitables.
   Parfois, dominant mon malaise, j’ai poussé mon raisonnement aussi loin que je l’osais. Tout a été effacé volontairement. C’est une évidence. Dans l’un des derniers jours de la guerre, Hitler fut interrogé sur les dommages que les bombardements et les troupes alliés provoquaient en Allemagne. Il répondit que c’était tant mieux. Lorsque tout serait détruit, il leur [sous-entendus, les Nazis] serait plus facile de rebâtir.  
    Le château de Wewelsburg -qui accueillait le centre religieux néo-païen des S.S. - est lui-même une étrange énigme. Inachevé, il a aussi été volontairement mutilé puisque la "chambre pour la prière des morts" a été dynamitée par la S.S.
    Le nazisme fut d'abord une religion et même plus qu'une religion. Toutefois, c'est justement ça qui nous échappe dans l'hitlérisme. Ce qui a été détruit à la fin de la guerre, ce dont il ne reste rien, c'est bien cette partie là. J’ai parfois l’impression qu'Hitler a été l’instrument de quelque chose. Je ne parle pas d'une soi-disant puissance supérieure surnaturelle. Hitler n'était pas l'incarnation de Satan, ni un génie du mal. Je pense simplement, qu'il a été jugé utile par des gens. Peut-être simplement par les Allemands eux-mêmes qui ont trouvé un chef pour la revanche contre le "Dicktat" de Versailles. Toutefois, quand je vois l'acharnement à détruire la partie "religieuse" du nazisme, au point qu'il n'en reste rien, je me demande si vraiment la soif de sang des Allemands explique tout.
  On ne sait pas vraiment ce qu'étaient les croyances nazies. La version « grand public » était expurgée, floue, très généralistes. C'était une religion à mystère, avec des cérémonies secrètes. Une secte ! À par les grandes lignes cosmogoniques comme la conception de la terre creuse, ou l’origine atlante des « Aryens » rien n’a jamais vraiment été expliqué.
    En fait, il faut chercher dans les romanciers allemands de l’époque pour trouver un développement de ces conceptions fumeuses. Edmund Kiß écrivit sur l’Atlantide. Il y décrivit un empire colonisateur et guerrier, régis par la guerre, gouverné par la guerre. Dans ses romans, Kiß fait des Atlantes les ancêtres des Allemands. Ils auraient été engendrés par la chute d’une lune de glace. Néanmoins, lorsque le sang impur des races inférieures les eut empoisonnés, ce fut une autre lune de glace qui mit fin à leur règne. Les survivants se retirèrent, attendant qu’un chef naisse pour les mener à nouveau à la conquête du monde. La cosmogonie de l’écrivain était fidèle à celle des Nazis. Quant à ses théories, elles eurent une influence directe sur les justifications liées à la Shoa. Hitler, qui avait lu Kiß, pensait que les romans de l’écrivain étaient une vision à peine altérée de la vérité. Il croyait fermement  être le leader attendu depuis la chute de l’Atlantide pour rendre leur place aux survivants de la catastrophe.  
    Si on prend la remarque d'Hitler au premier degré et que l'on en inverse le raisonnement, les romans d'Edmund Kiß peuvent servir comme une sorte de boussole pour comprendre ce en quoi croyaient les nazis. S'ils sont une version à peine altérée de la "vérité" alors, en suivant le texte cela voudrait dire qu'Hitler aurait été mis en place par les héritiers des Atlantes. Mais où se trouvaient ces légataires ? Où, sinon dans l’Ordre Noir ? La S.S...
    Plus intéressant encore, les conceptions de Kisß survécurent à l’effondrement du Troisième Reich.
    En 1953, un livre paraît en Allemagne, son nom est Das enträlselte Atlantis, l’Atlantide déchiffrée. Sur la base de théories très personnelles, son auteur, le pasteur Jurgen Spanuth reconnaît des Germains de l’âge du bronze dans les Peuples de la Mer, ces envahisseurs qui ensanglantent la Méditerranée du XIIème siècle avant J.C. Défaits par le pharaon Ramsès III, il fait figurer sa victoire sur les bas reliefs de Médinet-habou. La démonstration est intéressante bien qu’elle ne convainque guère. Toutefois, il semble bien qu’il y eut une civilisation dans les parages de l’île de Helgoland. D’ailleurs, le navigateur massaliote Pythéas - découvreur de l'ambre de la Baltique- aurait situé dans cette région une importante ville commerçante qu'il aurait appelée Basileia. Et, si l’Eider est l’Éridan, comme le suggère Spanuth, nous avons aussi les descriptions de la rencontre entre Ulysse et Nausicaa pour parler en la faveur de la culture locale. La richesse des habitants venait sans doute du cuivre, abondant dans la région, et du commerce de l’ambre. Un, jour pourtant, toujours d'après Spanuth, une comète serait tombée du ciel et aurait foudroyé l’Atlantide nordique. C’est la légende du char de Phaéton dans la mythologie grecque et celle de Fenris dans la Volüspa.
   Le parallélisme étroit avec Kiß n’est pas à souligner.
   Ceci est la preuve que ce qui engendra le nazisme survécu à la guerre.

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Le champ de bataille ne fait que révéler à l'homme sa folie et son désespoir, et la victoire n'est jamais que l'illusion des philosophes et des sots. William Faulkner
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